zizi jeanmaire est morte
Zizi Jeanmaire

Disparition. Danseuse, muse du grand chorégraphe Roland Petit, son mari, artiste de music-hall, actrice, chanteuse… Zizi Jeanmaire l’interprète de « Mon truc en plumes », s’est éteinte à l’âge de 96 ans. Nous avions eu la chance de la rencontrer en 2003 à l’occasion de la sortie d’un livre-album revisitant la poésie de Marcel Aymé et de Raymond Queneau. Nous republions son interview en hommage à celle qui fut l’une de nos plus merveilleuses meneuses de revue, inoubliable dans le ballet « La Croqueuse de diamants », dont les jambes gainées de noir, les plumes, paillettes et la gouaille, ont fait vibrer le Tout-Paris et les parterres du monde entier.

Zizi Jeanmaire: « Quand on est entré à l’Opéra de Paris, très jeune comme moi (à l’âge de neuf ans), on apprend la compétition et on comprend vite le prix à payer. C’est l’école de la rigueur. La danse classique, ça ne pardonne pas »

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Zizi Jeanmaire en 1961. – AFP

On ne dira jamais assez la joie de vivre de Zizi Jeanmaire. Cet éclat de rire dont elle ne s’est jamais départie et qui, à bientôt quatre-vingts ans, lui fait afficher une gaieté que lui envieraient bien des jeunes premières.

Celle qui dans les années cinquante incarna Carmen et « La Croqueuse de diamants » à New York, ballets chorégraphiés par son mari qui la révéla, Roland Petit, a tout dansé ou presque. Elle a été la première danseuse française à introduire les pointes dans les spectacles de comédie musicale. Avec son Truc en plumes et son Cancan, elle a fait vibrer le tout-Paris et les parterres du monde entier, subjugués par ses jambes de rêves, et sa voix canaille.

Les adieux, ça n’a jamais été son truc. Zizi aime les lumières du music-hall, en témoigne aujourd’hui la sortie de « La Liberté est une fleur ». Un livre disque dans lequel elle revisite la poésie de Marcel Aymé et de Raymond Queneau à travers onze chansons, dont certaines sont reprises d’une de ses célèbres opérettes « Patron », créée au Théâtre Sarah-Bernhardt en 1959. Où l’on retrouve les musiques de Michel Legrand, de Guy Béart ou de l’accordéoniste Richard Galliano, dont on retiendra une mélodie, composée pour l’occasion, sur un thème de Chopin sur la bouleversante « Une vie sans toi ».

Un répertoire que d’ordinaire elle aurait défendu sur scène, elle qui peste aujourd’hui contre le mal dont elle est atteinte, la maladie de Ménière, laquelle lui occasionne des vertiges et d’atroces bourdonnements d’oreille. À défaut de l’admirer de nouveau, on écoutera donc son nouvel album à la maison. En souvenir de celle qui fut l’une de nos plus célèbres meneuses de revue et dont le nom  » Zizi  » parle encore aux nouvelles générations.

zizi jeanmaire et roland petit
Zizi Jeanmaire et Roland Petit dans le spectacle « La chanson de Zizi » le 17 décembre 1963.• Photo: AFP

Vous avez bien connu Marcel Aymé et Raymond Queneau, quel genre d’hommes étaient-ils ?

Zizi Jeanmaire. Marcel était quelqu’un d’un peu pointu qui mettait la société en boîte. Queneau également. Dans la vie, c’était des gens absolument charmants, comme l’était Boris Vian que j’ai bien connu aussi. Quand nous sommes partis en Amérique, Queneau est venu nous rejoindre pour la Croqueuse de diamants. Nous nous amusions beaucoup. On est resté huit mois avec les ballets pour Carmen (en 1949), ce qui n’avait jamais encore été réalisée par une troupe classique, avec le spectacle que Roland (Petit) avait créé à ce moment-là. Roland rêvait de faire un ballet avec des chansons. Il a demandé à Queneau, lequel a dit oui, tout de suite. Son écriture, comme celle de Marcel ne se démodera jamais. On ne peut pas trouver plus actuelle. On s’inspire beaucoup d’eux. Gainsbourg n’est pas loin de Queneau.

