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Christian Bobin nous arrive en version posthume avec "Le Murmure" (c) Francesca Mantovani

Livres. Alors qu’en novembre 2022, il glissait dans cet autre monde d’où l’on ne revient pas, Christian Bobin terminait dans une chambre d’hôpital son dernier livre. En ce début d’année, il nous arrive en version posthume. Dans « Le Murmure », il est question de musique, d’étourneaux, d’ambulancière… d’amour et de mort, aussi. Un grand moment de littérature.


Christian Bobin « Le Murmure » : Un texte amour, à mort. Un texte hommage à l’écriture, au langage


Christian bobin
Christian Bobin (c) Francesca Mantovani

Il est des mots doux, comme posés sur les ailes d’un ange. Là, on y entendrait une nocturne, une fantaisie ou encore une étude de Frédéric Chopin sûrement interprétée au piano par l’immense interprète russe Grigory Sokolov. Ici, simplement, on lira « Le Murmure », le livre posthume de Christian Bobin, parti à jamais à 71 ans le 24 novembre 2022.

Un texte amour, à mort. Un texte hommage à l’écriture, au langage : « Tu es venue et tu as brisé ce miroir. Tu m’as rendu au secret du langage. Je suis redevenu l’inconnu que j’étais pour moi-même autrefois »

Dans ce livre ultime mais certainement pas écrit dans l’urgence de la fin inévitable, Christian Bobin évoque les étourneaux, ces oiseaux qui, lorsqu’ils sont confrontés à un obstacle, séparent la nuée en deux et la reforment, une fois ledit obstacle passé- ça s’appelle le « murmure »…

Dans une époque où paltoquets et foutriquets de la chose écrite se proclament poètes, pratiquants du vers libre, Christian Bobin est passé en toute humilité, en toute modestie.

Jamais, il ne s’est présenté poète : « Les faussaires de la poésie sont les coucous de l’écriture. Ils sont nos pires ennemis. Je ne parle pas des mauvais poètes. Non : je parle de ceux qui prennent la défroque du poète pour mieux servir le monde. L’époque les multiplie ».



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Ses textes, à l’image de ce « Murmure » étourdissant, sont emplis d’amour et de mort, qu’ils évoquent sa compagne devenue sa femme neuf jours avant sa mort, l’abbatiale de Conques, le peintre Pierre Soulages ou encore une ambulancière.

Dans un entretien précédant la parution du « Murmure », sa femme poétesse Lydie Battas a confié : « J’ai vécu au paradis avec un ange ». Et d’ajouter : « A l’instant où j’ai connu Christian Bobin, je suis devenue sa disciple. J’ai tout de suite vu que j’avais à faire à tellement plus grand que moi ! J’ai voulu comprendre comment il écrivait. J’ai voulu étudier ses incroyables changements de style, ces trous d’air qui furent si souvent critiqués. Pour comprendre l’écriture de Christian Bobin, il fallait d’abord le comprendre, lui… »

Avant de le consacrer et se quasi-prosterner sur son passage, les hypocrites du monde littéraire l’ont longtemps raillé : ils qualifiaient ses textes de « béta » et le tenaient pour un « béat », avec cette pointe de condescendance dans la prononciation.

Il a suffi d’un succès d’un texte somptueux, « Le Très-Bas », paru en 1992, pour que les girouettes « littéraires » prennent le sens du vent. Bobin n’en avait que faire- pourquoi ? Il nous en offre sûrement la réponse dans « Le Murmure » : 

« -Qu’est-ce que tu fais dans la vie ?

-Moi ? Rien. Je réfléchis sur ce qu’est un sourire, un vrai sourire.

-C’est tout, rien d‘autre ?

-Non, rien d’autre, mais ça me prend tout mon temps. Il me semble que si je découvre de quel abîme étoilé remonte vers nous un vrai sourire, alors je n’aurai perdu ni mon temps ni ma vie ».

Ou encore :

« -Qu’est-ce qui t’aide à vivre ?

-Rien. Ah si peut-être : écrire. Tirer les moustaches du tigre. »

Christian Bobin, c’était, c’est et ce sera le murmure d’« âme à âme ». Le vrai sourire. Les vraies larmes, celles qui sont sans raison. Les petites choses, les petits riens- tout ce qui murmure, tout ce qui, un jour loin du tumulte, par la seule grâce d’une sonate interprétée par Grigory Sokolov ou du chant des hirondelles, transporte définitivement vers le mot, vers l’écriture, vers le langage.

Tout cela magnifié par l’amour et l’optimisme glissé entre chaque mot. Dans des pages toutes emplies de beauté, l’auteur (se) raconte : souvenirs d’enfance, première rencontre avec l’objet livre, débuts en écriture, isolement, silence dans une chambre… Une chambre d’hôpital où l’on finit le parcours, où l’on est happé par des questions métaphysiques, où l’on accepte (sagesse ?) le grand départ… Amour, à mort, encore et toujours dans un livre-murmure…

Serge Bressan

  • A lire : « Le Murmure » de Christian Bobin. Gallimard, 144 pages, 17 €.

EXTRAIT

« Mon bébé-minotaure, plus tard tu reconnaîtras ce silence dans les livres et sur la tache de vin du rouge-gorge. Ne m’écoute pas moi, écoute ce silence dont ma voix dans la nuit est la servante irréprochablement imparfaite. Je compte pour rien ma vie et pour tout le poème, si on veut bien entendre par ce mot une rage de douceur. (…).

Ma petite momie de lumière, tes rondes joues, avinées de lait blanc, je suis ta mère qui ment et ne ment pas. Si ma douceur aux portes de ton sommeil est si puissante, c’est parce que la vie m’est insupportable. Parfois je ne crois même plus en toi. Ce désastre dure une seconde… »


 

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