Livres We Culte. Pour cette semaine de lecture, trois suggestions. On commence avec notre « envoyé spécial permanent » outre-Manche, le toujours impeccable Jonathan Coe qui publie « Le Royaume Désuni »; on enchaîne avec un auteur qui n’a pas son pareil pour enchanter les mots, l’agile Denis Grozdanovitch qui sort « La gloire des petites choses », enfin, on se glisse dans « Le miroir égaré », une réédition d’un texte paru en 1996 dans les traces d’un couple ausculté par l’éternelle Françoise Sagan. Bonne lecture à toutes et tous !
Livres We Culte : nos trois coups de coeur de la semaine : Jonathan Coe, Denis Grozdanovitch, Françoise Sagan
JONATHAN COE : « Le Royaume désuni »
Bienvenue au pays de Coe ! Une fois encore, c’est l’assurance d’un délicieux séjour en lecture… Dernier volume d’une tétralogie proposée par le Britannique Jonathan Coe, « Le Royaume désuni » court sur une période de trois quarts de siècle, de 1945 à 2020. Maître technicien dans l’art de conduire un récit, l’auteur a rythmé son roman en sept temps forts de l’histoire d’outre-Manche : le discours de la victoire prononcé par Churchill en 1945, puis le couronnement de la reine Elizabeth II (1953), la finale de football Allemagne-Angleterre (1966), l’investiture du prince de Galles (1969), le mariage de Charles et Diana (1981), la mort de Lady Di (1997) et, enfin, en 2020 avec la pandémie du Covid-19…
Evidemment, un.e auteur.e sans grand talent se serait contenté de dérouler, mais là, on est en compagnie de Jonathan Coe. Donc, on se retrouve à Bournville, une ville où a prospéré la chocolaterie. Y vivent Mary Lamb (directement inspirée de la mère de l’auteur) et sa famille. C’est la vie qui va, avec ses hauts, avec ses bas. En soixante-quinze ans, les temps changent, les mœurs aussi… Du discours de la victoire au Brexit, Coe ausculte au scalpel la société britannique, avec une acuité cinglante et aussi une bonne dose d’humour « so british »…
- « Le Royaume désuni » de Jonathan Coe. Traduit par Marguerite Capelle. Gallimard, 496 pages, 23 €.
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DENIS GROZDANOVITCH : « La gloire des petites choses »
Depuis son arrivée dans le monde des lettres et un « Petit traité de désinvolture » (2002), il est surnommé « l’enchanteur ». Dans une vie précédente déjà, il fut un excellent joueur de divers jeux de raquette- maintenant, il manie les mots avec une même grâce qu’elle ne le faisait avec la balle. Autant dire que Denis Grozdanovitch est un auteur d’excellence. A preuve, son nouveau livre joliment titré « La gloire des petites choses ».
Il en est ainsi avec « Grozda » : les petits riens, les petites choses deviennent, en sa compagnie, des nourritures célestes. Plaçant ce nouveau livre sous la vigilance de Georges Haldas, Saint-John Perse et Jack Kerouac, il peut alors nous proposer, en ouverture, une belle réflexion sur « la beauté invisible ». Et nous mettant dans ses pas et ses mots, nous voilà embarqués « à la poursuite des petits riens », nous interrogeant sur « le formatage de la communication » ou sur « les minutes heureuses ».
Avec Grozdanovitch, bonheur de lecture, on passe des lettres du sinologue Simon Leys aux dribbles du footballeur brésilien Garrincha, des pages de Marcel Proust au « grand taoïste occidental » Fernando Pessoa. Tout honorant cette poésie des petites choses, en voie d’extinction, qui pourtant nous fait voir « ce qui dure sous ce qui passe ».
- « La gloire des petites choses » de Denis Grozdanovitch. Grasset, 226 pages, 20 €.
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FRANÇOISE SAGAN : « Le miroir égaré »
Il y a Sybil. Il y a François. Elle est belle et sage, il est impulsif et fantasque. C’est le couple d’un roman paru en 1996, réédité en cette fin d’année et signé Françoise Sagan, c’est joliment titré « Le miroir égaré ». Et dès les premières lignes, il y a cette « petite musique » Sagan, identifiable parmi mille autres. Une fois encore, l’auteure éternelle de « Bonjour tristesse » place l’histoire dans un monde de légèreté avec ce couple réputé dans le monde du théâtre parisien et qui s’est promis fidélité dix ans auparavant. Les deux nourrissent un rêve, depuis quelques mois : monter la pièce que Sybil a traduite.
Le hasard les fait rencontrer Mouna, elle a hérité de la fortune de son mari, elle pourrait financer le projet du couple. Elle pourrait à condition que François ne dise pas non à ses avances… sauf que François et Sybil ne doutent pas de leur amour. Mais il y aura trahison. Et tout va exploser. D’un regard perçant, avec « Le miroir égaré », Françoise Sagan ausculte avec un scalpel tranchant l’inévitable érosion d’un couple, le lent mais certain anéantissement de ce sentiment qu’on définit amoureux. Pourtant, « cet été, à Paris, s’annonçait comme un sérieux, studieux et romanesque été du temps jadis… Paris était à nouveau multiple et superbe… »
- « Le miroir égaré » de Françoise Sagan. Stock, 210 pages, 19 €.
Serge Bressan