Chanteur et écrivain, Bertrand Belin revient avec «Persona», un 6ème album sensible et profondément poétique, aux élégantes ambiances rock-folk, qu’il dévoilera notamment à l’Olympia où il sera le 11 avril et un livre «Grands carnivores», son troisième roman paru chez P.O.L.
Bertrand Belin, un univers à la Edward Hopper fait d’élégantes ambiances rock-folk et de textes littéraires, où les mots se lisent en creux, entre silence et retenue
Dans « Persona« , le 6ème album de Bertrand Belin, il y a des rencontres furtives, des visages cachés, des vies sur le fil faites de solitudes urbaines, des silhouettes esquissées. Tout un monde fait de lenteur et de chansons aux contours minimalistes interprétées d’une voix chaude, traversé par des histoires de femmes et d’hommes énigmatiques à peine décrits par la plume de Belin. Où est-t-on, de quoi parle-t-on ? On ne sait pas vraiment. Tout est ouvert ici. On est là, comme envoûté par cet univers à la Edward Hopper fait d’élégantes ambiances rock-folk et de textes littéraires, nappé de synthétiseurs, de guitares acoustiques et de piano, où les mots se lisent en creux, entre silence et retenue. C’est dans cette impression de flottement, de départ, de fuite du temps, de flou volontaire et de pudeur, que l’on trouvera la vérité du discret Bertrand Belin.
Il y a cependant dans son nouvel opus, quelques affirmations et des percées à la frontière du réel, vers lesquelles le chanteur semble vouloir tendre. Un propos plus direct parfois, où se croisent volcan dormant («Bec»), ciels embrasés de canadairs (« Glissé Redressé ») et point rouge dans les collines, «quelqu’un qui fuit, qui cherche un pays» («De corps et d’esprit »). Le tout accompagné d’un regard social sur ceux qu’on ne remarque pas, les invisibles de la rue, les déclassés, ou le monde du travail évoqué dans «Camarade» : «Le travail ce n’est pas toujours un choix, c’est même souvent le contraire. C’est un marqueur, une nourriture de la construction de l’identité, mais c’est aussi de la survie pour pas mal de gens » confie le chanteur que l’on verra à l’Olympia en avril et dont le troisième roman «Grands Carnivores» vient de paraître chez POL. L’année commence bien pour Bertrand Belin.
Bertrand Belin: « Mes personnages tiennent debout comme une sculpture de Giacometti, il y a quelque chose de fragile »
Le titre de votre album est assez énigmatique. Qu’est-ce qui vous séduit dans le mot «Persona» ?
Bertrand Belin : Il y a plusieurs aspects, la beauté du mot Persona, que je trouve magnifique. Il porte en lui à la fois la désignation simple d’un corps ou d’une identité, mais aussi tout ce que comporte de difficultés le métier de vivre. Il y a quelque chose à voir avec le destin dans ce mot.
Comment définiriez-vous les personnages de vos chansons qui sont le plus souvent esquissés, dessinant des silhouettes de personnes qui n’en sont pas vraiment ?
Bertrand Belin : Il y a la question du masque bien sûr puisque les personnages dans mes chansons sont effectivement masqués. Ils ont un masque neutre, un masque de théâtre. Peu importe de savoir comment ils s’appellent, si ce sont des hommes ou des femmes. C’est à l’opposé du portrait balzacien. Mes personnages tiennent debout comme une sculpture de Giacometti, il y a quelque chose de fragile.
Diriez-vous que vos chansons relèvent du pointillisme ou du minimalisme ?
Bertrand Belin : Je dirais que c’est une forme de minimalisme, d’esquisse s’agissant de la question de la silhouette, de la posture du travail, de la promenade, avec deux trois traits. A Paris, on croise des gens qu’on ne connait pas et on ne peut pas s’attarder sur chaque silhouette pour essayer de comprendre qui cela peut être, lui prêter une biographie. On traverse des foules, qui sont un peu comme des fantômes. Il faut se rappeler que les silhouettes et les inconnus ont des vies profondes, autant ou plus que sa propre vie. C’est une chose qu’il ne faut pas perdre de vue parce que cela créée énormément de dégâts, sinon.
Bertrand Belin: « C’est problématique de dire une chose, qu’on est tenté de prendre ensuite pour capital »
Dans l’émouvante « Choses nouvelles », vous n’avez pas peur de livrer vos sentiments avec des mots comme « je chéris ton cœur adoré ». Besoin d’être plus explicite, vous qui habituellement êtes plus sur la retenue.
