Livre. Parmi les meilleurs romans de cette rentrée d’hiver 2022, « La décision » de Karine Tuil. Un texte fort et implacable avec une juge anti-terroriste, face à deux dilemmes, l’un professionnel, l’autre personnel. Une nouvelle preuve que Karine Tuil est une impeccable romancière du réel.
Livre. « La décision » : Karine Tuil, impeccable romancière réaliste…
Une conviction chevillée au corps : « C’est le rôle de l’écrivain de raconter la société dans laquelle il vit ». Ainsi, depuis « Pour le pire » paru en 2000 ou encore dans « Les choses humaines » (prix Interallié et prix Goncourt des lycéens 2019), Karine Tuil raconte cette société dans laquelle elle vit- ce qui donne en cette rentrée littéraire d’hiver 2022 « La décision », un texte magistral sur le dilemme auquel, au hasard d’une vie, tout chacun peut être confronté.
Dans un récent entretien, l’auteure confie : « C’est un des livres les plus réalistes que j’ai écrits. (…) je suis allée sur le terrain. J’ai rencontré plusieurs juges d’instruction du pôle antiterroriste, des avocats, des magistrats de la cour d’assises, un agent du renseignement. Ils m’ont parlé dans la limite de leur déontologie, bien sûr, puisqu’ils sont soumis au secret professionnel ».
Ainsi, on se retrouve dans les pas d’Alma Revel, 49 ans, mariée, mère de famille en instance de divorce, juge anti-terroriste. En début de « La décision », elle raconte à grandes lignes son métier, sa fonction dans l’appareil judiciaire : « Les cas de conscience étaient quotidiens. Après un attentat, je recevais les familles des victimes : elles réclamaient des coupables qui, généralement, étaient morts. Pour apaiser leur besoin de justice, je maintenais en détention (…) ; en agissant ainsi, étais-je juste ? (…) je n’osais pas leur dire que faire condamner un innocent n’allégerait pas leur peine ».
L’affaire du moment qu’elle suit : un jeune homme a été arrêté en France à son retour de Syrie où il est suspecté d’avoir voulu rejoindre l’Etat islamique. Elle l’interroge longuement, encore et encore. Il assure qu’il est un bon Français, qu’il aime son pays, qu’il veut trouver un travail pour s’intégrer dans la société…
Son avocat a demandé une mise en liberté. Que faire, se demande la juge anti-terroriste ? Le laisser en prison, risquer de l’anéantir alors que le jeune homme est peut-être innocent ? Le libérer, et risquer qu’il se fonde dans le paysage, pratique la « taqiya » (la dissimulation) pour, un jour, surgir de l’ombre et passer à l’acte ?
« C’est une femme qui est menacée au quotidien, qui a deux officiers de sécurité autour d’elle », confiait Karine Tuil lors d’un récent entretien à la radio. « Comment quand on est une femme à un tel poste, on parvient à mener sa vie privée et sa vie professionnelle, quand chaque décision que vous prenez peut avoir un impact sur la sécurité de la Nation ? »
Ainsi, dans le même temps, le couple d’Alma et de son mari écrivain à succès mais en panne d’inspiration bat de l’aile ; elle va croiser un avocat, coup de foudre, amour- problème, il est l’avocat du jeune homme. Là aussi, que faire : poursuivre cette relation malgré le conflit d’intérêt ? la cesser pour pouvoir continuer le métier ? Quelle décision prendre ?
Finalement, le jeune homme sera remis en liberté et, deuxième partie du roman, passera à l’acte- commentaire d’Alma Revel, la juge anti-terroriste : « L’auteur de l’attentat, c’est moi qui l’ai fait libérer ». Alors, le récit s’accélère, Karine Tuil passe à la vitesse supérieure, le roman devient thriller. Etourdissante plongée dans le monde judiciaire, « La décision » devient vertige. De l’amour, de l’horreur…
Serge Bressan
- A lire : « La décision » de Karine Tuil. Gallimard, 306 pages, 20 €.
EXTRAIT
« Je suis comme les autres, ni meilleure ni pire, pas mieux préparée aux tentations de l’existence. Au bout d’un certain temps de vie commune, pourquoi se mentir, une lassitude s’installe, on se surprend à rêver ailleurs. Certains franchissent le pas, d’autres renoncent pour préserver une stabilité illusoire, par sens moral peut-être, sans trop y croire- dans les deux cas, ça devient rapidement déceptif ; le délitement d’un couple, c’est une expérience tragique. Je pensais que je saurais résister, que je ne sortirais jamais des zones balisées, que je pourrais dire non, m’éclipser au bon moment, c’est-à-dire avant de souffrir… »