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Philippe Besson publie "Paris-Briançon", son 23è roman. (Photo) Maxime Reychmann

Interview. Depuis 2001, une fois l’an, il est au rendez-vous. Ainsi, en cette rentrée d’hiver 2022, Philippe Besson nous a glissé son vingt-troisième et nouveau roman : « Paris-Briançon ». Un train de nuit, une douzaine de personnages, certains mourront avant le lever du jour. Un huis clos à travers la plaine pour un grand roman à suspense. Un hymne à la lenteur et à la mécanique du hasard…

   La nuit, certains mentent. Surtout quand ils prennent le train à travers la plaine. D’autres ont manqué le train à grande vitesse, et se retrouvent compagnons d’une nuit avec un médecin qui va faire l’état des lieux de la maison de sa mère, une « working girl » et son enfant, un représentant de commerce un peu beaucoup balourd, un couple de retraités qui file en week-end ou encore un groupe de jeunes.

C’est « Paris-Briançon », le vingt-troisième et nouveau roman de Philippe Besson– c’est aussi l’Intercités de nuit n° 5789, départ à 20h52, arrivée le lendemain matin à 8h18. Une douzaine de personnages dont certains seront morts au lever du jour, une unité de lieu, de temps et d’action. Le roman du huis clos.

Les chapitres défilent, comme le train dans la nuit. Les paysages se laissent deviner dans la noirceur nocturne. On se regarde, on se jauge et, vite, on se parle. Chacun.e trimballe ses joies, ses peines, ses amours, ses tourments et ses non-dits. La « mécanique du hasard », si chère à l’auteur, a commencé son œuvre. L’ombre de la mort flotte dans ce train, avec le retraité qui souffre d’un cancer. Amitiés et amours se seront nouées durant cette onzaine d’heures qu’aura duré le trajet Paris-Briançon. Une onzaine d’heures, le temps suffisant et nécessaire à Philippe Besson pour sonder encore et encore l’âme humaine.

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Philippe Besson publie « Paris-Briançon », son 23è roman. (Photo) Maxime Reychmann

    Dès la deuxième page de « Paris-Briançon », vous annoncez : « Parmi eux, certains seront morts au lever du jour ». D’entrée, vous cassez le suspense…

    Philippe Besson. Je voulais passer un contrat avec le lecteur. Créer tout de suite une tension qui attire l’attention. Rappeler l’urgence existentielle.

  Comment vous est venu ce livre dont l’histoire se déroule dans un train de nuit ?

Philippe Besson. C’est parti de la lecture d’un article sur la réouverture de lignes de trains de nuit. Ça a relancé en moi des souvenirs de trains de nuit que j’ai empruntés dans ma jeunesse, le Paris-Briançon ou encore le Bordeaux-Vintimille. J’aime cette ambiance du train de nuit, il y a une ambiance, une promiscuité qui crée l’intimité. C’est très romanesque.



  Souvent, et encore pour ce nouveau roman, vous évoquez la « mécanique du hasard »…

Philippe Besson. J’ai beaucoup écrit sur le hasard, ce hasard des rencontres et ce qu’il fabrique. Une grande part de notre vie doit beaucoup au hasard. Nous affrontons des incidents, des accidents qui nous font bifurquer, changer de trajectoire… Ainsi, dans ce train de nuit, le hasard y joue un rôle essentiel. Il réunit, au départ, des gens qui a priori n’ont rien pour se rencontrer. Et pour l’écrivain, ça permet de mélanger les personnages, avec leurs origines et leurs personnalités différentes. Dans un train de nuit, on s’en remet au hasard…

Pour ce « Paris-Briançon », vous avez opté pour un procédé littéraire qu’on trouve plus au théâtre, avec unités de lieu, de temps et d’action…

     Philippe Besson. Oui, je reconnais, c’est théâtral. Mais là, dans ce train de nuit, il y a une dimension de comédie et de tragédie. On ne peut pas échapper à ce qui va se produire. Alors, pour le lecteur et pour moi l’auteur, ça crée une proximité. Peut-être parce que les personnages paraissent heureux, mais c’est une apparence, ils ont tous une blessure, un déni…

Très tôt dans le roman, vous avez annoncé que certains des personnages seront morts au lever du jour. Comment le romancier a–t-il choisi ceux qui allaient mourir ?