Bertrand Belin : C’est un emprunt à la poésie courtoise du 18ème siècle de Ronsard, une façon d’employer des mots, dont le biotope est la poésie. C’est une figure de style qui permet d’être au plus proche de ses émotions. Quand elles sont contenues, ce n’est pas une forme d’émotion qui vaut moins. Elle est juste plus retenue. Mais il ne s’agit pas d’un carnet de bord. Je ne raconte pas ma vie. En revanche, si j’arrive à trouver une façon de dire la question de chérir, c’est des sentiments qui sont très beaux, très nobles, je ne rechigne pas à négocier avec ce sentiment d’amour. Il faut juste que ça vienne, qu’il y ait un contexte sonore, musical qui puisse l’accueillir pour que ce soit beau.
Ce goût du non-dit, d’où vient-il ?
Bertrand Belin : Ce n’est pas si volontaire que ça. On fait avec ce qu’on a. La pudeur, ce n’est pas une méthode. C’est une chose qu’on a ou qu’on n’a pas, comme la timidité, parfois une politesse, une peur. Tout cela fait qu’on s’exprime avec plus ou moins d’allant et de méticulosité. C’est le caractère un peu sacré des choses qu’on pose sur la page ou dans le disque, qui sont enregistrées et deviennent curieusement immuables. C’est problématique de dire une chose, qu’on est tenté de prendre ensuite pour capital. J’ai peur d’être mal compris.
Bertrand Belin: « On m’a souvent considéré comme un descendant de Bashung parce qu’il y a une part d’énigme et un certain hermétisme dans mes paroles, qui nous rapproche.Mais son cocktail sera toujours son propre cocktail avec une identité musicale inimitable.«
Dans la vie, vous êtes aussi comme ça ?
Bertrand Belin : Je pense. J’aime parler, échanger, avoir des conversations. Si je racontais mes expériences fondatrices d’enfant, d’adolescent, ça serait sinistre. Je suis obligé de contourner tout un matériau biographique qui est trop douloureux. Donc, il y a toute une part du récit qui est sous cloche. Il me reste ce qui me reste. A commencer par la poésie dans le sens d’un langage choisi. Je n’écris pas des poèmes, j’écris des chansons avec l’iconographie de la musique qui va dedans, la pop, le rock. Ce n’est pas de la poésie au sens sacerdotal du terme. Le fait d’apporter un soin particulier au travail de l’écriture, c’est ça peut être qui ramène à la poésie.
«Nuits bleues» est une chanson rock aux ambiances presque «bashungnienne», non ?
Bertrand Belin : Je comprends qu’on puisse se dire ça. Dans ce disque, il y a beaucoup de chansons qui évoquent des artistes, telle « Sur le cul » qui peut faire penser à J.J. Cale. On m’a souvent considéré comme un descendant de Bashung parce qu’il y a une part d’énigme et un certain hermétisme dans mes paroles, qui nous rapproche. Ce que je constate c’est qu’il est probable qu’on ait eu les mêmes passions à la fois pour la littérature, pour certains poètes contemporains, une certaine musique anglo-saxonne. Je pense que c’est dans ce qu’on cherche à éviter qu’on se recoupe un peu. Mais son cocktail sera toujours son propre cocktail avec une identité musicale inimitable.
Ecrire une chanson, un roman… que préférez-vous ?
Bertrand Belin : Ce n’est pas le même plaisir. Dans une chanson, il y a une part d’ »inaméliorable ». Il y a de la musique et la musique n’est pas un langage précis. Ce n’est pas comme les mots. On n’a pas tous le même alphabet en matière de mélomanie. Alors que pour la langue, on est plus nombreux à la pratiquer. Je peux abandonner des choses à la musique sans les maîtriser complètement. Je concède plus facilement une forme d’autonomie à la musique, que la marche d’un livre qui continue à produire des effets qui ne sont pas voulus ou inespérés. Ecrire un livre, c’est créer des mondes. Mon roman « Grand carnivore » c’est une création complète, ce n’est pas une œuvre d’historien, de sociologue ou de romancier se piquant d’y voir clair dans le monde dans lequel on vit. J’ai besoin de créer un monde pour faire exister mes actions, mes verbes dans un contexte qui se protège un peu de l’extérieur. La musique c’est le partage à l’inverse du livre où on se retrouve face à face avec soi.
Entretien réalisé par Victor Hache
Album «Persona» chez Cinq 7/Wagram Music. Tournée à partir du 26/02, Olympia le 11 avril. Roman «Grands Carnivores» Editions P.O.L