Ibrahim Maalouf : “La musique est un langage qui nous unit”

ibrahim Maalouf
Ibrahim Maalouf : "Ma trompette, c’est un instrument traducteur, un passeur entre deux mondes" Photo DR

Toutes les musiques de We Culte. En tournée cet hiver avec « Kalthoum », hommage vibrant à la légendaire diva égyptienne Oum Kalthoum, Ibrahim Maalouf célèbre vingt ans de scène et de métissage musical. Trompettiste chercheur, passeur entre Orient et Occident, il prépare déjà pour 2027 un défi inédit : le plus grand concert de jazz instrumental jamais organisé, à la Défense Arena. Rencontre avec un artiste qui croit plus que jamais au pouvoir fédérateur de la musique.

“Je regarde toujours en avant”

Ibrahim, vous êtes un infatigable passeur entre les mondes, et vous fêtez vos vingt ans de scène. Quand vous regardez en arrière, que ressentez-vous ?

Ibrahim Maalouf : Sincèrement, je regarde rarement en arrière. Je trouve ça un peu déprimant. Je préfère toujours regarder en avant. Mais il y a une chose qui me touche beaucoup à chaque concert : voir à quel point mon public est diversifié. En âge, en culture, en religion, en style de musique… Vous avez vraiment toutes les générations, du grand-père de 85 ans au gosse de 8 ans, avec les parents, les frères, les sœurs. Et ça, cela me bouleverse.

Il y a des gens de toutes origines, de toutes couleurs. Ce n’est pas un public communautaire. Je n’ai pas touché tout le monde — ce serait impossible — mais j’ai réussi à rassembler des gens de tous horizons : amateurs de jazz, de classique, de chanson, de hip-hop… Certains m’ont découvert avec Delerm, d’autres avec Wynton Marsalis ou Asap Rocky. C’est un public de rêve.


“Je suis un chercheur avant tout”

Votre style musical est inclassable. Comment définiriez-vous votre univers ?

I.M. : Tant mieux si on ne peut pas me définir. J’aime être insaisissable. Ce qui me ressemble, c’est de chercher. Je me vois comme un chercheur dans son laboratoire, avec ses petites fioles : j’expérimente, je mélange, je vois ce que ça donne, si cela me plaît ou non. C’est ça qui me passionne.



Une trompette comme un passeport entre les mondes

Votre trompette à quatre pistons est devenue une extension de vous-même. Que représente-t-elle ?

I.M. : C’est le seul héritage que j’ai de mon père, et c’est profondément symbolique. Elle représente un lien entre les cultures arabes et occidentales. Mon père l’a inventée pour pouvoir jouer les quarts de ton arabes sur une trompette occidentale. C’est un instrument traducteur, un passeur entre deux mondes.

Quand j’ai repris Kalthoum, j’ai transformé une mélodie arabe classique en jazz très américain. Le public du Lincoln Jazz Center croyait entendre du jazz pur, jusqu’à ce qu’un Égyptien dans la salle se mette à chanter les paroles ! Ce jour-là, j’ai compris que mon instrument servait exactement à cela: traduire les cultures.


Ibrahim Maalouf, tournée anniversaire Kalthoum

“Kalthoum”, dix ans après

En novembre et décembre 2025, vous repartez en tournée avec KALTHOUM, dix ans après l’album original. Pourquoi ce retour ?

I.M. : Pour célébrer, mais aussi pour rappeler — surtout en ce moment — à quel point nous nous ressemblons. Kalthoum, c’est un hommage à Oum Kalthoum, dont on célèbre les cinquante ans de la disparition. C’est une manière de dire que la musique dépasse les rapports de force entre cultures arabes et occidentales.


“Toute œuvre artistique est politique”

Doit-on voir dans votre démarche une dimension politique ?

I.M. : Pas au sens politicien. Mais si la politique, c’est chercher à mieux vivre ensemble, alors oui, toute œuvre artistique est politique. L’art parle de liberté, et une œuvre libre est forcément engagée. Je me sens engagé dans mon travail, dans cette volonté de remettre en avant ce qui nous unit.

Aujourd’hui, les réseaux sociaux pointent surtout ce qui nous sépare, tout en nous donnant l’illusion d’être connectés. La musique, elle, nous relie vraiment.

Je crois que l’art a un rôle à jouer : nous rapprocher, nous aider à trouver nos points communs. C’est ce que j’ai voulu faire avec Kalthoum, en traduisant une œuvre majeure de la musique arabe dans un langage jazz américain.


L’expérience électro

Vous avez récemment lancé The Ibrahim Maalouf Electronic Experience, un projet électro-jazz qui a rempli l’Olympia. Est-ce une nouvelle direction ?

I.M. : Non, pas une direction, une expérience. J’aime expérimenter. Ce projet électro, c’était une envie d’aller chercher une autre pulsation, celle qui touche beaucoup les jeunes aujourd’hui.

Dans les concerts de musique électronique, des milliers de personnes viennent écouter un son, pas forcément une performance. Je trouve cela fascinant. En tant que musicien habitué aux instruments “organiques”, je voulais comprendre ce qui relie ces deux mondes. Et j’y ai trouvé beaucoup de points communs.


Face à l’intelligence artificielle

Et la musique créée par l’intelligence artificielle ?

I.M. : Je n’ai pas encore d’avis tranché. C’est trop tôt pour comprendre tous les enjeux. J’ai des peurs, mais aussi de la fascination. Est-ce plus effrayant que l’arrivée d’Internet ? Je ne crois pas. Internet a bouleversé la musique, tout comme l’IA le fera sans doute.

Mais je reste confiant : les musiciens ne disparaîtront pas. L’humain qui chante ou qui joue devant d’autres humains, cela existera toujours. On aime encore se voir, se parler, partager. Les technologies changent nos habitudes, pas notre besoin de lien.


Un concert monumental à la Défense Arena

Vous avez annoncé le plus grand concert de jazz instrumental au monde, à la Défense Arena en 2027. Comment est née cette idée ?

I.M. : En réfléchissant à la meilleure façon de fêter mes vingt ans de scène et mes vingt albums. J’ai voulu marquer le coup, dans la plus grande salle d’Europe, pour rassembler un maximum de monde. Le président des Grammys a trouvé l’idée incroyable : 40 000 personnes pour un concert de jazz instrumental, cela n’a jamais existé.

Je construis ce concert avec mon public : je fais régulièrement des sondages sur Instagram pour savoir ce qu’ils aimeraient entendre. La majorité m’a demandé un grand “best of” revisité, et un concert de… 3h30 ! Cela m’a surpris, mais j’adore cette idée.

Je ne peux pas encore dire combien nous serons sur scène, mais ce sera une grande fête. J’enseigne depuis mes 17 ans, et la transmission m’est essentielle. Beaucoup de vocations naissent sur scène — la mienne aussi. Alors j’ai envie d’offrir à d’autres musiciens cette chance de partager ce moment avec moi.

Entretien réalisé par Victor Hache


  • Tournée anniversaire « Kalthoum » d’une trentaine de dates. Partout en France à partir du 5 novembre, avec des concerts notamment au Victoria Hall (Genève), à la Philharmonie du Luxembourg et au Théâtre Fémina (Bordeaux)…
  • Le plus grand concert de jazz instrumental au monde « Ibrahim Maalouf 20 ans de live« . Le 10 avril 2027 à Paris la Défense Arena. Billetterie ICI

Image de Victor Hache

Victor Hache