Livre/Interview. Professeur de médecine, chercheur et patron du service maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Tenon à Paris, Gilles Pialoux publie, à 65 ans, son premier roman : « Comme un léger tremblement ». Un roman aussi éblouissant qu’émouvant, avec un héros cloué, englué par la maladie de Charcot.
« Comme un léger tremblement » de Gilles Pialoux : un hymne à la vie
Il dit : « Je n’ai pas un plan de carrière ». Et encore : « Je souhaite écrire librement et légèrement sur des sujets de santé universels, même en partant de quelque chose de très noir… » A 65 ans, Gilles Pialoux déroule un CV étourdissant : médecin à l’Institut Pasteur et à l’hôpital Rothschild, patron du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Tenon, chercheur et professeur à l’université Paris-Sorbonne. En cet hiver 2022, il ajoute une ligne : romancier.
Avec « Comme un léger tremblement », un premier roman brillant, aussi lourd qu’un sac de plomb, aussi léger qu’une plume de soie voletant dans l’air. On ouvre le livre, on est emporté dans le port de Gênes, on s’apprête à prendre un bateau, direction la Sardaigne. Philippe, le personnage principal, va y croiser un vieux Sarde, ils ont la même passion pour les nuages. On y boit un peu d’absinthe… On lit : « Le lendemain, à 10 heures précises, le récit du voyage en Sardaigne s’arrêta net… Philippe était du voyage. Ce voyage existait bel et bien, mais il l’avait construit de ses pérégrinations ludiques et solitaires sur ses deux écrans d’ordinateur. Ecrans où la sclérose latérale amyotrophique (SLA)- appelée également maladie de Charcot- l’avait cloué, englué, statufié ».
Comme un léger tremblement, c’est le combat de Philippe, personnage aussi pétillant que lunaire, contre cette saloperie de maladie. Un combat de quatre ans qu’avec élégance et retenue, Gilles Pialoux nous fait partager. Un match que l’on sait, tout comme Philippe, perdu dès le coup d’envoi. Au fil des pages, tout y est- l’issue inexorable, les petites joies… et puis ce moment, ce jour où Philippe dira « stop ».
Son départ prendra quelques jours, Philippe glissera alors à sa femme, ses enfants et ses amis : « Je fais durer le plaisir ». Comme un léger tremblement pour un hymne à la vie- on rit, on pleure, « comediante, tragediante »…
Ecrire « Comme un léger tremblement » relevait d’une urgence, pour vous ?
Gilles Pialoux : J’ai 65 ans, c’est prioritaire pour moi ce roman… Prioritaire sur ma vie hospitalière, et je sais articuler plusieurs choses à la fois. Quand je faisais mon internat, j’ai été journaliste et médecin en même temps- à l’époque, j’étais beaucoup plus fou que maintenant, avec le cerveau coupé en deux… Là, c’est différent, il y a une cohésion pour moi, dans tout ça. Et le fait que le livre sorte en pleine crise du Covid, pour moi ce n’est pas de l’opportunisme. C’est une opportunité, dans cette période où il y a eu beaucoup de choses mobilisées- sur la fin de vie, les soins palliatifs, la place des personnes vulnérables… Des choses qui résonnent au livre et au personnage.
Pourquoi, pour évoquer la maladie de Charcot, avoir écrit un roman, et non pas un essai ?
Gilles Pialoux : C’est un roman, certes, mais il tracte des sujets de société- la fin de vie, ce personnage et ce combat… ça devrait intéresser pas seulement les chroniqueurs de roman ou les chroniqueurs santé, mais aussi l’information générale.
Dans votre roman, tout est vrai ?
Gilles Pialoux : Philippe, le personnage principal du livre, est inspiré d’une histoire vraie. Mais il y a également une partie fiction totale, les rencontres, les voyages… Et si l’hôpital où sera traité Philippe est un hôpital fictif, j’ai souhaité qu’il y ait des éléments ancrés dans la réalité. La fiction, dans le cas présent de ce personnage, ça permet la distance. Ça diminue la pression émotionnelle pour celui qui écrit, pour le narrateur… Je voulais un livre qui soit, à la fois, un hymne à la lenteur et quelque chose de vif comme une saillie parce que quatre ans dans la vie d’un adulte, ce n’est rien. Je voulais quelque chose d’assez court. Et que ce soit léger, aussi… Je pense en avoir fait quelque chose de très vivant, sur la faim de vie, sur l’appétit de vie.
