Livre. Il a été en politique pendant soixante-cinq ans. Il est encore et toujours un des personnages historiques essentiels du Royaume-Uni et du monde du 20ème siècle. Des centaines d’ouvrages lui ont été consacrés et on croyait tout savoir de lui. C’était faux, et c’est ce que démontre « Churchill », la biographie totale aussi exemplaire que colossale d’Andrew Roberts.
Livre aussi magistral qu’essentiel, « Churchill » prouve que, jusqu’alors, on ne sait pas tout sur Winston Churchill. Ce manque est à présent réparé avec ce texte étourdissant, éblouissant…
Monumental… Voilà bien le mot pour définir le pavé (1 320 pages) écrit par Andrew Roberts, professeur au King’s College de Londres et à la Hoover Institution de Stanford. Un pavé pour la biographie définitive de l’un des personnages essentiels de l’Histoire britannique et du monde. C’est sobrement titré « Churchill », et c’est un modèle de biographie. De ces biographies dont les Anglo-saxons se sont fait une spécialité. Comme ses collègues, Roberts n’a pas succombé aux effets de manche- comme peuvent le faire nombres de biographes français. Un seul mot d’ordre pour ce texte immense : les faits, toujours les faits, seulement les faits… Des années de travail et de recherches, et dans le cas présent, pour la première fois, Andrew Roberts a pu consulter les carnets du roi George VI dans lesquels sont consignés les entretiens hebdomadaires qu’il avait avec Winston Churchill.
Né en 1874, mort en 1965, Churchill n’a pas été seulement deux fois Premier ministre du Royaume-Uni et un des grands personnages de la Deuxième Guerre mondiale avec l’Américain F.D. Roosevelt et le Français Charles De Gaulle; il est entré en politique à 26 ans, et ne s’en est jamais éloigné jusqu’à sa mort… Petit (1,67 mètre) et rond, amateur de cigares mais peu de whisky (contrairement à ce qu’affirme la légende), celui qu’on surnomma « le Vieux Lion » n’était pas tout blanc ou tout noir- comme le montre la biographie totale d’Andrew Roberts. Livre aussi magistral qu’essentiel, « Churchill » prouve que, jusqu’alors, on ne sait pas tout sur Winston Churchill. Ce manque est à présent réparé avec ce texte étourdissant, éblouissant…
La vie de château Première phrase de « Churchill » d’Andrew Roberts : « Winston Leonard Spencer-Churchill est né au château de Blenheim, dans l’Oxfordshire, dans une petite pièce du rez-de-chaussée, la chambre la plus proche de l’entrée principale, à une heure et demie du matin le lundi 30 novembre 1874 « . Son père, lord Randolph Churchill, est le fils du 7ème duc de Marlborough; sa mère, née Jennie Jerome à New York, est une beauté américaine et une grande mondaine, et a fait une chute quelques jours avant la naissance de son enfant.
Le père parlera d’un enfant « prodigieusement mignon » avec « des cheveux et des yeux foncés et en pleine santé ». Pour le jeune enfant, c’est la vie de château dont la façade mesure pas moins de 170 mètres… Adolescent, il est membre de l’équipe de natation de son collège, pratique l’escrime, collectionne les timbres et les autographes, se balade dans la ville au bras de sa nounou pour provoquer ses snobs condisciples. A 14 ans, dans ses carnets, il invente un personnage, le colonel Seymour, et une invasion britannique de la Russie. Dans les moindres détails, il décrit la bataille avec « baïonnettes rutilantes » et « nuées épaisses de Cosaques ». Comme son idole Napoléon, Seymour se déplace toujours à cheval. En 1943, chef de guerre, Winston Churchill vivra quasiment les mêmes événements que son colonel Seymour…
Les guerres. En 1895, Winston Churchill n’a pas encore 20 ans quand il sort diplômé de l’Académie royale militaire de Sandhurst, et est nommé sous-lieutenant du 4th Queen’s Own Hussars. Jugeant la solde insuffisante, il devient également correspondant de guerre pour plusieurs journaux londoniens. Il veut de l’action, part en 1896 pour les Indes (plus spécialement au Malakand), puis c’est l’Egypte, le Soudan et, en 1899, l’Afrique du sud avec la Guerre des Boers.
Huit mois plus tard, il quitte l’armée et entre en politique. Durant la Première Guerre mondiale, il sera ministre de l’Armement ou encore secrétaire d’Etat à la Guerre. Le 10 mai 1940, il devient Premier ministre du Royaume-Uni– à 65 ans, il est le plus âgé des dirigeants alliés, organise les forces armées britanniques et mène son pays à la victoire contre les puissances de l’Axe (Rome- Berlin- Tokyo). En deux citations rapportées par Andrew Roberts, Winston Churchill définissait la guerre : « La politique est presque aussi excitante que la guerre, et tout aussi dangereuse- à la guerre, vous pouvez être tué une fois seulement ; en politique, plusieurs…« ou encore « L’excès d’alcool entraîne une insensibilité comateuse. Il en va de même de la guerre- et le mieux, pour découvrir la qualité de l’alcool ou de la guerre, c’est de se contenter de quelques gorgées ».
