roberto saviano
Le journaliste-écrivain italien Roberto Saviano publie "En mer, pas de taxis". (Photo) Francesca Mantovani

Livre. Depuis 2006 et la parution de «Gomorra», il vit en permanence sous protection policière puisqu’il est la cible de la Mafia napolitaine. Il a également pointé, dans un autre livre, les trafics de la drogue. Et à présent, Roberto Saviano se lance dans une nouvelle cause : les migrants. Résultat : «En mer, pas de taxis », un livre essentiel en mots et photos.


Au fil des pages de « En mer, pas de taxis »,  entre témoignages et récits, Roberto Saviano n’épargne aucun dirigeant et dénonce les errances idéologiques et philosophiques des populistes. Avec qui le racisme n’est jamais loin, c’est un euphémisme de le dire, de l’écrire… 


roberto saviano
Le journaliste-écrivain italien Roberto Saviano publie « En mer, pas de taxis ». (Photo) Francesca Mantovani

Dans leur aridité, des chiffres communiqués par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés : 633 migrants sont morts lors de la traversée de la Méditerranée depuis le 1er janvier dernier. En début de semaine passée, pas moins de 8 000 migrants sont arrivés dans l’enclave espagnole de Ceuta, à la frontière marocaine. Sur les écrans télé, dans la presse écrite et les réseaux sociaux, la photo d’un bébé sauvé de la noyade par un policier espagnol a ravivé le sentiment d’urgence. Et récemment, est parvenu jusqu’à nous « En mer, pas de taxis », le nouveau livre de l’Italien Roberto Saviano, l’homme qui a, avec « Gomorra » en 2006, raconté la Camorra (la mafia napolitaine) et qui, depuis, vit sous protection policière.

Récemment, dans un hebdomadaire parisien, la question lui a été posée : Pourquoi un livre sur les migrants alors que vous avez formulé le constant que tout le monde ne se sent pas concerné par le problème ? Réponse du journaliste- écrivain italien de 42 ans : «C’est justement parce que tout le monde préfère détourner les yeux que ce livre est nécessaire. Je me moque d’écrire sur les sujets que tout le monde regarde, ça ne m’intéresse pas. Je ne veux pas raconter des histoires qui distraient le lecteur. En Méditerranée, quelqu’un meurt chaque heure du jour et de la nuit. Avec ce livre, j’en apporte la preuve… témoignages à l’appui ». Pourquoi un livre sur les migrants, on repose la question alors qu’en 2017, Luigi Di Maio- l’un des leaders du Mouvement 5 étoiles italien (se présentant comme une organisation ni de droite ni de gauche et ne se définissant pas comme un parti politique)- avait baptisé « taxis de la mer » les navires des ONG humanitaires pour des opérations de sauvetage en Méditerranée, des ONG qu’il accusait de favoriser le phénomène migratoire…



En ouverture d’«En mer, pas de taxis », Roberto Saviano rappelle les mots de José Saramago : «Tant est pressant le besoin de rejeter la faute le plus loin possible, alors qu’on n’a pas le courage de faire face  à ce qu’on a sous le nez» (in « L’Autre comme moi »), et d’Alessandro Leogrande : «Que de souffrance. Que de chaos. Que d’indifférence. Quelque part dans le futur, ceux qui viendront après nous se demanderont comment nous avons pu laisser arriver tout cela » (in « La frontiera »). Et l’auteur, de démarrer sur chapitre titré simplement : « Le grand mensonge ». On lit : « En mer, la gifle d’une vague suffit à retourner une embarcation. En mer, on vous dit qu’il faut aller toujours tout droit et que vous tomberez alors sur l’Italie. Mais l’horizon change et cette route sûre est peut-être un leurre (…) En mer, il n’y a personne, pas de taxi à appeler… » Quelques lignes plus loin : « L’immigration et les migrants sont le grand prétexte, le grand mensonge employé ces dix dernières années par le monde politique pour ne plus parler de politique. Chaque ratage (…) a été couvert, remplacé et parfois motivé par de grands discours sur l’immigration. L’immigré est un ennemi bien commode ». Résonne alors le propos de François Gemenne, politologue de l’Université de Liège et professeur à Sciences-Po Paris : « Il faut arrêter d’utiliser les migrants comme une monnaie d’échange ou une menace diplomatique ».

roberto saviano
Roberto Saviano. (photo) Francesca Mantovani

Au fil des pages, entre témoignages et récits, Roberto Saviano n’épargne aucun dirigeant. Ceux d’Italie, de la droite de Matteo Salvini et de la gauche, ceux de l’Union européenne. Il écrit : « Ce que certains appellent « l’urgence migratoire » et que nous pourrions à bon droit rebaptiser « l’urgence de la nullité des politiques » était et demeure la distraction nécessaire, le rideau de fumée derrière lequel dissimuler la vacuité du débat politique et le rendre en apparence concret ». En d’autres mots, Saviano dénonce les errances idéologiques et philosophiques des populistes. Avec qui le racisme n’est jamais loin, c’est un euphémisme de le dire, de l’écrire…

Pour l’efficacité d’« En mer, pas de taxis », le journaliste- écrivain dont le quotidien est résumé en trois mots (« la vita blinda ») a tenu à ce que ses textes soient accompagnés de photographies. Des photos cinglantes, émouvantes, bouleversantes mais qui ne doivent en aucun cas n’être que motifs à la compassion et aux bons sentiments. Saviano explique : « Il serait réducteur de considérer les photographies des traversées du désert, des prisons libyennes, des canots gonflables, des sauvetages en mer et des corps qui flottent sur l’eau comme des photos d’actualité ou des clichés militants. Tout cela nous concerne, tout cela constitue pour nous une information précieuse. Le message qui nous parvient peut devenir le carburant qui permettra de changer le cours des choses ou la pierre tombale qui signifiera leur fatale inévitabilité. A nous de choisir ». Choisir au plus vite que la Méditerranée ne devienne pas le plus grand cimetière humain au monde… et ne jamais oublier les mots de Roberto Saviano : «De tous ses trafics, l’être humain est la marchandise qui a le moins de valeur… »

Serge Bressan

livre en mer pas de taxisEXTRAIT

«Le migrant n’est donc pas simplement celui qui décide de quitter son pays d’origine pour un autre lieu : le migrant est l’étranger, même quand il a la citoyenneté ou devrait l’avoir ; le migrant est celui qui semble différent de nous, peu importe s’il l’est vraiment ou non. Dès lors que le migrant et le différent coïncident, nous devons admettre que nous sommes encerclés : c’est le principe qui  sous-tend la peur : la crainte d’être en minorité et donc l’obligation de réagir.

      C’est ce que nous disent chaque jour les réseaux sociaux alimentés par de nombreux hommes politiques, pas seulement italiens et européens. Ils nous disent que le front du mensonge est compact et, incapable de donner des réponses politiques, qu’il livre un ennemi en sacrifice au nom de la détresse, du mécontentement et de la souffrance des gens ».

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

Laissez un commentaires
Merci d'entrer votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.