François Médéline : « Un romancier écrit ce qu’il est et ce qu’il vit »

Livres/Interview. Pour les 20 ans des Quais du Polar à Lyon, les plus grands noms du roman noir s’étaient déplacés pour cette édition anniversaire. L’occasion pour We Culte d’aller à la rencontre de François Médéline qui nous a parlé de « La résistance des matériaux », son dernier roman inspiré de l’affaire Cahuzac.

François Médéline : « En écoutant Jérôme Cahuzac, j’ai eu la conviction qu’il mentait »

Né en 1977 dans la région lyonnaise, François Médéline y revient pour poursuivre des études de sciences politiques puis comme chargé d’études et de recherches à Sciences Po Lyon, spécialisé en sociologie politique et en linguistique. Pendant 10 ans il va travailler comme conseiller, plume, directeur de cabinet et directeur de la communication de divers élus.

Cette expérience va nourrir plusieurs de ses romans et en particulier « La résistance des matériaux », le dernier d’entre eux qui s’inspire de l’affaire Cahuzac, un scandale politico-financier du quinquennat de François Hollande, qui mettait en cause ce ministre chargé du budget.

Ce livre est un vrai polar et il s’amuse à nous promener entre fiction et réalité dans le monde politique mais aussi dans celui des entreprises et celui des barbouzes. Il se déroule pour l’essentiel à Lyon et ses personnages sont souvent une sorte d’assemblages totalement fictifs entre les traits de caractères de personnages politiques très réels.

Comment avez-vous été conduit à vous intéresser à l’affaire Cahuzac ?

François Médéline : Il y a deux raisons car, je pense qu’un romancier écrit ce qu’il est, ce qu’il vit mais aussi ce qu’il a lu. La première raison est qu’en 2012, quand l’affaire a débuté, je travaillais dans un cabinet politique et je venais de publier « La Politique du tumulte », mon premier roman. J’ai entendu la phrase « c’est le compte de Michel Rocard» et ça n’a choqué personne dans le bureau où je travaillais. En regardant et en écoutant Jérôme Cahuzac pendant les 121 jours qui ont précédé ses aveux, j’ai eu la conviction qu’il mentait.

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La seconde, c’est la lecture d’« American Death Trip » de James Ellroy qui a été le déclencheur profond. « La Résistance des matériaux » est la réponse littéraire à ce que je considère comme le sommet stylistique du grand chien fou américain. J’ai toujours travaillé les mêmes thèmes que lui : pouvoir, coercition, violence… Mon livre est donc construit comme celui d’Ellroy jusqu’à la typo des titres de chapitres ou de partie, mes « rounds. ».

Comment avez-vous imaginé vos personnages ?

François Médéline : Les personnages d’Ellroy sont plus réalistes que les miens. Dans mon livre ils peuvent faire penser à des personnages réels mais ils sont en réalité tous fictifs même s’ils s’appellent François Hollande ou Pierre Moscovici.

J’écris comme si je coupais du bois. Je colle un coin dans le réel et y cherche une fissure. La fissure c’était dans ce cas le mensonge Cahuzac. Une fois que j’ai trouvé la fissure je tape dessus à la masse autant qu’il le faut et je crois qu’Ellroy procède de la même façon. C’est répétitif, scandé ou cadencé parce que finalement c’est le même geste que quand je coupe du bois.

De cette façon je peux faire exploser le réel et je le réagence ensuite à ma façon en créant mon propre monde. Je donne toutefois des apparences de réalité à mes personnages pour leur donner un minimum de crédibilité vis à vis de mes lecteurs.

Quel est votre rapport avec la presse people dont vous avez dit qu’elle était aussi une source d’inspiration ?

François Médéline : Je disais qu’on écrit ce qu’on lit. J’ai lu beaucoup de classiques et « Bel ami » de Maupassant, un roman très politique, est mon livre fétiche. James Ellroy a déclenché ma façon d’écrire et j’ai enseigné la sociologie ce qui m’imposerait parfois quelques notes en bas de page dans mes romans.  .

Mais j’aimais aussi la presse people qui se lisait dans ma famille. Je parcourais donc Voici très assidûment. C’est un magazine exhibitionniste et voyeuriste comme la littérature d’Ellroy et comme l’est le monde actuel. Chez Ellroy on y voit bien Ava Gardner en train de s’enivrer au bord d’une piscine et il y a aussi une réécriture de la vie intime de JFK.

Quel rapport voyez-vous entre la démarche documentaire et celle de la fiction ?

François Médéline : Quand on fait vivre des personnages réels, on les regarde « de l’intérieur ». Cela n’est pas une caméra qui filme à la façon d’un documentaire. On écrit à hauteur d’homme et de femme en chair et en os. Et on le fait avec des émotions.

Le monde politique est assez hermétique et quasiment sacré. Mais il ne l’est pas pour moi car j’y ai travaillé. Et j’ai vu que les émotions y étaient très importantes. On ne peut pas comprendre la Vème République sans tenir compte de la détestation entre Chirac et Balladur.

Dans mon roman il y a la chair et le sang de la vie politique réelle. Je la fais vivre de l’intérieur en créant mon propre monde. Je n’ai aucun souci d’objectivité car je suis dans la pure subjectivité. Je ne suis ni dans le documentaire ni dans le roman historique car je fais surgir des éléments du réel qui ne sont pas les mêmes.

Entretien réalisé par Yves Le Pape

• A lire : François Médéline « La résistance des matériaux », La Manufacture des Livres, 496 pages, janvier 2024.