les livres de la semaine
Les livres de la semaine. La romancière Jakuta Alikavazovic publie "Comme un ciel en nous" © AFP / Leonardo Cendamo

Livres We Culte. Pour cette semaine de lecture, rendez-vous autour d’un thème unique : le père. Quatre variations en (bons, voire très bons) romans avec Jakuta Alikavazovic, Jean-Baptiste Del Amo, Marc Dugain et Amélie Nothomb. A toutes et tous, bonne lecture !  


Les livres de la semaine : Jakuta Alikavazovic, Jean-Baptiste Del Amo, Marc Dugain et Amélie Nothomb


les livres de la semaineJAKUA ALIKAVAZOVIC : «Comme un ciel en nous»

On lit : «La nuit du 7 au 8 mars 2020, je l’ai passée au Louvre, seule. Seule et à la fois tout sauf seule». Une nuit dans la section des Antiquités, salle des Cariatides. C’est le début de «Comme un ciel en nous» de la romancière et traductrice Jakuta Alikavazovic, un texte publié dans l’impeccable collection «Ma nuit au musée». Remarquée pour, entre autres, un recueil de nouvelles («Histoires contre nature», 2006) et des romans («Corps volatils», 2007, prix Goncourt du premier roman, et «L’Avancée de la nuit», 2017), elle s’est donc installée dans le musée parisien. «Je pars de chez moi en métro. C’est la première nuit que je passerai loin de mon fils, qui a neuf mois depuis quelques jours».

Une nuit au Louvre… pour redevenir la fille de son père, un Yougoslave arrivé en France à l’âge de 20 ans… Plus tard, il l’emmènera régulièrement visiter le musée parisien. Elle dit aussi que dans ce musée, il faisait tout- se laver les dents, lire beaucoup. Et souvent, très souvent, il lui posait la même question : «Et toi, comment tu t’y prendrais pour voler la Joconde ?» Avec un couteau ? des fumigènes ? en l’enroulant du dos d’un chat ? Et la fille, de s’interroger : ce père était-il un coquin de voleur ? ou un esthète de la poésie ?

  • «Comme un ciel en nous» de Jakuta Alikavazovic. Stock, 162 pages, 18 €.

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les livres de la semaineJEAN-BAPTISTE DEL AMO : «Le Fils de l’homme»

Prix Goncourt du premier roman en 2009, Jean-Baptiste Del Amo est de retour avec un cinquième roman, «Le Fils de l’homme». Un roman cinglant, perturbant, violent… On résume : un homme, le père, revient dans le village où son père est mort, la tête dévorée par des bêtes sauvages. On le dit peu causant, il vient retrouver après six années d’absence sa femme et leur fils de 9 ans. Il ne donne aucune explication. Il est aussi impressionnant qu’un deuxième ligne de rugby. Il met la femme et l’enfant dans son vieux break, leur fait passer la forêt, les emmène vivre dans la montagne dans une vieille baraque décatie, avec une bâche pour toit et des seaux et outils tout autour. Là, l’homme a décidé de refaire sa vie.

A aucun moment, le romancier nous indique le nom des père, mère et fils- mais est-ce vraiment indispensable ? Au fil des pages, c’est le récit de la masculinité toxique et du survivalisme, c’est surtout le récit de la transmission de la violence par un père à son fils, un père qui la justifie en assurant qu’il «n’y a pas pire qu’un homme blessé». Et dans ce huis clos montagnard, dans cette nature devenue fiction, Jean-Baptiste Del Amo cite Sénèque : « Et la rage des pères revivra chez les fils à chaque génération »…

  • «Le Fils de l’homme» de Jean-Baptiste Del Amo. Gallimard, 240 pages, 19 €.

marc dugainMARC DUGAIN : «La volonté»

Ça commence par la fin, c’est «La volonté» de Marc Dugain, c’est un texte éblouissant. Un homme âgé est à bout de souffle. A son chevet, son fils qui demande à l’interne d’abréger les souffrances de son père, de lui administrer les remèdes requis. Son fils, le narrateur, qui alors va raconter à l’homme de médecine l’existence exceptionnelle de son père. Et là, flash back. Retour dans le passé du père, c’est l’hiver 1941- alors jeune homme de 15 ans, il braconne dans la lande bretonne quand soudain ses jambes ne répondent plus. Paralysé, il rampe pour regagner la maison familiale. Le virus de la poliomyélite l’a figé.

Au prix de nombreuses opérations, il poursuivra ses études, deviendra un brillant scientifique- comme son père qui, lui, eut le visage cassé durant la Première Guerre mondiale. La vie le fera rencontrer dans un train une jeune femme qui peine à résoudre des équations mathématiques- il règle le problème en toute facilité. Les deux se marieront, malgré les réticences des deux familles, deviennent « indispensables l’un à l’autre ». Et le fils, le narrateur qui n’est autre que Marc Dugain, se fera plaisir à provoquer par des errances improbables le père. Ils se retrouveront, ils se rapprocheront…

  • «La volonté» de Marc Dugain. Gallimard, 288 pages, 20xx €.

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les livres de la semaineAMELIE NOTHOMB : «Premier sang»

Un aveu : «Suite à l’écriture de ce livre, je me suis sentie plus proche de mon père que je ne l’ai été de son vivant. Pourtant, nous avons eu plein de moments de partage. Mais je l’admire mille fois plus…» Et Amélie Nothomb de publier son 30ème roman joliment titré « Premier sang ». Un roman bref (c’est sa marque de fabrique !) et certainement pas sur son père Patrick Nothomb, diplomate belge décédé le 17 mars 2020 à 73 ans : par un tour de « je », la romancière s’est dit «Sois Patrick», s’est glissée dans la personne et la vie de son père- mieux, dans «Premier sang», c’est le père qui se raconte. Un héros, ce père !

Pourtant, longtemps, la vue d’une seule goutte de sang provoquait chez lui l’évanouissement- ce qui lui interdit une carrière de militaire. Mais en 1964, consul de Belgique au Congo, il se retrouve dans une immense prise d’otages, il devient le négociateur- et le sang ne lui tourne plus la tête… Dans d’autres pages, l’enfant Patrick Nothomb passe ses vacances dans le château décati de Pont-d’Oye avec cousin.e.s et un grand-père, Pierre Nothomb, poète aussi allumé que voleur de la nourriture de ses petits-enfants… car je comprends encore mieux le personnage. Ultime aveu d’Amélie Nothomb : « J’aurais eu particulièrement honte de rater ce livre…»

  • «Premier sang» d’Amélie Nothomb. Albin Michel, 180 pages, 17,90 €.

Serge Bressan

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