Livre. Depuis bientôt quarante ans, il bouscule les lettres françaises. Admirateur des grands écrivains américains, Philippe Djian est à nouveau dans les librairies. Avec « 2030″. C’est un roman d’anticipation- une première pour l’écrivain. C’est parfaitement maîtrisé, électrique et politique.
Quarante ans après ses débuts en littérature, Philippe Djian, l’auteur de « Bleu comme l’enfer »,« 37°2 le matin » ou encore ’’Oh…’’ se lance dans le roman d’anticipation. Son premier dans le genre. Un genre dans lequel il s’impose comme un maître…
Animal littéraire secret, il assure ne pas faire partie de la république des lettres. A ses débuts dans les années 1980, les critiques « de gauche » l’encensaient et ceux « de droite » le détestaient- il s’en moquait. Et s’en moque toujours. Philippe Djian, 71 ans, auteur de romans, récits, nouvelles, pièce de théâtre ou encore chansons, confiait récemment : « J’essaie de faire du mieux que je peux », avant d’ajouter : « mais je ne veux pas que quelqu’un s’en mêle ».
Au carrefour de cet été- automne, il glisse son nouveau roman. Simplement titré « 2030 ». Certains (paresseux ? en manque d’imagination ?) sont allés à lui pour en lui demandant s’il signait là un livre de science-fiction. Il a répondu : » C’est venu d’un truc un peu bête, j’ai été très mal à l’aise avec les prises de position des « soi-disants » intellectuels français d’un certain âge sur Greta Thunberg, avec « de quoi elle se mêlait ? Qu’est-ce que c’est que cette petite idiote qui n’y connaissait rien »… J’ai trouvé que c’était insupportable, et je me suis dit : « J’ai envie de parler de ça ! » En décalant de dix ans, j’ai trouvé que c’était l’idéal, elle a 30 ans quand le livre commence… »
Donc, quarante ans après ses débuts en littérature, l’auteur de « Bleu comme l’enfer »,« 37°2 le matin » ou encore ’’Oh…’’ se lance dans le roman d’anticipation. Son premier dans le genre. Un genre dans lequel il s’impose comme un maître…
Avec, dans le rôle principal, Greg. Un matin, il trouve un reportage réalisé une dizaine d’années auparavant et consacré au combat, en 2019, d’une « jeune femme aux nattes ». Au quotidien, mal à l’aise, il flotte entre Anton, son beau-frère pour qui il a falsifié les résultats d’une étude sur les pesticides (« Il avait toujours su qu’Anton était une belle crapule, que le laboratoire qui portrait son nom ne s’embarrassait plus guère de probité ni d’éthique « ), et Lucie, sa nièce engagée dans la lutte écologique. Tout va changer quand il rencontre Véra, belle femme, libraire et éditrice écolo ; mieux : la vision qu’a Greg du monde va changer… Et voilà comment « 2030 » est un enthousiasmant roman d’anticipation sur la dégradation du monde.
Chez Flammarion, le nouvel éditeur de Philippe Djian, on explique : « Six personnages se croisent dans ce roman de légère anticipation. Que s’est-il passé pour qu’en dix ans le monde poursuive son travail de dégradation ? Est-ce par paresse, impuissance ou égoïsme que les membres de cette famille ont laissé s’abîmer leurs vies et le monde qu’ils habitent? «
Une fois encore, pour notre plus grand bonheur de lecteur, Philippe Djian déroule une galerie de personnages, les uns cabossés par la vie, les autres marlous et retors à souhait. Il y a des paumés, des dingues aussi. Par exemple, depuis l’accident de voiture dans lequel sa femme et leur enfant sont morts, Greg vivote dans le souvenir. Son quotidien, c’est son boulot dans le labo chimique (référence à Monsanto ?) de son beau-frère Anton, deuxième mari de sa sœur Sylvia qui a deux filles : Aude, 20 ans, paralysée dans un fauteuil, et Lucie, 14 ans, militante écologiste… Et puis, il y a le labo d’Anton- on y fabrique, entre autres, un pesticide soupçonné d’être dangereux pour l’homme, une information qu’un rapport n’a pas pointée. Précision : ledit rapport a été falsifié, Anton le sait parfaitement, Greg l’ignore jusqu’à ce que l’annonce de la mort d’une personne lui ouvre grands les yeux.
Longtemps, et cela irritait ou lassait certains, Philippe Djian disait et répétait que l’histoire avait bien peu d’importance– seule, selon l’auteur, comptait la forme (utilisation du point-virgule ou encore dialogue sans alinéas, par exemple). Dans nombre de ses livres, il se délectait de scènes de sexe toutes plus débridées, plus folles les unes que les autres– à certaines pages, c’était les JO du sexe !
Mais depuis quelques temps, on a le Djian nouveau. Ainsi, avec « 2030 « . On lit : « A moins de faire preuve d’un optimisme inébranlable, il n’y avait aucune chance de réparer les dégâts infligés à l’environnement- sans même parler des catastrophes humanitaires. Au fond, se disait Greg, c’était une histoire d’engrenage muni d’un cliquet anti-retours. Si certains s’employaient à limiter la casse, d’autres- plus puissants, plus roués, plus vénaux- s’empressaient de tout démolir. Une mécanique folle, que rien ne pouvait arrêter. C’était hallucinant ».
L’histoire est toute emplie de l’air du temps, des relations compliquées entre les hommes et les femmes, du dérèglement climatique, de meetings écologistes et d’attentats, du face-à-face écolos activistes / industriels corrompus, sans oublier la « jeune fille aux nattes » (référence évidente à Greta Thunberg, même si la jeune Suédoise n’est jamais citée), idole de Lucie, la nièce de Greg… Un roman furieusement électrique, follement politique
Serge Bressan
- A lire : « 2030 » de Philippe Djian. Flammarion, 226 pages, 20 €.
- A lire également la revue « Décapage » (Flammarion, automne-hiver 2020, 16 €) pour son dossier titré « La panoplie de Philippe Djian », et « Lueur »– une nouvelle inédite de l’écrivain.
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