Philippe Besson. Je tiens à préciser que, pour « Paris-Briançon » comme pour mes précédents romans, je suis très attaché à mes personnages. D’ailleurs, il vaut mieux puisqu’on passe au moins six mois ensemble, le temps de l’écriture ! Donc, oui, il m’a fallu choisir qui allait mourir. Et pour ces disparitions, j’ai opté pour l’injustice. Faire mourir les personnages auxquels on avait le plus d’empathie… Et la mort peut venir de l’insoupçonnable, de l’inenvisageable. Il y a comme une ombre qui flotte…

   Après ‘’Arrête avec tes mensonges’’ , vous aviez confié que plus jamais, vous n’écririez comme avant…

    Philippe Besson. …et avec « Paris-Briançon », pour la première fois, j’ai écrit un roman à suspense. Un roman choral avec une douzaine de personnages, alors que jusqu’alors, mes livres tournaient autour de deux, trois personnages… A chaque roman, il me faut trouver des techniques narratives différentes et je tente des choses différentes même si je reste fidèle à ce qu’on appellerait ma « marque de fabrique » : creuser le sentiment et détecter la fragilité des êtres.

Evoquant « Paris-Briançon », des critiques parlent d’un « livre très cinématographique ». Comment réagit l’écrivain que vous êtes ? Pour vous, est-ce un compliment ?

        Philippe Besson. C’est d’abord un livre. Il y a le silence de l’écriture, celui de la lecture. Mais je suppose aussi que le livre fabrique des images. En fait, ce qui m’importe, c’est que, par exemple pour « Paris-Briançon », le lecteur soit dans le train avec les personnages. Il faut que le lecteur soit actif, que sa sensibilité y ait une grande part… C’est le charme utile de l’écriture, de la lecture.

Entretien réalisé par Serge Bressan

  • A lire : « Paris-Briançon » de Philippe Besson. Julliard, 210 pages, 19 €.

EXTRAIT 

« (…) elle est sortie tard du boulot et a juste eu le temps de passer en vitesse à l’appartement récupérer bagages et enfants.

      Tandis qu’ils remontent le couloir en direction de leur compartiment, Julia remarque deux hommes qui s’affairent dans celui qi précède le bar : le premier a des cheveux blonds, le second a l’air triste. Elle referme machinalement sa veste en faux daim, comme pour se protéger du possible désir de ces deux-là. Elle s’en veut aussitôt. Tous les hommes ne sont pas des prédateurs ou des violents »



Philippe Besson : « Mon Top 5 »

Dans une vie précédente, Philippe Besson fut juriste, a enseigné le droit social et été DRH dans un institut de sondage, un fournisseur d’accès internet et, pendant quelques semaines, un journal quotidien parisien. En 2001, changement de vie : il publie « En l’absence des hommes », son premier roman. Cet hiver, c’est « Paris- Briançon », son 23ème roman. De cette production, il présente, pour We Culte, le Top 5 de ses romans préférés.

philippe besson arrete avec tes mensonges1/ « Arrête avec tes mensonges » (2017) L’auteur aperçoit dans le hall d’un hôtel une silhouette qu’il croit reconnaître, celle d’un garçon avec qui il a eu une relation amoureuse compliquée dans sa jeunesse. Cette coïncidence extraordinaire (qui ne sera expliquée qu’à la fin du livre) est l’évènement déclencheur qui va faire remonter à la surface les souvenirs. C’était à Barbezieux lors de l’hiver 1984, l’auteur et narrateur, pour la première fois, tombait éperdument amoureux d’un camarade de lycée. Ils ont 17 ans, c’est l’année du bac et leur amour différemment partagé va durer 6 mois, après quoi chacun poursuivra sa vie selon une destinée différente.

