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Jane Birkin revient avec l'album "Oh! Pardon tu dormais". ©Nathaniel Goldberg

Interview. Douze ans après « Enfants d’Hiver », son dernier album de chansons originales, Jane Birkin revient avec « Oh ! Pardon tu dormais ». Un grand disque aux sentiments personnels souvent bouleversants, où elle se livre comme jamais, réalisé et composé avec la complicité d’Etienne Daho et Jean-Louis Piérot. Rencontre.


Jane Birkin: « Quand je regarde les photos, il y a des moments qui sont tellement jolis à voir, mais je ne me souviens pas d’avoir été comme ça. C’est comme si ce n’était pas moi »


Au bout du fil, il y la douceur de la voix de Jane, des souvenirs douloureux, des doutes et des fragilités, la joie aussi de pouvoir parler de son nouvel album « Oh ! Pardon tu dormais ». Douze ans après « Enfants d’hiver », son dernier opus de chansons originales, sur son enfance, Jane Birkin revient avec un grand disque aux sentiments profonds souvent bouleversants. Un album personnel où elle pose des mots délicats sur la mort tragique de sa fille Kate en 2013, parle de jalousie passionnelle, de regrets, de moments heureux, de coups de foudre fatal, de fantômes… Un opus où elle se livre comme jamais au travers d’un registre intime dont elle signe tous les textes en français et en anglais, d’une écriture fine et poétique, magnifiquement réalisé et composé par Etienne Daho avec la complicité de Jean-Louis Piérot : « Nous nous sommes tout donné, tout pris et je reste stupéfaite et sonnée par ce travail à trois. Nous sommes les parents de cette chose…et cela m’émeut » raconte Jane Birkin, icône de notre mémoire collective, qui dévoilera ses nouvelles chansons sur scène à partir de mai prochain.

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Jane Birkin revient avec le titre « Les jeux interdits », extrait de son prochain album qui sortira le 20 novembre

« Oh ! pardon tu dormais » arrive douze ans après votre dernier album de chansons originales « Enfants d’hiver ». Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de revenir ?

Jane Birkin : Je suppose que je n’avais pas l’inspiration, ni la nécessité. Tellement de choses sont arrivées en douze ans. J’ai lu les mots de Serge, sans la musique, avec Michel Piccoli et Hervé Pierre. J’ai traversé le monde avec eux, après la mort de ma fille Kate. Ensuite, il y a eu le concert Gainsbourg Symphonique qu’on devait jouer deux fois au Canada et en fait ça a pris quatre ans. Tout au long de cette période, Etienne (Daho) me demandait si je pensais que c’était une bonne idée de faire une adaptation musicale de « Oh ! Pardon tu dormais ». Il était très sensible et accroché à ce texte, dont il avait vu la pièce il y a une vingtaine d’années. Et lui aussi était occupé, il est parti en tournée, il y avait le disque de ma fille, Lou… J’avais écrit « Enfants d’Hiver » sur la nostalgie de l’enfance. Peut-être que c’était trop triste, trop introspectif et qu’il n’y avait pas d’énergie dedans. Il y avait juste une impression de tristesse, de mélancolie. Ça m’allait très bien parce que c’est sur ça que je voulais écrire. Je pense que c’est un album qui tient le coup. On a fait une tournée où on chanté que trois chansons du disque et le reste c’était des chansons de Serge.



Vous avez réalisé l’album avec un complice de la famille, Etienne Daho. Qu’aimez-vous de son style, de l’homme, de l’artiste ?

Jane Birkin : Je l’ai trouvé envoûtant à partir de son album « L’Invitation ». Je suis tombée en amour avec ce disque-là. Je le mettais quand il y avait des fêtes, des personnes qui venaient à la maison, juste pour être dans son monde. Il y a un côté en lui de soldat, quelque chose de courageux qui bataille. J’ai adoré quand il a chanté « Le condamné à mort » de Jean Genet, un texte tellement surprenant, avec une bataille pour la vie. C’est très séduisant quand on voit Etienne en concert. On a envie de courir avec lui, c’est très enthousiasmant.

La mélancolie qui traverse vos chansons, est-ce qu’elle vous habite également dans la vie ?

