Les livres de la rentrée. Pour cette rentrée littéraire d’été 2024, 459 romans francophones et étrangers (une petite trentaine de moins qu’en 2023) sont annoncés en parution d’ici la fin octobre. En toute subjectivité, We Culte a retenu le délicieux roman de Philippe Ridet… et aussi ceux d’Eva Aagaard, Clémence Boulouque, Abubakar Adam Ibrahim, David Joy, Marcus Malte et Gwenaële Robert. Soit sept romans indispensables.
PHILIPPE RIDET : « Bande de héros »
Une entrée « andante » : « Les pieds nus sur la table basse du salon, le téléphone sur les cuisses, Jean-Denis composait le numéro de ses amis. Revenu depuis quelques heures dans la maison de son enfance, avenue Sadi-Carnot, il avait, à la suite de divers rituels, repris possession de cette villa où s’attachaient ses plus beaux souvenirs ».
A chacun de ses interlocuteurs, Jean-Denis, dit « Jidé », annonce : « La voie est libre »… Ouverture de « Bande de héros », le délicieux troisième roman de Philippe Ridet, hier journaliste pointilliste, aujourd’hui écrivain de l’aube et du crépuscule.
Après « Ce crime est à moi » et « Les Amis de passage », il boucle avec cette « Bande de héros » un triptyque consacré au temps de ces jeunes années, au carrefour des années 1970-1980, dans une ville moyenne de province- Bourg-en-Bresse, pour ne pas la nommer !
Les parents de « JiDé », comme chaque année, lui confient leur maison, là où il a grandi. Donc, il convie ses ami.e.s à une soirée, à une nuit… Il y a Walter dit « Rhodes », Alain alias « Abdul », Harold « le Major », et aussi Livia, la sœur de Walter. D’autres ne seront que de passage, appelé.e.s par une pop d’hier, du rosé et des gins-ananas… Avec « Bande de héros », Philippe Ridet- maître du style elliptique, nous offre en toute simplicité un roman d’excellence.
- « Bande de héros » de Philippe Ridet. Editions des Equateurs, 208 pages, 20 €
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EVA AAGAARD : « Je ne veux pas »
Une nuit. Puis le matin. Le flou, le trouble chez Miriam : elle se réveille aux côtés de son compagnons, des feuilles mortes dans les cheveux… Un peu plus loin, là, son bébé dort. Le flou, le trouble et ces mots qui lui reviennent, encore et encore.« Je ne veux pas », ils donnent le titre du roman intense et captivant de la Danoise Eva Aagaard– son premier traduit en français.
La veille, Miriam a laissé son compagnon et le bébé pour vivre comme avant, passer la soirée avec une amie dans un bar. Au programme, danser, s’amuser… et rentrer tard. Mais lorsqu’elle se réveille, elle perçoit que quelque chose ne va pas. Les informations se bousculent, elle ne sait comment les prendre avant de pouvoir, enfin, reconstituer la soirée et dire : « J’ai été violée »…
- « Je ne veux pas » d’Eva Aagaard. Denoël, 288 pages, 22 €.
CLÉMENCE BOULOUQUE : « Le Sentiment des crépuscules »
Une rencontre aussi méconnue que follement improbable. A Londres, le 19 juillet 1938, l’écrivain Stefan Zweig et le peintre Salvador Dali visitent le psychanalyste Sigmund Freud, exfiltré voilà peu de l’Autriche nazie, ainsi que le rapporte Clémence Boulouque dans son roman « Le Sentiment des crépuscules ».
L’écrivain a organisé la rencontre à la demande du peintre- il vénère le psychanalyste et tient absolument à lui montrer une de ses toiles. Avec le peintre, son épouse Gala et son agent. Avec Freud, son épouse Anna. Facétieux, Dali y va de ses extravagances- conséquence : peu à peu, tou.te.s laissent libre cours à leurs démons en écho à une époque qui court au chaos. Un roman très réussi entre détails vrais et confidences imaginées.
- « Le Sentiment des crépuscules » de Clémence Boulouque. Robert Laffont, 176 p, 19 €.