Pourquoi revenir à la chanson aujourd’hui ?

Zizi Jeanmaire. J’ai toujours chanté beaucoup. J’ai un répertoire magnifique. Si je pouvais remonter sur scène, je ne ferais que des chansons, comme ça les gens verraient que je n’ai pas fait que le Truc en plumes. C’est un merveilleux numéro qui a eu un succès fou dans le monde entier, que j’adore, mais ça cache un peu la forêt. Quand j’avais fait les Bouffes du Nord (pour « Java For Ever » en 1988) j’ai dit :  » J’en ai marre qu’on me parle de mes jambes et de mon truc en plumes. «  J’avais décidé de ne pas bouger durant tout le spectacle, sauf à la fin où j’ai bien été obligée d’interpréter ce numéro, et ça avait très bien marché.

Comment êtes-vous passé de la danse à la chanson ?

Zizi Jeanmaire. À cause de « La Croqueuse ». Nous étions en Amérique avec Roland. Nous allions voir tous les shows bien sûr. À l’époque, c’était My Fair Lady, etc. Tout à coup, il m’a dit : « Je veux un vrai ballet sur les pointes, et mettre des chansons dedans. » C’était une première, car avant il y avait eu des comédies musicales de Fred Astaire qui était génial avec Ginger Rodgers, mais pas sur les pointes. Après, il y a eu Gene Kelly… Ayant eu beaucoup de succès avec Carmen, je voulais enchaîner, me prêter à tout ce que Roland pouvait créer. Et comme il avait écrit la musique, les deux choses se sont mélangées. Je passais du ballet à la chanson. C’était unique pour une Française. J’ai fait du music-hall classique dans le sens où quand je faisais un show, il y avait une première partie où je dansais un ballet de vingt minutes sur pointes. Et dans la deuxième partie, je chantais avec les numéros. Aujourd’hui, on appelle ça un spectacle total, ça me fait rigoler, parce qu’en réalité, à l’époque je faisais tout. J’ai été prise d’amour pour le music-hall avec des danseurs classiques, des costumes d’Yves Saint Laurent qui s’interchangeaient sur des maillots. C’était extraordinaire. On a parcouru toute l’Amérique avec ça.

C’était une période faste du music-hall. Que pensez-vous des comédies musicales d’aujourd’hui ?

Zizi Jeanmaire. Il y en a de très bonnes, mais sur toute la quantité, il y a beaucoup de grosse artillerie. Je trouve que c’est très bien. Ça donne l’envie aux jeunes de chanter, ça révèle des jeunes artistes qui, je l’espère, feront quelque chose ensuite, apprendront à bouger sur scène. Quand ils font Star Academy, il faut qu’ils sachent que ce n’est pas si facile. Une carrière, c’est long, c’est toute une vie. Il faut avoir une base. Certains se font remarquer, telle Nolwen Leroy. Alors elle, elle chante. J’espère qu’elle fera une belle carrière. Pas besoin de chercher midi à quatorze heures, elle n’a qu’à chanter celle-là. Elle est magnifique. Mais ce n’est pas parce qu’on passe à Star Academy que l’on fait carrière. Ça demande un travail considérable et assidu. C’est un métier dur où rien n’est jamais acquis. D’ailleurs, je ne vois pas comment on peut le pratiquer autrement qu’en travaillant. Il n’y a pas un art au monde qui se fait comme ça, en soufflant dessus. Il y a une évolution qui vient avec l’âge, mille choses qui jouent, la vie qui vous apprend.

Vous, vous y avez consacré votre vie...

Zizi Jeanmaire. J’y ai passé mon existence. Quand on est entré à l’Opéra de Paris, très jeune comme moi (à l’âge de neuf ans), on apprend la compétition et on comprend vite le prix à payer. C’est l’école de la rigueur. La danse classique, ça ne pardonne pas.

Continuez-vous à faire des exercices à la barre ?