Jane Birkin : Ces textes-là viennent des amertumes, des regrets, des jalousies, des consternations de savoir que les coups de foudre n’existent pas. Tout ça, c’était comme j’étais il y a trente ans. Les chansons sur Kate sont évidemment mélancoliques. Et il y les fantômes, quelque chose que je trouve merveilleux, en fait. Ça doit être mon côté anglais, où je suis très attirée par Peter Pan. C’est peut-être une manière de retourner vers l’enfance, vers le réconfort de ses parents. Mais, je ne suis pas quelqu’un de triste toute la journée (rires). Dans le contact, l’autre me donne du peps et j’ai envie de le faire marrer, au contraire.

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Jane Birkin et Etienne Daho, pendant le tournage du clip « Les Jeux interdits », (photo) Romain Winkler/Vue du Phare Production

Il y a des moments très émouvants, comme les chansons « Cigarettes » et « Ces murs épais » dédiées à votre fille Kate. C’était important qu’elle soit présente quelque part dans l’album ?

Jane Birkin : C’était inconcevable qu’elle n’y soit pas. Quelque chose de si grave est arrivé, que cela a changé ma vie, comme cela a changé celle de Charlotte et de Lou et du fils de Kate, Roman, bien plus encore. Cela fait sept ans que je n’ai pas parlé d’elle. Charlotte a fait une exquise chanson sur elle. Moi, j’avais écrit ces chansons-là au dos d’un agenda à Lyon, dans un pic de tristesse, parce qu’elle me manquait. J’étais dans cet endroit où on met les morts et je me souvenais de ses pieds, de ses cheveux, de cette couleur extraordinaire de blond cendré, que j’ai vu pour la dernière fois plaqués contre son visage. Les visions d’accident sont toujours difficiles à effacer. Comment ne pas en parler ? J’ai pu montrer ces textes à Etienne, qui étaient un mélange entre « Cigarettes » et « Murs épais », dont le titre a été trouvé par lui. Il y a plein d’images de lui dans ces deux chansons, ce n’est pas que moi. Il les a mêlés à ces musiques qui étaient tellement inattendues, que cela donne un choc. Je n’aurais pas eu cette idée-là, c’est exactement comme ça qu’il fallait faire.



Vous êtes l’auteure de tous les textes, où se révèle votre écriture poétique. Aimez-vous écrire ?

Jane Birkin : J’ai adoré écrire avec Etienne. Quand on écrit un journal, c’est gai aussi parce que généralement dans la journée, on a été avec des personnes inspirantes. J’aime beaucoup montrer les détails chez les autres. J’adore les livres biographiques où il y a plein d’anecdotes. Récemment, j’ai lu sur Marie Reine d’Ecosse, Marie-Antoinette et Louis XVI et leurs enfants. J’aime bien les gens qui vulgarisent l’histoire. Je bénis « Secrets d’Histoire » et Stéphane Bern, tout comme dans la musique classique, je bénis Léonard Bernstein qui a su mettre Gustav Mahler à notre portée. C’est par ce biais-là qu’on est curieux d’apprendre.

Nous vivons une époque pas très joyeuse. Que vous inspire cette période de confinement?

Jane Birkin : Je ne suis pas quelqu’un d’inquiet. Je ne pense jamais que quelque chose de mal va arriver. Je ne suis pas morte de trouille à l’idée de sortir et mettre un masque, je trouve ça un peu normal. J’ai cette chance folle que mon disque peut sortir dans un petit créneau avant Noël, alors qu’on pensait qu’il fallait attendre jusqu’en février. Quand on voit les pièces de théâtre reportées, les salles fermées, c’est une telle difficulté, une telle frustration. Il y a tous ces petits endroits qui ne sont pas sûrs de pouvoir rouvrir. Mes pensées vont vers tous ces gens qui souffrent tellement de cette situation. Pendant le premier enfermement, j’étais coupée du monde, j’ai pris ça très au sérieux, je ne suis pas sortie. J’étais sage comme une image et je ne voyais personne. Deux mois, c’était long, mais j’ai moins souffert que d’autres. Je trouvais ça chiant.  



Vous arrive-t-il de regretter l’insouciance des années 1970, où tout paraissait plus léger ?