ABUBAKAR ADAM IBRAHIM : « Quand nous étions des lucioles »
Après « La Saison des fleurs de flamme » (2018, récompensé par le Nigeria Prize for Literature), on retrouve Abubakar Adam Ibrahim pour la VF de son deuxième roman, « Quand nous étions des lucioles ». Tenu à 45 ans pour l’un des écrivains les plus fameux de son pays- le Nigeria, il propose là un livre-invitation au voyage.
On file jusqu’à la gare flambant neuve d’Abuja, la capitale du pays ; on y croise le peintre Yarima Lalo. Soudain, il se souvient de l’assassinat dont il a été victime dans le train. Puis d’autres flashs de ses morts précédentes reviennent… Que lui arrive-t-il ? Il tente de comprendre ce qui semble incompréhensible… Et si tout était expliqué dans ses peintures expressionnistes ? Sans oublier Aziza, la jeune femme qui se bat pour garder sa fille. Un roman entre rêve et réalité.
- » Quand nous étions des lucioles « d’Abubakar Adam Ibrahim. Julliard, 496 pages, 26 €.
DAVID JOY : « Les Deux Visages du monde »
Pour certains, il est le digne héritier de Ron Rash. Pour d’autres, il est l’un des écrivains les plus marquants de sa génération. Après « Là où les lumières se perdent », l’Américain David Joy, 41 ans, nous revient avec un cinquième roman, « Les Deux Visages du monde ».
Une jeune artiste afro-américaine, Toya Gardner, vient de vivre quelques années à Atlanta ; elle décide de retourner en Caroline du nord, dans une petite ville dans les montagnes- de là, sa famille est originaire. Très vite, elle ne manque pas de rappeler l’histoire esclavagiste de la région. Un policier, Ernie, arrête un voyageur, il est suprémaciste blanc et possède un carnet avec le nom des notables de la région. Quelque temps plus tard, deux meurtres sont perpétrés dans la région. Des secrets enfouis vont ressurgir…
- « Les Deux Visages du monde » de David Joy. Sonatine, 432 pages, 23 €
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MARCUS MALTE : « Aux marges du palais »
En confidence, auteur aussi remarqué que remarquable, Marcus Malte évoque « une farce politique, littéraire, révolutionnaire ». Rien que ça ! On n’en demande pas plus pour lire avec gourmandise son nouveau roman au titre délicieux, « Aux marges du palais ».
Equilibriste surdoué, Malte ne craint pas le changement de genre. Ainsi, il nous emmène en un royaume nommé Frzangzwe- avouons-le, il ressemble fort à la France. Et nous voilà emportés dans un voyage où les dérives sont nombreuses. « C’est un coup de griffe aux dirigeants et à la politique en général », dit Malte. Allégrement foutraque, le roman est habité par de singuliers personnages, dont l’Archimaréchal Herbert Robert. Deux camps s’affrontent : « les marges » et « le Palais ». C’est follement politique, furieusement loufoque !
- « Aux marges du palais » de Marcus Malte. Zulma, 496 pages, 24 €.
GWENAËLE ROBERT : « Un jardin pour royaume »
En Pays de Valois, au nord de Paris, l’écrivain-philosophe Jean-Jacques Rousseau a bouclé sa vie dans un pavillon en forêt d’Ermenonville. Dans les années 1980, les parents de la narratrice y acquièrent une maison- pour vivre éloignés du tourbillon contemporain.
Une dizaine d’années plus tard alors que sa fille va quitter le domicile, la narratrice quitte Brest et revient sur les lieux, dans ce havre à cinq kilomètres d’un village d’une centaine d’habitants- c’est le sujet principal du bel et nouveau roman de Gwenaële Robert : « Un jardin pour royaume ». L’ombre de Rousseau, « l’homme de la Nature et de la Vérité », plane sur ce jardin-royaume. Souvenirs d’enfance, d’années « heureuses entre toutes » avant l’âge adulte. Un texte délicieusement mélancolique.
- « Un jardin pour royaume » de Gwenaële Robert. Presses de la Cité, 208 pages, 20 €.
Serge Bressan