Rencontre avec Nicola Sirkis, leader d’Indochine, qui sort 13. Un album puissant, romantique et sombre, aux ambiances électro-berlinoises, où il évoque ses héros disparus (Bowie), le rêve d’ailleurs spatial ou l’actualité avec Trump le monde. Tournée à partir du 10 février. Concerts les 16, 17, 18 février à l’AccorHotels Arena, Paris 12e.
Quel sens donnez-vous à la pochette de votre album où l’on voit des enfants aux costumes colorés pas très souriants ?
Nicola Sirkis Elle est signée Erwin Olaf, un photographe contemporain extraordinaire. C’est une référence à l’écrivain et peintre américain Henry Darger (une des chansons du disque) qui a bâti une œuvre incroyable. Il était précurseur de l’art brut et a inventé un monde à lui, une nouvelle planète. Les enfants sont confrontés à la violence des adultes. Ces jeunes filles semblent nous dire : « Maintenant, ça suffit. On en a bavé, c’est nous qui allons diriger le monde. »
Est-ce à dire que vous trouvez que le monde est sombre ?
Nicola Sirkis Aujourd’hui, c’est encore plus compliqué que quand on a terminé l’album Black City Parade. Le monde est entré dans un chaos indescriptible. Depuis deux ans, on vit des périodes de sidération, de déprime, de mélancolie et de tristesse. La vie est belle, mais elle est cruelle aussi. Il fallait donner un sens à tout cela.
Dans Black Sky, le personnage part pour une autre galaxie. Vous pensez qu’on pourra vivre un jour sur une autre planète ?
Nicola Sirkis C’est l’histoire d’un gars qui pète les plombs, coupe les communications et s’en va avec son vaisseau. J’avais vu pas mal de films de science-fiction très forts, Interstellar, Seul sur Mars, Gravity, qui évoquent ça. J’espère qu’on pourra vivre un jour sur une autre planète. Je rêverais que des extraterrestres viennent expliquer à la Terre entière : « Les mecs, calmez-vous, c’est nous qui nous avons façonnés. Vous êtes une expérience, maintenant aimez-vous les uns les autres » (rires). L’exploration spatiale est quelque chose qui me fascine. Elle nous fait nous échapper.
Donc, il y a de l’espoir…
Nicola Sirkis Bien sûr. Il y a de l’espoir en Autriche, qui a failli tomber dans les mains de l’extrême droite. Aux Pays-Bas aussi, un des pays les plus démocratiques, ouvert sur tout : le mariage transgenre, la drogue, etc. Heureusement, ça été balayé. Et aux États-Unis, Barack Obama avait réussi à changer l’opinion que nous avions des Américains, avec des gens qui tout à coup paraissaient plus cool, même si là on est reparti en sens inverse.
D’où la chanson Trump le monde ?
Nicola Sirkis J’ai eu envie d’en faire une métaphore caustique. Trump, c’est un pétard mouillé. En 2003, George Bush arrivait en France. Nous, on faisait notre premier Bercy, et je disais : « Un doigt pour George, un doigt pour Bush ! » Je suis tombé sur cette chanson des Pixies, Trompe le monde. Je trouvais que ça collait bien à Trump. C’est sidérant qu’un homme comme lui soit arrivé à la tête de ce pays.
Cela fait plus de trente-cinq ans qu’Indochine existe. Pas trop difficile de se renouveler ?
Nicola Sirkis On est des survivants. Entre les années 1980, 1990, 2000 et aujourd’hui 2017, quand on compare un album d’Indochine avec un autre groupe, on ne se sent pas du tout démodés. On a cette chance de ne pas être largués. On a encore des références sans nous catapulter comme le groupe parrain de la pop. On n’a rien à faire de ça. On vit juste notre truc. Notre plus grosse récompense, c’est la tournée, le public. Et là, effectivement, les pendules sont à l’heure.
À qui pensez-vous quand vous dites, dans Station 13, « tous mes héros sont morts, je me raccroche à qui ? ».
Nicola Sirkis On arrive à un âge où, effectivement, des gens qu’on a vénérés, qui nous étaient proches, disparaissent les uns après les autres. Je n’aurais pas été là si je n’avais pas apprécié Bowie. C’est vraiment une de mes sources principales d’inspiration, si ce n’est « la » source d’inspiration, même si je n’ai pas voulu faire du Bowie. Il y a aussi Salinger, qui était un de mes écrivains favoris. Quand je chante Je me raccroche à qui ? c’est une façon de dire « qui va encore me donner un coup de pied au cul pour avancer? »
La scène, c’est toujours aussi vibrant pour Indochine ?
Nicola Sirkis C’est l’espace de liberté qui nous reste et qui, franchement, est le plus intéressant, le plus motivant pour nous. Faire des chansons, c’est déjà extraordinaire, mais c’est très égoïste. On est entre nous. La scène, c’est le partage avec des milliers de gens. Et ce public nous donne le pouvoir d’instaurer une règle de démocratie fraternelle dans nos concerts. Il y a une émulation incroyable. On n’est pas beaucoup de groupes à vivre des moments aussi forts dans des stades.
Album 13/Sony. Tournée à partir du 10 février. Concerts les 16, 17, 18 février à l’AccorHotels Arena, Paris 12e.