Les colonies. Durant l’été dernier, un tag sur une statue dans le quartier de Westminster à Londres : « Churchill was racist ». Une assertion récurrente. Très tôt, jeune militaire, il explique que les Patchounes, qu’il a croisés en Indes doivent reconnaître « la supériorité de la race britannique » et, rebelles, doivent « être tués sans pitié ». Rien n’était au dessus de l’Empire britannique et de ses colonies. Il se laisse aller à des commentaires violents sur les Indiens et les Arabes. Dans les années 1920, alors secrétaire d’Etat à la Guerre, il déclare être « fortement en faveur de l’utilisation de gaz toxiques contre les tribus non civilisées ». En 1943, il remettra une couche sur les Indiens, encore membres de l’Empire britannique : « Je hais les Indiens. C’est un peuple bestial, avec une religion bestiale ».
Et lorsqu’en Inde, enflera un mouvement pour l’indépendance, il confie à des proches : « Comment ? Partir à la demande de quelques macaques ? » Pour celui qu’on surnommera « le Vieux Lion », tout pays lointain et hors de l’Empire était peuplé de barbares. Ainsi, avec mépris, il appelait les Chinois les « Chinks » ou les « Chinamen »– ce qui n’était pas du goût du président américain Franklin D. Roosevelt. Enfin, Winston Churchill utilisait souvent le terme « aryan stock », deux mots pour affirmer, selon lui, la suprématie de la race blanche…
Les femmes. En ces temps de #MeToo, Winston Churchill subirait les pires foudres de tous pour ses propos relatifs aux femmes. A la femme. Son biographe Andrew Roberts ne cherche nullement à le disculper sur le sujet, pas même à dire et écrire « autre temps, autres mœurs ». Et à la lecture de cette biographie, on ne peut que conclure que « le Vieux Lion » britannique était furieusement sexiste. Roberts rapporte, entre autres, deux citations cinglantes : « Seules les femmes les moins dignes de respect le réclament » et « les femmes qui remplissent leurs devoirs vis-à-vis de l’État, à savoir en se mariant et en ayant des enfants, sont convenablement représentées par leur mari ». Certes, Churchill reproduisait le discours et les thèses sur les femmes, sur la féminité qu’il avait entendues dans ses toutes jeunes années, mais devenu jeune homme puis adulte, il persévéra dans ces idées. Un jour, alors qu’on lui parlait des mouvements de femmes qui surgirent aux Etats-Unis et en Europe, définitif il répondit : « Je vais donc m’opposer sans relâche à ce mouvement ridicule ». Il changera d’idée sur le sujet peu après avoir épousé, en 1908, Clementine Ogilvy Hozier, réputée libérale radicale sur nombre de sujets de société, dont la place des femmes…
L’écriture. En 1900, Winston Churchill a 25 ans, il est élu pour la première fois « Member of Parliament ». Et malgré son statut social aisé, il doit bien admettre que la charge de député au Parlement, c’est quasiment du bénévolat. Alors, pour subvenir à ses besoins ( !), il écrit. Son premier livre, « The Story of the Malakand Field Force », parait en 1898 (traduit en français en 2012 sous le titre « La Guerre du Malakand »). Devenu homme politique, il continue d’écrire, en particulier « Marlborough: His Life and Times »– une biographie consacrée à son ancêtre, le duc de Malborough, et gagne sa vie avec des articles publiés, entre autres, dans « The Evening Standard »- le plus fameux demeurant celui paru en 1936 et mettant en garde contre la montée en puissance d’Hitler. En octobre 1953, il reçoit le prix Nobel de littérature (« 12 100 £ non imposables ! », commente-t-il) mais glisse qu’il souhaitait le Nobel de la Paix. On notera les six volumes de souvenirs, « The Second World War » (1948- 1954; « Mémoires sur la Deuxième Guerre mondiale » en VF) et les quatre volumes de « A History of the English-Speaking Peoples » (1956- 1958 ; « Histoire des peuples de langue anglaise » en VF). A la fin de sa vie, Churchill fera part de son grand regret littéraire : ne pas avoir écrit les biographies de Jules César et de Napoléon Bonaparte…
Serge Bressan
- Lire : « Churchill » d’Andrew Roberts. Traduit par Antoine Capet. Editions Perrin, 1 320 pages, 29 €.
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Extrait
« La négligence et la cruauté affective qu’il avait connues de la part de ses parents et qui auraient pu écraser une personnalité de moindre envergure donnèrent au contraire à Winston Churchill un désir insatiable de réussir dans la vie, non dans l’abstrait, mais dans le métier choisi par son père : la politique. Il lui vouait un tel culte qu’il se mit à apprendre par cœur plusieurs de ses discours les plus célèbres (…) et même à adopter la position de l’orateur caractéristique de son père, avec sa main dirigée vers le bas reposant sur sa hanche. (…) il écrivit aussi une biographie pleine de piété filiale en deux volumes. Et de citer couramment son père dans ses discours, de revêtir les robes de chancelier de l’Echiquier héritées de lui quand il accéda à ce poste, de baptiser du nom de Randolph son unique fils et de décrire un rêve éveillé où il revoyait son père plus d’un demi-siècle après sa mort ».