LIVRES/Interview. A la Fête du Livre de Bron, c’est Clara Arnaud qui a été choisie pour recevoir le Prix Summer 2024 pour son roman « Et vous passerez comme des vents fous ». Ce prix est décerné par un jury composé de plusieurs centaines d’adhérents des bibliothèques de la Métropole de Lyon. L’autrice avait de solides concurrents comme Rachid Benzine (« Le silence des pères ») ou Pierric Bailly (« La foudre »). Les lecteurs lyonnais ont préféré ce roman qui raconte la montagne et sa faune, en l’occurrence les Pyrénées, ses troupeaux, ses chiens et ses ours. Entretien.
Clara Arnaud : « Je cherchais en France des espaces de montagne qui soient encore sauvages »
La romancière Clara Arnaud est une grande voyageuse qui connaît bien l’Asie Centrale. Elle a trouvé en Ariège un territoire riche de paysages préservés du tourisme de masse et d’habitants qui y vivent et y travaillent toute l’année. Deux personnages prennent une place majeure dans ce roman « Et vous passerez comme des vents fous » : un berger et une éthologue spécialiste de l’ours, tous deux grands passionnés de cette montagne pyrénéenne. C’est un beau récit que nous propose l’écrivaine, instructif et très émouvant. Rencontre avec l’autrice à la Fête du Livre de Bron.
Après vos nombreux voyages si lointains, comment êtes-vous arrivée dans les Pyrénées où vous avez situé votre roman ?
Clara Arnaud : Je cherchais en France des espaces de montagne qui soient encore sauvages. Des espaces pas encore colonisés par l’industrie du ski ou les résidences secondaires qui ont complètement dénaturé les Alpes. Je connaissais l’Ariège et j’ai trouvé là des espaces de montagne où les gens vivent à l’année et où le tourisme n’est pas l’activité dominante. Sans avoir le caractère de sanctuaire d’un Parc National, on y trouve de la faune sauvage en abondance. Dans cette région il n’y a qu’un parc régional dont la réglementation d’usage est beaucoup moins stricte. Mais il y a beaucoup plus de faune car les usages humains sont moins intensifs. Ce sont des montagnes avec beaucoup de forêts, des pentes très raides peu fréquentées.
J’avais envie de trouver un refuge dans une région comme celle-là. J’y ai donc acheté une petite maison et j’ai décidé d’écrire sur ce territoire qui se trouve être le territoire où se concentre la plus grande partie de la centaine d’ours qui vit dans les Pyrénées entre la France et l’Espagne. Le lieu a été choisi indépendamment de mon livre mais en m’y installant s’est imposée l’idée d’écrire à partir de ce territoire-là.
Pourquoi n’avez-vous pas imaginé une rencontre entre le berger et l’éthologue, vos deux personnages principaux ?
Clara Arnaud : Je voulais raconter la rencontre des humains avec les ours ou les animaux domestiques. J’avais envie que les animaux et la montagne soient les vrais points de rencontre entre mes personnages. Le berger et l’éthologue ne devaient donc que se croiser. Ils occupent un même territoire mais je n’ai jamais envisagé qu’il se noue entre eux une romance, même si c’était une option assez évidente sur le plan romanesque. Je préférais qu’ils s’évitent ou se croisent car ils sont tous les deux hantés par la montagne qui est leur grande passion.
Comment avez-vous acquis une telle connaissance de leurs métiers ?
Clara Arnaud : Je côtoie le monde pastoral depuis que j’ai 18 ans. J’ai séjourné en Asie centrale dans des régions où il y a beaucoup de pastoralisme et j’ai passé beaucoup de temps avec des bergers. J’avais une grande familiarité avec ce que c’est que de vivre avec des bêtes et de veiller sur elle, ces invariants qu’on trouve partout dans le monde. En France je connaissais moins la profession et j’ai donc pris du temps pour nouer des contacts voir même des amitiés, accompagner des bergers et participer à certaines estives sur trois saisons.
Pour la partie concernant l’éthologie et les scientifiques, j’ai eu pas mal d’échanges avec des gens qui travaillent dans des organismes comme l’OFB (Office Français de la Biodiversité) et j’ai des amis éthologues qui m’ont beaucoup renseigné sur leur métier et leurs pratiques. J’ai aussi accompagné des gens qui réalisaient sur le terrain le suivi de la population des ours.
Quelle place donnez-vous aux animaux dans votre récit ?
