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L'écrivain Tonino Benacquista AFP/Loic Venance

Roman. Dans « Toutes les histoires d’amour ont été racontées, sauf une » de Tonino Benacquista, pour échapper à la dépression et tenter de se reconstruire, un homme décide de se confiner dans sa « chambre obscure ». Il va ainsi fusionner avec son canapé pour regarder encore et encore des séries télé. Pour fuir- mais quoi ? Pour se perdre- mais où ?

« Toutes les histoires d’amour ont été racontées, sauf une », c’est le roman du confinement. Non pas le confinement conseillé parce qu’une vacherie de virus attaque sauvagement, mais le confinement pleinement consenti. Pour lutter contre la dépression parce que la promesse d’une nouvelle vie s’est, soudain, écroulée, conséquence d’un drame

couverture de toutes les histoires d'amour ont ete racontees sauf uneD’emblée, le narrateur prévient le lecteur : « Depuis sa disparition, Léo me manque. Lors de notre tout dernier échange, il m’a dit en s’adressant à ses parents et amis à travers moi : « Je vous quitte pour un monde meilleur ». Six mois plus tard, personne ne sait s’il est toujours en vie mais quelque chose me dit que sa formule, un rien mélodramatique, n’annonçait pas un suicide ». Le narrateur a raison : Léo est vivant, il a simplement tourné le dos au réel mais se glisse dans la chambre obscure pour y passer l’essentiel de son temps à regarder des séries télé. Léo le confiné, c’est le personnage principal de « Toutes les histoires d’amour ont été racontées, sauf une », le nouveau roman du souvent inspiré Tonino Benacquista, 58 ans, polyvalent de la chose écrite (romancier, nouvelliste, auteur de polars et de livres pour enfants, et scénariste pour la BD et le cinéma)…

     Auteur de jolis succès en librairie (« La Maldonne des sleepings »– 1989, « Les Morsures de l’aube »– 1992, « Saga »– 1997, « Malavita »– 2004,…), Tonino Benacquista évoquait récemment le personnage principales de « Toutes les histoires d’amour… » : « Léo est en rupture avec la vie réelle, il a été victime d’un accident, il cherche un sens à ce qui lui est arrivé mais ne le trouve nulle part. C’est un individu lambda dépassé par son époque, celle de la connexion permanente et de la réactivité immédiate, des réseaux sociaux ou de l’info en continu, avec sa flopée d’experts dont la plupart se contredisent. Le tout crée une cacophonie du sens, et au final, la parole se démonétise ».

De ce Léo, on va aussi apprendre qu’il bosse à la SNCF, qu’il entretient une relation sentimentale avec Angélique, qu’il a quelques amis et que, parfois même, il s’autorise quelques sorties… Bon, il a donc une vie bien réglée- mais ça, c’est pour la façade parce que Léo est double, le personnage lambda est un passionné de la photo- mieux, il est doué dans l’exercice, et son œil capte des moments du quotidien qu’il est le seul à repérer, à voir. Mieux encore : ce qui intéresse Léo dans cet art, ce n’est pas l’instant de la photo mais celui qui la précède, cet instant que lui seul voit… Ses clichés sont particulièrement réussis mais il ne songe pas un instant faire de ce don son métier. A son insu, le narrateur envoie des photos à des agences de presse qui veulent les acheter. C’est le début d’une nouvelle vie : fini la SNCF et Angélique, il va vivre de sa passion et rencontrer Gaëlle…

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Tonino Benacquista. Photo Francesca Mantovani

Un tâcheron plumitif se serait contenté de cette histoire, aurait tricoté (laborieusement, ça va de soi !) une bluette… Avec Tonino Benacquista, c’est à tout coup une autre affaire. Avec cet auteur, on est assuré d’un ailleurs. Même d’un voyage immobile. Disparaître pour trouver une vie meilleure. « Toutes les histoires d’amour… », c’est le roman du confinement. Non pas le confinement conseillé parce qu’une vacherie de virus attaque sauvagement, mais le confinement pleinement consenti. Pour lutter contre la dépression parce que la promesse d’une nouvelle vie s’est, soudain, écroulée, conséquence d’un drame.

Léo dans la chambre obscure, la « camera oscura ». Léo devant l’écran de télé, les yeux bouffés par les séries. Il y a, dans l’une d’elles (« Les chapitres de la vie d’Harold« ), Harold Cordell l’écrivain célèbre et doué, sachant tout raconter, genre : « Quand ton héros fait la tournée des bars, le lecteur finit bourré  » et qui lance une petite annonce : « Écrivain connu cherche héroïne romantique pour son prochain roman. » Harold Cordell qui trouve son idée proche du génie absolu puisque, après en avoir fait la promesse à sa femme sur son lit de mort, il lance un casting pour révéler celle qui saura lui inspirer une grande histoire d’amour. Mais problème, il n’a jamais réussi à créer un personnage féminin plausible- d’où le titre « Toutes les histoires d’amour ont été racontées, sauf une » qui pourrait bien être une référence à son histoire…

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Tonino Benacquista. Photo Francesca Mantovani

Parmi les autres séries regardées par Léo qui a fait fusion avec son canapé : « La Répétition » avec un héros qui peut vivre une seconde vie et tenter de trouver le bon choix face à un problème qu’on a déjà rencontré. Ou encore ce programme avec Rich / Richard, ce milliardaire qui, le week-end, se poste déguisé en SDF en bas de son immeuble. Et aussi cet autre avec des « alcolos » (des personnages que Benacquista apprécie grandement)…

Dans ce confinement, c’est un véritable maelstrom- l’auteur bouscule le récit, il emmène le lecteur dans une bonne centaine de séries, ça défile, c’est vertigineux, un « joyeux capharnaüm romanesque », rien que ça… et au fil des pages, Tonino Benacquista ne se prive pas de quelques clins d’œil et références appuyées à « Saga », un roman qu’il avait publié en 1997 et consacré à des scénaristes décrits en losers magnifiques… Encore Benacquista qui confie : « Quand on est confronté à un événement dans une fiction, on ne passe plus par l’intellect mais par l’émotion, et cette émotion-là ne peut pas nous mentir. C’est celle-là que Léo recherche. Hors du brouhaha, il est enfin à l’écoute de lui-même et de ses désirs profonds », et qui signe un grand télé-roman !

Texte Serge Bressan

  • « Toutes les histoires d’amour ont été racontées, sauf une » de Tonino Benacquista. Gallimard, 220 pages, 19 €.

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