Zizi Jeanmaire. Je ne fais pas de barre, mais je m’étire. C’est un besoin, comme le pain et l’eau. J’ai besoin de faire des exercices. Et quand je n’en fais pas, je me sens très mal. Quand je fais mes exercices, je me sens renaître.

Yvette Chauviré, Noureev, Barychnikov… de toutes ces personnalités de la danse, laquelle vous a le plus marquée ?

Zizi Jeanmaire. Celui qui m’a le plus marqué, c’est Roland Petit ! (rires). Dès mon plus jeune âge, j’adorais ce qu’il faisait et j’ai senti qu’il ferait quelque chose, qu’il n’était pas comme les autres. Il m’a révélée avec Carmen. Je me suis réalisée grâce à lui. À l’Opéra de Paris, Yvette Chauviré, mon professeur, m’a bien éduquée alors qu’elle était encore première danseuse. Puis étoile, elle a continué à s’occuper beaucoup de moi. Je ne voyais que par et à travers elle. Ensuite, elle m’a amené chez Boris Kniassev, une merveille, un russe fou, génial. Lui a peaufiné mon travail quand j’avais seize ans. Parce que c’est pas le tout de faire des pas, il y a la manière. C’est comme dans la poésie, il faut savoir dire les vers avec grâce. Barychnikov, grand danseur évidemment : c’est un cas, quelqu’un d’étonnant. Noureev, c’était l’aura, la présence. Ils sont magnifiques. J’ai été très heureuse de danser avec eux. Mais mon partenaire avec lequel j’ai eu le plus de complicité, c’est Roland. Il y a un garçon, Luigi Bonino, avec lequel j’ai dansé, qui a du caractère avec qui j’avais beaucoup d’affinités. Aujourd’hui, il y a aussi des danseurs magnifiques à l’Opéra, je pense à Nicolas Le Riche. Un grand !

On sait très peu de choses sur vous. De quel milieu êtes-vous issue ?

Zizi Jeanmaire. Mes parents étaient des gens très simples. Mon père avec un ami avait créé une petite usine de chrome. Ma mère était à la maison. Elle adorait le théâtre et aurait aimé en faire. Mais à l’époque, ce n’était pas si évident. J’ai eu des parents qui m’ont beaucoup aidée. Mon grand-père qui avait appris à chanter aimait l’opéra. Il m’emmenait à Garnier. Et le jour où j’ai vu Roméo et Juliette de Gounod, je suis sortie complètement éblouie. Le décor de Garnier, le ballet… Je suis tombée en extase et je n’ai eu de cesse d’entrer à l’Opéra.

Quand on regarde les photos du livre que vous consacrent les Éditions Assouline, on s’aperçoit qu’il n’y a pratiquement pas une photo où vous ne souriez pas. D’où vous vient votre énergie ?

Zizi Jeanmaire. Je crois que j’ai hérité ce caractère de ma mère. Je réagis. J’aime vivre. J’adore la vie. Il m’arrive d’avoir des coups de pompes, d’avoir comme tout le monde de gros chagrins et de gros ennuis. On ne fait pas toute une vie sans connaître des aléas, des drames, des moments désagréables…

Comment fait-on pour rebondir ?

Zizi Jeanmaire. Je ne sais pas. C’est en soi. Il y a des gens qui face à l’adversité, s’effondrent. Et d’autres qui, au contraire, réagissent. Je fais partie de ceux-là. Je ne suis pas du genre à m’écrouler à la suite d’un échec, ou de quelque chose. Je me dis, on recommence. C’est vraiment de la veine.

Aragon, Saint-Laurent, Cocteau, Gainsbourg… On ne compte plus vos admirateurs. Comment avez-vous fait pour tous les charmer ?