Clara Arnaud : J’avais envie que les animaux aient une place prépondérante dans mon livre. Les chiens sont très présents parce qu’ils accompagnent les bergers dont ils sont quasiment des collègues de travail. Ces animaux domestiques ont gardé une sensibilité et une perception infiniment plus développées que les nôtres dans un milieu naturel. Être en montagne avec un chien ou un cheval, pour peu qu’on sache observer ses réactions et les décoder, c’est une manière de devenir plus vigilant. Les patous qui veillent les troupeaux ont une très grande capacité à décrypter ce qui se passe sur le terrain alors que nous avons, nous, besoin de toutes sortes d’artifices comme les caméras vidéos
Quel regard portez-vous sur la mise à mort d’un animal ?
Clara Arnaud : C’est une scène à laquelle j’avais assisté en Asie Centrale quand j’avais 18 ans. J’avais pensé qu’une scène de mise à mort serait traumatisante pour moi. En fait je l’avais trouvé très belle car elle s’était faite très vite avec beaucoup de délicatesse. La mise à mort dans les abattoirs est une abomination mais cette mise à mort avec beaucoup de respect, par une personne qui a élevé elle-même une bête, cela m’avait beaucoup touchée. Il se jouait là une sorte de pacte entre le troupeau et le berger, comme si le troupeau acceptait un jour de donner une bête pour être protégé le reste du temps.
Que percevez-vous dans le regard d’un animal ?
Clara Arnaud : Quand on ne les connaît pas, on prête aux brebis et aux agneaux une sorte de bêtise. En les côtoyant, j’ai découvert que, comme tous les animaux, ils sont très expressifs avec de fortes personnalités et une capacité à transmettre des émotions. .
Quel est votre point de vue sur la préservation de l’ours dans la Pyrénées ?
Clara Arnaud : La préservation des ours n’est pas une lubie de citadins. Il y a beaucoup de montagnards et même des bergers et des éleveurs qui sont favorables à ce qu’il y ait des écosystèmes complexes incluant des prédateurs.
L’ours est très différent du loup car c’est un animal omnivore qui consomme peu de viande et fait donc beaucoup moins de dégâts. Il ne chasse pas en meute et consomme essentiellement des larves et des fruits. Je ne me prononcerais pas sur le loup car la présence de l’ours est beaucoup plus facile à gérer et j’ai essayé de ne pas prendre parti dans mon roman .
Que peut-on faire pour améliorer la relation entre les éleveurs et les ours ?
Clara Arnaud : Je suis intimement convaincue que si cohabitation il y a, cela ne se fera qu’en améliorant la connaissance de l’espèce. En effet on connaît mal les ours. Or je constate qu’il y a très peu de travaux scientifiques dans les Pyrénées. Si on n’apprend pas à les connaître, s’il n’y a pas de travaux d’éducation à son sujet, on ne peut pas cohabiter. A l’inverse, ces gens qui arrivent des villes n’ont rien compris quand ils disent aux bergers qu’il leur suffit de « prendre trois chiens » pour régler les problèmes. Ils ne savent pas ce que c’est que la peur, de ne pas dormir la nuit, d’avoir des bêtes qui tombent d’une falaise, d’autres qui sont trouvées égorgées le matin.
Votre expérience vous permet-elle de prendre parti dans la débat sur la préservation de l’ours ?
Clara Arnaud : Dans ce livre j’ai essayé de me tenir en dehors du débat « pour ou contre » car je trouve qu’il est stérile. J’ai cherché à montrer les choses dans leur complexité et de proposer quelques pistes comme à travers ce personnage d’une éthologue qui est une pure fiction. A l’heure actuelle, à ma connaissance, il n’y a pas d’éthologue à l’OFB en France qui travaille spécifiquement sur l’ours. On pourrait avoir des gens qui chercheraient à comprendre à quel moment surviennent les prédations pour mieux les éviter.
Le monde pastoral comme celui de l’élevage est en proie à un empilement de contraintes administratives, sociales et économiques du fait du tourisme, du changement climatique, des normes européennes et puis de l’ours ou le loup. Or ce sont des métiers qui connaissent une crise profonde .
L’ours est alors la goutte d’eau qui fait déborder le vase pour des gens à qui on demande toujours plus et à qui on dit qu’ils doivent s’adapter. Et en face on a les randonneurs ou les administrations qui ne font pas grand-chose pour s’adapter de leur côté. Je comprends donc très bien certaines colères. Avec mon livre j’ai voulu ouvrir le débat sur tous ces sujets complexes car on n’arrivera pas à avancer si on se contente de renvoyer dos à dos tous ceux qui ont pour le moment des positions très antagonistes.
Entretien réalisé par Yves Le Pape
- A lire : Clara Arnaud, « Et vous passerez comme des vents fous ». Actes Sud, 384 pages, 22,50 €
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