Livre. Le plus francophile des écrivains britanniques est de retour. A 74 ans, Julian Barnes signe « L’homme en rouge ». Cet homme, c’est Samuel Pozzi (1847- 1918), chirurgien et gynécologue en vue à la Belle Epoque et surnommé « l’Amour médecin ». Un roman empli de grâce, d’érudition et d’humour.
Avec cette écriture toujours aussi lumineuse, Julian Barnes ne s’est pas contenté d’une plongée lumineuse dans la Belle Epoque. Il sait, au fil des pages de « L’homme en rouge », y glisser, en creux, des résonnances avec l’époque actuelle, avec le temps présent, lui l’Anglais blessé au plus profond de lui-même par le Brexit… Une fois encore, l’écrivain anglais fait preuve d’érudition mais aussi d’humour, tout en maniant la profondeur dans le propos.
Il se dit qu’il est l’écrivain britannique préféré des Français. Peut-être. Ce qui est sûr, néanmoins, c’est que Julian Barnes, 74 ans, est de tous les auteurs d’outre-Manche le plus francophile. Ce qu’on avait compris dès 1986 avec « Le Perroquet de Flaubert », son premier roman en VF- mais son troisième en version originelle… En cet automne 2020, toujours d’une élégance extrême, Julian Barnes s’est glissé dans les rayons des librairies avec un nouveau roman, « L’homme en rouge ». Tout simplement, une belle réussite dans la veine emplie de grâce d’« Une fille, qui danse » paru en 2013…
Après quelques merveilles follement délicates telles « Avant moi » (1991), « Love, etc » (1992) ou encore « Un homme dans sa cuisine » (2005), le romancier s’est faufilé dans les traces d’un homme en rouge méconnu et pourtant étincelant du 19ème finissant : Samuel Pozzi. Le narrateur l’a rencontré personnage principal et unique du tableau peint en 1891 par l’Américain John Singer Sargent (1856- 1925).
On sait qu’il est né à Bergerac en 1847 et qu’il est venu à Paris où il a été considéré comme LE médecin à la mode. La légende (inventée ?) ou la vérité (édulcorée ?) assure que les dames de la « bonne société » l’appréciaient tout particulièrement comme chirurgien et gynécologue- une discipline médicale qu’il a développée. Il se dit aussi qu’à Paris, on ne comptait alors plus ses maîtresses, parmi lesquelles la comédienne Sarah Bernhardt- ce qui lui valut le surnom de « Amour médecin »…
Julian Barnes écrit : « Continuons vers le tangible, le particulier, le quotidien avec la robe de chambre rouge.
« Parce que c’est ainsi que j’ai découvert le tableau et l’homme- dans une salle de la National Portrait Gallery à Londres en 2015 ; un prêt d’un musée américain.
« J’ai dit robe de chambre ; mais est-ce bien cela ? Il n’a pas, semble-t-il, de pyjama dessous, et il est peu probable que ces manchettes et cette collerette à volants froncés soient celles d’une chemise de nuit. Ne serait-ce pas plutôt un long vêtement d’intérieur ?
« Son propriétaire ne vient pas de sortir du lit : nous savons que ce tableau fut peint chaque jour en fin de matinée, après quoi peintre et sujet déjeunaient ensemble ; nous savons aussi que l’épouse du sujet s’étonnait du grand appétit de leur hôte ».
Julian Barnes dit : « J’ai lu qu’il était [Samuel Pozzi, NDLR] gynécologue et également un grand séducteur, ce qui me semblait assez intriguant et assez paradoxal… Pozzi était un personnage très célèbre en son époque mais tout à fait inconnu en Angleterre et presque tout à fait oublié en France… Il est mort dans des circonstances assez bizarres à Paris en 1918. C’était donc une star de la Belle Epoque. Etudiant en médecine, il avait des amis illustres. Le poète Leconte de Lisle lui servait de gardien. Il fut l’amant de la comédienne Sarah Bernhardt et, après, pendant près d’un demi-siècle son grand ami et son médecin ». Et d’ajouter : « Il vivait dans un âge de chauvinisme. Et nous aussi, hélas. Le chauvinisme est de retour, et il faut lutter contre lui comme le faisait le docteur Pozzi. Ce qui fait de lui un homme moderne et, en plus pour moi, une sorte de héros ».
Avec cette écriture toujours aussi lumineuse, Julian Barnes ne s’est pas contenté d’une plongée lumineuse dans la Belle Epoque. Il sait, au fil des pages de « L’homme en rouge », y glisser, en creux, des résonnances avec l’époque actuelle, avec le temps présent, lui l’Anglais blessé au plus profond de lui-même par le Brexit…
Une fois encore, l’écrivain anglais fait preuve d’érudition mais aussi d’humour, tout en maniant la profondeur dans le propos. Chez Barnes, il y a toujours de l’esprit ; là, il y a ajouté de la couleur- du rouge comme la robe de chambre de Samuel Pozzi. Lequel, ce que ne manque pas de glisser l’auteur avec une belle pointe d’humour « so british », a été tué de trois balles de pistolet tirées par un patient qui lui reprochait de n’avoir pas su soigner son impuissance…
Serge Bressan
« L’homme en rouge » de Julian Barnes. Mercure de France, 344 pages, 23 €.
Extrait
« En juin 1885, trois Français arrivèrent à Londres. L’un d’eux était un prince, un autre était un comte, et le troisième était un roturier qui avait un patronyme italien. Le comte évoqua plus tard en ces termes le but de leur escapade : « shopping intellectuel et décoratif « .
On pourrait aussi commencer à Paris, l’été précédent, avec Oscar et Constance Wilde en voyage de noces. Oscar lit un roman français récemment publié et, en dépit des circonstances, donne volontiers des interviews à la presse.
Ou l’on pourrait commencer avec une balle, et l’arme avec laquelle on l’a tirée… »