Zizi Jeanmaire. Il faut croire que j’avais beaucoup de charme ! Saint Laurent m’a fait toutes mes robes durant trente ans. Ces gens-là n’étaient pas des petites pointures, pas commodes, il fallait que je leur plaise. Je me dis, maintenant que j’ai l’âge, que j’ai :  » Eh bien, c’est pas mal. Tu as eu plein de mecs autour de toi extraordinaires, doués, et qui t’ont fait mille cadeaux. «  Parce que c’est le plus beau cadeau qu’on puisse faire à une femme que de lui donner des chansons, de lui trouver un costume. Ça n’a pas arrêté. Mais c’est aussi grâce à Roland, qui a une écriture tout à fait particulière dans la danse classique. C’est un chorégraphe que l’on reconnaît entre mille. Il a une grande personnalité. Il aime tout, s’intéresse à beaucoup de choses. Encore maintenant, à quatre-vingts ans, il repart au Japon. Il vient d’avoir le prix Poutine (à l’occasion de son spectacle la Dame de pique, donné au Théâtre Bolchoï en juin dernier) c’est le premier Français qui l’a.

N’est-ce pas là, dans votre union avec Roland Petit, que réside le secret de votre force de caractère ?

Zizi Jeanmaire. Si forcément. Quand l’un de nous flanche, l’autre l’aide à se remettre. L’admiration dans un couple, ça compte énormément. J’ai fait beaucoup de choses dans ma vie pour le séduire, le (re)séduire, ne pas le décevoir, pour lui prouver que j’étais à la hauteur. Quand il me disait :  » Et si tu faisais une pièce de Feydeau ? « . Feydeau, c’est comme Marivaux, ce n’est pas facile. C’est comme ça que je me suis retrouvée à jouer le rôle de la Môme crevette dans la Dame de chez Maxim’s, en face de Pierre Mondy et de Jean le Poulain, à jouer la comédie. Il a fallu que je me défende !

Vous aimiez vous lancer des défis ?

Zizi Jeanmaire. Monter sur scène, c’est un défi. C’est un jeu de séduction énorme. Le public, il faut le séduire, sinon, ça ne marche pas.

Le nom, Zizi, est venu comment ?

Zizi Jeanmaire. C’est vrai que c’est curieux. Ma mère disait que j’étais son petit Jésus et moi je répondais : « Je suis ton petit Zizi. » C’est resté. Pendant longtemps, c’était Renée Jeanmaire sur les affiches, et puis un jour on a écrit Zizi Jeanmaire. J’ai laissé faire.

De quoi êtes-vous la plus fière ?

Zizi Jeanmaire. D’avoir fait une curieuse carrière, un peu polyvalente, faite de choses différentes et de les avoir réussies. J’étais douée, j’avais cette veine – on peut dire merci mon dieu – mais j’ai beaucoup travaillé. Je n’ai jamais rien entrepris sans me rendre compte de la difficulté que ça représente au départ.

Pardon pour cette question, mais vieillir…

Zizi Jeanmaire. On est obligé de faire avec. Il y a des hauts et des bas. Françoise Giroud a dit que c’était indécent de vieillir. C’est vrai. Il faut accepter le vieillissement, même si ça n’est pas très facile. C’est tout ce que je peux dire. J’aime les gens et la vie. On pense : « combien de temps ? » On se dit : « je vais quitter cette foutue terre qui a été belle pour moi, qui ne l’est malheureusement pas pour tout le monde. » Très égoïstement, on a du mal à accepter ce genre de chose.

Seriez-vous prête à défendre votre album sur scène ?

Zizi Jeanmaire. À cause de mes problèmes à l’oreille qui me donnent le tournis, je ne peux pas. C’est une chose épouvantable. Mais si je pouvais remonter sur scène, je le ferais avec un grand bonheur. Ne serait-ce que pour chanter Une vie sans toi. Je me vois sur un tabouret, dans un décor très chic, élégant. Ça donne un côté sophistiqué au spectacle. J’aime les choses esthétiquement belles.

Si c’était à refaire ?

Zizi Jeanmaire. Je le referais immédiatement, évidemment.

Entretien réalisé par Victor Hache

Album « La Liberté est une fleur », chez Actes Sud. À lire : « Zizi Jeanmaire », préface d’Edmonde Charles-Roux aux Éditions Assouline.

 

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