Philippe Besson : « C’est le texte qui me ressemble le plus. La clé de mon parcours littéraire. C’est aussi un point de bascule dans mon parcours, tout comme dans ma vie personnelle ».

philippe besson paris briançon

2/ « Paris- Briançon » (2022) Le temps d’une nuit à bord d’un train-couchettes, une dizaine de passagers, qui n’auraient jamais dû se rencontrer, font connaissance. Ils nouent des liens, laissent l’intimité et la confiance naître, les mots s’échanger… et les secrets aussi. Derrière les apparences se révèlent des êtres vulnérables, victimes de maux ordinaires ou de la violence de l’époque, des voyageurs tentant d’échapper à leur solitude, leur routine ou leurs mensonges. Ils ne se doutent pas que certains n’arriveront jamais à destination. Un roman aussi captivant qu’émouvant, qui dit l’importance de l’instant et la fragilité de nos vies. Un roman au suspense redoutable.

    Ph.B. : « Il y a toujours une préférence pour le livre qu’on vient d’écrire. Je suis encore tout entier dans cet élan et cette dynamique qui me plaisent beaucoup. Il m’inspire encore beaucoup de fierté ».

en l'absence des hommes

3/ « En l‘absence des hommes » (2001) Durant l’été 1916, le narrateur, un adolescent de 16 ans, vit une intense histoire d’amour avec un voisin soldat en permission- avec gestes, caresses, regards, silences de l’Amour… et se lie d’amitié (amour platonique) avec Marcel Proust. Dans ce temps d’extrême tension, la passion entre les deux hommes apparaît comme une délivrance. Le texte concis, érotique et violent, se lit en regard de l’œuvre de Proust, « A la recherche du temps perdu ». Le roman appelle le questionnement sur la nécessité d’écrire et sur la transmission, via l’écriture. Une histoire poignante, délicatement emplie de langueur.

Ph.B. : « Mon premier livre. Il m’a fait naître comme écrivain. C’est un livre de naissance. De renaissance, je pourrais même dire… »

 arriere saison

4/ « L’arrière-saison » (2002) Inspiré de « Nightwalks », le tableau peint par Edward Hopper en 1942 avec une femme en robe rouge assise à un bar entourée de trois hommes, L’arrière-saison est un huis clos. Le café Phillies, Ben, le serveur, a connu Louise et Stephen à l’époque où ils étaient amoureux et vivaient ensemble. Il connaît tout de Louise car il l’a vu sombrer, souffrir, s’accrocher après leur séparation, mais sans jamais sortir de son rôle de serveur, accueillant les confidences sans juger. Stephen a épousé une autre femme, avec qui il a eu des enfants. Alors, comment, avec Louise, se reparler au bout de cinq années de séparation durant laquelle chacun d’eux a évolué de son côté ? Comment renouer le lien ?

Ph.B. : « Un exercice délicat. Il m’a été inspiré par une toile d’Edward Hopper. Ce livre m’a beaucoup accompagné. Il est habité par la mélancolie, un thème autour duquel j’ai, jusqu’à ce jour, beaucoup tourné ».

 le garçon d'italie

5/ « Un garçon d’Italie » (2003) Un roman en quatre parties qui, chacune, est ouverte par une épigraphe empruntée au « Métier de vivre » de Cesare Pavese. Trois narrateurs, qu’on découvre vite personnages principaux, se relaient pour rapporter une histoire. Avec un mystère à Florence, en Toscane. Il y a deux hommes, une femme. Il y a deux vivants, un mort. Et surtout les vivants ignorent la cause de la mort du mort qu’on a retrouvé aux trois quarts immergé et échoué sur la rive gauche de l’Arno, en contrebas du ponte Santa Trinita… On suppose une morte violente, et les trois- Luca, Léo et Anna-, portent le deuil. Un roman tout en épure…

Ph.B. : « Un livre que j’ai écrit voilà une vingtaine d’années. Je pense régulièrement à ses personnages auxquels je me suis attaché alors qu’ils sortent tout droit de mon imagination. Et puis, ce roman me ramène à tout coup à Florence… »


 

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