Jane Birkin : Je n’ai pas ce sentiment de dire « comme c’était bien avant ». Il y bien sûr le fait qu’on était jeune, qu’on était amoureux, que les enfants étaient petits. En même temps, il y a tellement d’autres choses historiquement parlant. Je pense que si on relisait les journaux de l’époque, il n’est pas sûr que l’on ait cette impression d’insouciance et de légèreté.

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Jane Birkin ©Adela Loconte/Shutterst/SIPA

Vous êtes une icône de notre mémoire. Quel regard portez-vous sur l’image, de la jeune femme qui a incarné la liberté et la féminité, en étant la muse de Serge Gainsbourg, avec qui vous avez formé un couple mythique ?

Jane Birkin : Je crois qu’on a beaucoup de mal à se replacer dans le contexte de nos vingt ans. Moi, j’ai un mal fou. Quand je regarde les photos, il y a des moments qui sont tellement jolis à voir, mais je ne me souviens pas d’avoir été comme ça. C’est comme si ce n’était pas moi. On a cru en moi, plus que je ne croyais en moi. Ça été une chance. La jeune-femme qui est arrivée d’Angleterre pour un premier film, qui ne parlait pas le français, avec sa fille toute petite, je ne m’en souviens pas. Récemment, je suis retournée rue de Verneuil avec Charlotte et j’ai été surprise par les dimensions de l’appartement, de voir que la cuisine était aussi petite. C’est comme quand on revient dans la maison de son enfance où on pensait que les plafonds étaient  plus hauts, que les portails étaient plus larges. C’est un peu comme si on était Alice et qu’on change de taille. Rue de Verneuil, c’est cette image que j’avais. Imaginer le souvenir de Serge dans cet endroit, qui était abîmé par le fait qu’il n’est plus là. Quand je regardais l’escalier, je me souvenais de lui mort, de Kate agrippée à Serge avec Charlotte et Bambou. La mort abîme la dernière vision de tout. Je n’ai trouvé aucun souvenir joyeux en retournant rue de Verneuil alors qu’il y en avait.



Comment avez-vous fait pour mener de front votre carrière qui va du cinéma à la chanson, au théâtre et l’éducation de vos trois filles…ça n’a pas dû être facile ?

Jane Birkin : L’éducation de mes enfants, il ne faut pas exagérer. Je les ai inscrites dans des écoles où j’espérais qu’elles seraient le plus heureuses du monde. Je regrette de ne pas avoir fait ce que j’avais envie de faire. J’aurais dû les mettre dans des écoles Steiner (écoles de pédagogie alternative). Pour Kate, cela aurait été tellement plus paisible d’avoir eu cette éducation-là plutôt que d’être taquinée à l’école, d’avoir les complications de parler français et en même temps d’avoir une mère qui était célébrée partout, avec toutes ses erreurs. Ça dû être très compliqué pour elle et pour Charlotte aussi. Je regrette de ne pas avoir été plus têtue que leurs pères qui voulaient qu’elles aillent au lycée, comme eux. Et puis, il y avait beaucoup de filles au pair qui étaient présentes à la maison, quand on sortait avec Serge jusqu’à 6 heures du matin. Peut-être qu’elles auraient préféré la maman que je suis devenue plus tard, quand j’étais avec Jacques Doillon. On vivait derrière les murs, il n’était plus question d’avoir des photos dans la presse, c’était une vie sauvage…

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Jane Birkin. Photo Abaca

Etes-vous consciente d’avoir été un modèle pour beaucoup de Françaises ?

Jane Birkin : Les créateurs de mode me disent parfois « c’est toi qui m’a inspiré ce Marcel, cette façon-là d’avoir des tennis ». J’ai dû mal à imaginer tout ça. Peut-être que c’est une grande chance aussi d’avoir été Anglaise dans les années 1960. On était tellement arrogants avec l’idée qu’on était les champions de la mode, du cinéma, de la musique. On n’en avait rien à cirer de la mode pour femmes riches de 35 ans, on avait le sentiment avec nos mini-jupes à 20 balles, que c’était nous qui avions raison de nous habiller comme on voulait.

Entretien réalisé par Victor Hache

  • Album « Oh! Pardon tu dormais » de Jane BirkinBarclay/Universal. Tournée à partir du 11 mai.

 

 

 

 

 

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