Interview. 18 ans après le succès de son premier disque « Quelqu’un m’a dit » et sept en après « Little French Songs », Carla Bruni revient avec un album confidences, qui réchauffe déjà l’automne. Un 5ème opus porté par le titre « Quelque chose », dans lequel elle chante l’amour, le désir et l’absence, entre mélancolie et poésie romantique, où l’émotion est souvent au rendez-vous.
Carla Bruni: « La part de moi, c’est juste le moment où je ressens quelque chose. Quand je me pose la question de savoir comment je choisis les chansons que je garde, finalement, je constate que ce sont celles qui sont écrites dans une émotion »
Carla Bruni aime la vie qu’elle sait traduire en chanson d’une écriture fine et fluide. L’ex-Première dame revient avec un nouvel opus de chansons originales, portant son nom. Un disque qui lui ressemble, sensible, romantique et mélancolique, où elle chante l’amour, le désir et l’absence, d’une voix légèrement voilée. Un album porté par le single « Quelque chose », tour à tour tendre et joyeux, aux douces ambiances acoustiques. Avec en prime une chanson en italien (« Voglio l’amore »), un rap-slam interprété en duo avec sa sœur l’actrice Valeria Bruni-Tedeschi et un titre écrit pour la première fois en anglais (« Your lady »). On y trouve également deux reprises, l’émouvante « Le garçon triste », chanson qu’elle avait écrite pour Isabelle Boulay et le standard espagnol « Porque te vas » qui figurera sur les éditions vinyle et collector de l’album, que Carla Bruni espère dévoiler en live, dès que les concerts pourront reprendre.
Vous n’aviez pas sorti de chansons originales depuis l’album « Little French Songs », il y a sept ans. C’est une longue absence…
Carla Bruni : C’est vrai, mais j’ai fait un disque de reprises entre les deux albums et une longue tournée que j’ai terminée en septembre 2019 à Séoul. En fait, ça m’a pris une énergie incroyable de faire cet autre album de standards (« French touch »), même si je ne l’ai pas écrit. C’est autre chose, plus un travail de chanteuse.
Vous revenez avec un opus porté par un très beau titre « Quelque chose », où vous posez la question de ce qui nous anime finalement. De quoi parle-t-elle au fond cette chanson, du moteur de l’amour qui nous gouverne tous ?
Carla Bruni : Du désir et de l’amour, non pas qui nous gouverne mais qui devrait nous gouverner. « Quelque chose de tendre s’est levé », c’est un sentiment. Pas besoin d’être Roméo et Juliette, de grande tragédie grecque. Il me semble que rester dans le désir et l’amour, ce sont de très bons refuges pour l’existence. Et le refrain est léger avec cette question « mais quel est donc ce quelque chose »… Pour moi les chansons, c’est un moment mythique quand je les écris, ça me rend joyeuse.
Une chanson, ça peut soigner ?
Carla Bruni : Cela peut résoudre en tout cas, quand on l’écrit et quand on l’écoute aussi. Moi, combien de chansons, pas forcément les miennes, ont résolu, je ne dirai pas les chagrins de ma vie, mais les ont portés, les ont consolés.
Vous avez une écriture sensible et fluide. On a l’impression que vous ne passez pas des heures à raturer vos textes, que cela vient assez naturellement, non ?
Carla Bruni : Cela vient naturellement pour ce qui est de l’instant, du moment où j’écris la chanson. J’écris quand j’ai une émotion. Après, je peux travailler sur le texte. Pour cet album, j’en avais écrit un peu plus d’une trentaine. Quand je me pose la question de savoir comment je choisis les chansons que je garde, finalement, je constate que ce sont celles qui sont écrites dans une émotion. Celles que j’écris de manière fluide, au fond, deviennent toujours mes préférées. Mais je suis assez naturellement laborieuse comme personne. Je n’écris pas un texte d’un trait, mais le visage du texte il est là tout de suite ou jamais. Et j’aime travailler à partir d’émotions fortes. Cela peut-être des émotions qui ne me concernent pas. Je peux écrire sur la vie de quelqu’un d’autre.
Quelle part y-a-t-il de vous dans vos chansons ?
Carla Bruni : La part de moi, c’est juste le moment où je ressens quelque chose. Au fond, si je ressens un thème au point d’écrire, qui peut-être banal, évoquer d’autres gens ou une situation qui n’a rien à voir avec moi, ça veut dire qu’il me concerne. Mais je ne débroussaille pas tout ça, sinon après imaginez ! (rires). Il ne faut pas trop intellectualiser.
Vous chantez « serons-nous tous des séparés ? ». La séparation, c’est une chose qui vous fait peur dans la vie ?
Carla Bruni : Oui, cela me fait vraiment peur. On est au fil de nos vies toujours soumis aux séparations, de notre jeunesse, de notre enfance. Je crains les séparations surtout celles qui sont fondamentales, radicales et irréversibles, comme la mort.
