Le book club de We Culte/Christophe Perruchas. Pour son troisième roman, La fabrique des timidités, Christophe Perruchas a choisi de nous ramener au début des années 1990. Son narrateur – qui s’appelle Christophe – a alors 17 ans et va passer ses étés à vendre des chouchous sur une plage de Vendée, tout en rêvant à Anne, restée à Nantes. Émouvant !
Notre note
★★★★ (On a adoré)
Christophe Perruchas, grâce à sa prose hachée, tendue, sensorielle, qui refuse l’épanchement, saisit avec une précision implacable les vibrations de l’adolescence
Christophe a failli passer le bac. Aujourd’hui il est en galère, cherche du boulot dans une ville sinistrée et finit par entendre parler d’un job d’été à Saint-Jean-des-Monts, en Vendée : vendre des chouchous sur la plage. Comme il n’a guère le choix, il part en stop avec sa copine Lysiane, direction la plage.
Une fois la tente plantée, Michel lui donne ses inscriptions, distribue matériel et marchandise et détermine son secteur. Ce sera une longue plage, ce seront des kilomètres à arpenter sous le soleil. Le contrat est simple, pour chaque paquet vendu, c’est un franc d’encaissé. Dans l’équipe, les meilleurs se font jusqu’à 400 francs par jour. Au fil des jours, il va apprendre à les connaître, les Lapin et son frère Didi ou encore La Oie. Un surnom qu’il mettra du temps à comprendre, mais qui lui sera d’une aide précieuse.
Leur quotidien est désormais bien rodé, la vie camping, les bières, les siestes, la plage et surtout les sorties au bar et en boîte, quelquefois trop arrosées ou accompagnées de substances illicites. D’où quelques dérapages.
Dans cette ambiance, et après les premiers déboires, Christophe fait mieux que tenir le coup. Il devient gentiment l’un des leaders de la bande.
Il conserve aussi son jardin secret, des carnets et des lettres qu’il adresse à Anne, son amour. S’il est un peu gauche, s’il parle peu, il ressent beaucoup les choses et les gens. Durant sa trajectoire initiatique, il va certes apprendre et gagner en assurance, négocier sa place à coups de regards, d’ironie ou de silence. Là où les liens se font et se défont au rythme des bières partagées, des embrouilles évitées – « L’amitié et les roches sombres qui affleurent » – il entend rester fidèle à son premier amour, même s’il semble de plus en plus illusoire au fil du temps.
Grâce à sa prose hachée, tendue, sensorielle, qui refuse l’épanchement mais saisit avec une précision implacable les vibrations de l’adolescence, Christophe Perruchas réussit une nouvelle fois à emporter son lecteur.
Après Sept gingembres (2020), qui explorait les zones troubles du désir masculin dans un sauna gay et « Revenir fils » (2021), long chant de deuil et de reconquête, adressé à un père disparu, voici un troisième roman dans lequel la parole empêchée occupe le centre du récit.
Il capte à merveille ce moment flottant où l’on n’est pas encore un adulte — et où le monde, immense, semble attendre qu’on parle enfin. Mais que dire quand on a grandi en esquivant les coups, les regards, et même les caresses ? Que dire quand on a appris à se taire pour survivre ? Roman bref, dense, d’une beauté rugueuse, « La fabrique des timidités » laisse une trace durable : celle d’une voix qui connaît les silences, les excès, les limites — et qui les transforme en littérature.
Henri-Charles Dahlem
- Retrouvez cet article ainsi que l’ensemble des chroniques littéraires de Henri-Charles Dahlem sur le site Collection de livres
- « La fabrique des timidités« Christophe Perruchas. Éditions du Rouergue. Roman 288 p., 21,80 €. Paru le 07/05/2025
À propos de l’auteur
Christophe Perruchas est né en 1972 à Nantes. Directeur de création, il a travaillé dans quelques grandes agences de publicité parisiennes. Il a également ouvert des épiceries et un restaurant avec trois amis. Il est aussi papa et allergique au pollen de platane. Après un premier roman publié en 2020, Sept gingembres, finaliste du prix de Flore, il a publié en 2021 Revenir fils, numéro 1 du palmarès des Explorateurs de la rentrée littéraire de la fondation Orange et en 2025 « La fabrique des timidités« . (Source : Éditions du Rouergue)