Livre. Sophie, Cheyenne, Bantoue, Nuna, Elena… André Bouny dans « Huit destins de femmes. Une férocité ordinaire » redonne vie à des héroïnes ordinaires oubliées. Elles nous emportent de continent en continent, corps et âme, à travers le temps et l’espace de la terre plurielle.

Dans son livre posthume, « Une farouche liberté », Gisèle Halimi désigne dès l’enfance « la malédiction de naître femme ». Les « Huit destins de femmes. Une férocité ordinaire », instants de vies contrariées en sont le reflet et le constat. Du XIXe siècle avec Sophie du Quercy au XXIe siècle avec Zareena de Wana, au Pakistan, à chaque portait, André Bouny restitue avec précision et le sens de la phrase le contexte historique, moral et culturel. Le rapt, l’enlèvement, la torture, la dissociation, l’une perd l’ouïe, l’autre le parler et le sommeil, relient Sophie, Cheyenne, Elena, Nuna, Folasade, Roja, Bantoue et Zareena. Aucune d’entre elles n’échappe à la mort une fois la mauvaise rencontre accomplie, la horde sauvage, selon les termes de Freud, qui s’abattent sur des corps trop exposés, des visages dévoilés, offerts l’espace de quelques brefs répits au monde.

L’un des récits les plus impressionnants – celui qui imprime la chair et l’esprit du lecteur et de la lectrice – suit les pas de Roja de Chinchero (1965-2010). L’auteur est dans ses traces dans la montagne aux côtés de son lama et de ses jeunes alpagas. Roja, célibataire dans une société dominée par le masculin, vit en autarcie entre ses animaux et ses plantations. Mais la venue dans les bois du « soldat-aventurier », qui n’accepte pas son indifférence à son égard, aura eu raison d’une indépendance menée sans bruit. Étranglée : « Un des petits alpagas était couché contre elle, l’autre poussait de la tête la main tavelée et inerte qui ne répondait pas. Insistait. »

Face à la sauvagerie des actes commis, aux violences adoubées par la loi et la règle du plus fort, au joug de l’acculturation, à la perte de soi, ce qui rend soutenable le cours de l’histoire est la manière dont l’auteur habille le réel. Comment il redonne à ces êtres vaincues par une régression de civilisation, l’insupportable féminin, le droit à la poésie, à s’appartenir tout entière. Ce recueil comme une chambre à soi.
Virginie Gatti
« Huit destins de femmes. Une férocité ordinaire » d’André Bouny – HDiffusion, 118 pages, 19 euros