Parlez-nous d’Albin de la Simone, qui a réalisé votre album, avec qui vous avez collaboré pour la première fois…
Carla Bruni : Cela faisait des années que je rêvais de collaborer avec lui. J’aime son travail en tant qu’artiste, producteur, chanteur, auteur-compositeur. J’aime aussi beaucoup son travail en tant que dessinateur. Albin est très multiple. Je suis très heureuse qu’il ait accepté de faire cet album. Cela s’est passé vraiment merveilleusement bien. C’est quelqu’un de sensible et de très talentueux.
Il y a également une chanson sous la forme d’un slam – peut-être le premier de votre carrière – une chanson en italien « Voglio l’amore » avec votre sœur Valeria Bruni-Tedeschi. Un désir de revenir à vos racines ?
Carla Bruni : Un peu. Cette chanson et ce refrain me sont venus dans cette langue. Je me disais que je ne saurais pas écrire en italien parce que j’ai quitté l’Italie assez jeune, j’ai moins lu en italien de poésie et de littérature que je n’ai lu en français. Et donc, je ne m’étais jamais vraiment jetée à l’eau en italien. Mais ça été un bonheur.
Vous avez d’abord été mannequin dès l’âge de 19 ans. Accéder au rang de top model c’était un rêve depuis votre adolescence?
Carla Bruni : Je rêvais de travailler et surtout d’être indépendante. Le mannequinat m’avait semblé être une manière facile de trouver cette indépendance. J’adorais voyager, ça m’avait semblé être le job idéal. Je n’avais aucune capacité pour faire des études et je ne me sentais pas encore capable de faire de la musique à plein temps, sans savoir pourquoi. Mais le rêve de ma vie, vraiment, a toujours été la musique. Le mannequinat a été comme une joyeuse parenthèse et c’est devenu mon métier. Ce qui m’intéressait, c’était d’être indépendante et de pouvoir être libre.
Du coup, comment expliquez-vous que vous ayez été attirée par la musique assez rapidement ?
Carla Bruni : Peut-être parce que mes parents étaient tous les deux musiciens. Ma mère est toujours musicienne et vivante. J’ai baigné dans la musique et j’ai été attirée par elle dès l’enfance. Elle m’est familière. Je joue de la musique depuis que je suis petite fille. J’ai toujours aimé chanter des chansons…
Que préférez-vous, être parolière et écrire pour les autres ou bien interpréter vos propres chansons ?
Carla Bruni : La chanson est un autre moment quand on la chante, mais j’adore le moment de l’écriture. J’aime autant écrire pour les autres que chanter une chanson ou écrire les miennes. J’adore être seule dans mon petit studio où j’écris toutes mes musiques, avec ma guitare, le piano, les micros…J’aime ce moment d’écriture, de l’enregistrement des maquettes, quand c’est encore complètement secret. Et que ce soit pour moi ou pour autrui, j’adore les deux.
Les ambiances de vos albums sont assez mélancoliques. D’où vient cette mélancolie qui vous habite ?
Carla Bruni : J’ai l’impression que la mélancolie, c’est comme une couleur de cheveux ou de la peau que l’on a. Je pense qu’on est de nature mélancolique ou pas. On a des énergies dans la vie, que les gens sentent. Moi, je suis très joyeuse mais assez mélancolique, pour le plaisir (rires).
Le format chanson peut paraître court, parfois. N’avez-vous jamais songé à vous lancer dans l’écriture d’un livre ?
Carla Bruni : Non, parce que dans un livre il y a la musique de l’écriture, mais il n’y pas la musique. Et moi, j’aime la musique. C’est ça qui m’emporte ailleurs. J’écris les paroles, vraiment avec beaucoup de moi-même. Mais s’il n’y a que les paroles, c’est un poème, c’est la musique qui les emporte. Ecrire en prose ? Cela me tente. Mais comme je n’ai jamais essayé et que je me méfie beaucoup des choses qu’on n’a pas faites avant, je le ferai peut-être un jour et dans ce cas-là je pourrai en parler. Globalement, comme je n’ai rien fait encore, je me dis que je ne peux pas me lancer, car ce n’est pas la même écriture. Vous, c’est déjà différent parce que quand on est journaliste, c’est déjà de la prose.