Raconter Philippe et la maladie de Charcot, c’est votre réponse à celles et ceux qui crient au liberticide en cette période de pandémie « covidienne » ?
Gilles Pialoux : Oui, le personnage qui tracte le roman est une réponse à tous ces mots du moment, genre liberticide… Je me suis beaucoup énervé sur les plateaux télé sur ce mot liberticide mais là, avec la SLA, cette Sclérose Latérale Amyotrophique, vous avez exactement ce qu’est une maladie liberticide. La maladie de Charcot, ça remet les choses dans leur contexte, à leur place… Alors, ce climat en Europe avec ces gens qui se plaignent des restrictions… Je le répète, ce livre, ce n’est pas de l’opportunisme, c’est une opportunité.
Comment avez-vous mixé la partie fiction et la partie médicale, en gardant le côté romanesque et en évitant le traité médical ?
Gilles Pialoux : Là, ça a été un parti pris…. Comme le narrateur qui n’est pas identifié, j’ai la chance d’avoir un regard à plusieurs facettes sur la maladie. J’espère avoir utilisé ce regard dans mon livre- j’ai été journaliste médical, ça fait un regard décalé; je suis praticien et, comme tout le monde dans la vie on est parent de grand malade, c’est le regard de proche. Pendant les quatre années de la maladie de Philippe, je n’ai rien lu sur la LSA parce que je ne m’étais pas mis en position de médecin, mais en position de famille. Je n’avais pas envie de lire, c’est un truc qu’on dit toujours à un malade à qui on annonce un diagnostic : « surtout n’allez pas sur Internet », mais c’est la première chose que fait le malade en rentrant… Si vous regardez sur la maladie de Charcot, c’est sévère… Pour ne pas médicaliser le propos, il ne faut déjà pas être collé sur cette maladie-là, c’est terrible mais il y a très peu de références médicales. Ce n’était pas le but..
Votre précédent livre, « Nous n’étions pas prêts. Carnet de bord par temps de coronavirus » (2020), était placé du côté des soignants. Avec « Comme un léger tremblement », l’auteur que vous êtes s’est déplacé à côté du patient…
Gilles Pialoux : …et de l’entourage, aussi. Avec mon expérience familiale et de spécialiste du Sida, j’ai remarqué une chose incroyable : certaines personnes, avec des diagnostics sévères ou des fins de vie compliquées, transcendent le milieu proche… C’est très vrai de Philippe qui, comme une chrysalide, tisse un lien autour du groupe, la famille, les très proches et les amis, ceux qu’il appelle « le cercle des poètes apparus ». Et si ce groupe est complètement magnifié, c’est parce que, lui, Philippe en fait un groupe homogène, lié…. Si beaucoup de familles se déchirent face à la fin de vie et aussi après la fin de vie, avec Philippe c’est son univers qui tisse ce lien, c’est sa joie, son absence de plaintes, sa culture, sa poésie…
A l’exemple de Jean-Christophe Rufin, Antoine Senanque ou encore Martin Winckler, vous êtes à présent un médecin écrivain…
Gilles Pialoux : …mais moi, je ne me définis pas comme un médecin qui écrit, un médecin écrivant… Evidemment que mon expérience professionnelle y participe, mais ce n’est pas pareil d’être un médecin écrivain- si, toutefois, je reste écrivain !- et un médecin écrivant…
Entretien réalisé par Serge Bressan
- A lire : « Comme un léger tremblement » de Gilles Pialoux. Mialet-Barrault Editions, 178 pages, 18 €.
EXTRAIT
« Il avait découvert les nuages lors de ses promenades solitaires de « baron perché », tel qu’il se décrivait en référence au roman d’Italo Calvino. Après avoir franchi les barrières de sécurité des chantiers, il aimait y monter prudemment les paliers successifs des échelles métalliques pour se poster au plus haut des grues urbaines. Il avait débuté par de modestes grues de quartier. Puis des grues de plus en plus hautes qu’il escaladait non sans risque. Y passant de longues heures assis dans la cabine du grutier, contemplatif et libre, insouciant et rêveur. Profitant parfois d’une cigarette laissée là. Lorsqu’il n’en était pas chassé par la sécurité privée ou publique. Bien avant que les grues deviennent le rendez-vous de toutes les détresses du monde surmédiatisées… »