Vous aviez écrit dans votre premier disque une chanson sur « Raphaël » (Enthoven), père de votre fils Aurélien. Qu’avez-vous pensé de son premier roman « Le temps gagné », qui fait grincer des dents…
Carla Bruni : Je n’ai pas encore eu le plaisir de le lire, donc, je peux pas vous répondre. Pour tout vous dire, on a été déconfinés au mois de mai, je devais rentrer en studio, finalement ça s’est passé le 9 juin. On a mis six jours à la place de quinze jours à trois semaines pour faire l’album. Ça été dingue, à la fois complètement précipité et merveilleux. Pendant qu’on était dans le confinement, j’avais déjà écrit 9 chansons et mon homme (Nicolas Sarkozy), il était en train d’écrire ce livre de 800 pages « Le temps des tempêtes », qu’il a écrit à la main. Je le voyais travailler, je n’en suis pas revenue. Après avoir enregistré l’album, essayé de tout boucler pour qu’il sorte le 9 octobre, je me suis écroulée en été. J’ai lu le livre de mon mari, qu’il ne me donne pas quand c’est encore en brouillon, comme si j’étais une étrangère (rires), alors que moi, je luis fais tout écouter et lire mes chansons encore en brouillon ! Et j’ai reçu le livre de Raphaël pratiquement quand j’ai commencé à faire la promo de mon album. Je ne l’ai pas encore lu. Donc, je ne peux vous répondre car, je ne suis pas quelqu’un qui fonctionne dans le ouï-dire. Je préfère me faire ma propre idée des choses.
Nicolas Sarkozy est votre premier fan. A-t-il une bonne oreille?
Carla Bruni : Ce que je sais c’est que son cœur bat pour la musique. Je ne sais pas s’il a une bonne oreille, mais elle est ouverte ! (rires). Il n’a pas fait de musique enfant, ne vient pas d’une famille de musiciens, mais ses trois fils et sa fille ont une fibre musicale très forte. Donc, quelque part, il doit avoir en lui un petit endroit philo-cognitif où la musique fonctionne. En tout cas, il adore la musique. C’est un auditeur précieux. Il est un grand fan d’Elvis, de Nina Simone, Ella Fitzgerald, Billie Holiday, mais il n’aime rien tant que la chanson française. C’est son truc préféré, donc ça tombe bien parce que c’est ce que je fais (rires).
Et vous, quelles sont les grandes figures de la chanson qui ont à jamais transpercé votre cœur ?
Carla Bruni : Il y en a tellement ! En ce qui concerne la chanson française, je dois dire que me suis remplie à ras bord à force d’écouter pratiquement que des génies. J’ai beaucoup écouté Ferré, Brel, Barbara, Brassens, Gainsbourg très jeune, dans les moments précoces de ma vie. Ensuite, dans les années 1980, j’ai écouté Murat, Souchon, Julien Clerc. J’ai absolument toujours écouté la variété française : Michel Berger, Balavoine, Goldman… Et puis, j’ai écouté des choses qui n’ont rien à voir avec moi, toutes les chansons anglaises transformées en français de Johnny. J’ai écouté également la totalité de l’œuvre de Leonard Cohen, qui est une de mes idoles, ou de Bob Dylan. J’aime toutes les chansons, les plus simples, les plus légères. J’écoute tout.
Carla Bruni: « Je ne crois pas beaucoup dans le changement des choses, des êtres humains. Je suis assez fataliste. Ce que ça m’inspire globalement, c’est Carpe Diem (profiter de l’instant présent), je trouve que c’est une bonne formule (rires) »
Vous avez été Première dame de France. Comment avez-vous vécu cette expérience de femme politique, qui vous a sans doute obligée à mettre entre parenthèses votre vie d’artiste ?
Carla Bruni : La vie d’artiste est assez réfractaire aux contraintes, aux censures et aux choses comme ça. Ce qui s’est mis en retrait, c’est le live, parce que je ne pouvais pas me permettre de faire des concerts, pour des raisons de décence et de sécurité. C’était la seule chose. Mais pour ce qui est de l’écriture, j’étais libre comme toujours. C’est difficile d’être sous contrainte quand on écrit, de se plier aux choses.
Aujourd’hui, vous êtes redevenue simplement Carla Bruni. Est-ce que vous vous sentez plus libre ?
Carla Bruni : Je me suis toujours sentie libre. C’est curieux d’ailleurs comme le fait de s’engager dans une relation très forte rend libre, en fait.
Nous vivons aujourd’hui une période particulière qui nous oblige à porter le masque en permanence. Que vous inspire notre époque, qui au fond, contraint nos libertés ?
Carla Bruni : C’est vrai. Je me dis que ce n’était pas la peine de s’inquiéter pour tant de choses dans la vie, parce que ce ne sont jamais ces choses-là qui arrivent. Donc, autant laisser faire, s’adapter aux situations et y mettre son énergie. A titre personnel, j’ai assez peu de vision, je ne crois pas beaucoup dans le changement des choses, des êtres humains. Je suis assez fataliste. Ce que ça m’inspire globalement, c’est Carpe Diem (profiter de l’instant présent), je trouve que c’est une bonne formule (rires).
Vous avez eu tout presque dans votre vie. Y-a-t-il un rêve que vous n’avez pas encore réalisé ?
Carla Bruni : J’ai eu surtout de la chance. Je voudrais juste que ça continue…
Entretien réalisé par Victor Hache
- Album « Carla Bruni » Barclay/Universal