Nikolay Khozyainov est une figure majeure de la scène musicale classique contemporaine. Né en Russie en 1992, il s’est imposé dès son jeune âge comme un pianiste exceptionnel, alliant une technique virtuose et une profondeur musicale rare. Diplômé du Conservatoire Tchaïkovski de Moscou et perfectionné à l’Université des Arts de Tokyo, il a conquis des scènes prestigieuses à travers le monde, devenant l’un des ambassadeurs les plus talentueux de la musique classique de sa génération. Le 17 décembre, il a donné à Paris un magnifique récital sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées. L’occasion pour We Culte d’aller à la rencontre de ce jeune musicien au talent immense qui vient de sortir un nouvel album « Monument to Beethoven » et de fonder l’Orchestre Philharmonique de la Paix basé à Genève, dont le concert inaugural aura lieu le 30 janvier 2025 au Victoria Hall.
Dans la salle du Théâtre des Champs-Elysées rempli jusqu’aux loges, l’immense piano laqué noir, l’attend, la gueule grande ouverte. Nikolay Khozyainov, 32 ans, fait son entrée, mince, presque enfantin dans son smoking « queue de pie », au revers duquel scintille une clé de sol stylisée. Tonnerre d’applaudissements pour le jeune virtuose du piano rappelant le prodige Mozart, celui immortalisée dans « Amadeus » par Niklos Forman, qui ressemble également au Petit Prince de Saint-Exupéry, blond, fin, souriant, curieux, intelligent. Car il en faut de l’acuité, de la mémoire pour jouer Schumann (variations sur un thème de Beethoven) avec autant de dextérité et de sensibilité, puis passer de Stravinsky à Chopin, dont il interprète 24 préludes à Bizet ou Eric Satie. Artiste généreux porté par l’amour de la musique, il a bissé 7 fois. Un triomphe pour cet immense artiste né en Russie, qui a récemment fondé l’Orchestre Philarmonique de la Paix à Genève, qu’il dirige, affirmant son désir de promouvoir la musique comme une force de rassemblement dans un monde en quête d’harmonie.
Nikolay, votre passion pour le piano est légendaire. Pouvez-vous nous parler de vos débuts au clavier ?
Nikolay Khozyainov : C’est une histoire assez particulière, car je n’ai pas de musicien dans ma famille. Ma mère est pédiatre, docteur, mon grand-père était aussi scientifique. Je suis né à Blagoveshchensk, une ville située sur le fleuve Amour qui sépare la Russie de la Chine. A l’âge de 5 ans, j’ai entendu de la musique dans un magasin près de chez nous, qui vendait des CD. Pour attirer des clients, ils jouaient de la musique classique, Chopin, Beethoven, Tchaïkovski, de la bonne et belle musique. Cela m’a fasciné, immédiatement. Je ne pouvais plus bouger et je ne pouvais plus parler. J’ai commencé à passer tout mon temps dans ce magasin, pour écouter cette musique.
Ma mère venait me chercher le soir, parce qu’elle savait où me trouver. Un jour, je lui ai dit « je veux jouer ! » même si je ne savais pas sur quel instrument, parce que je n’en connaissais aucun. Je savais juste que je voulais ressentir la beauté de la musique, sa sonorité et la jouer moi-même. J’ai beaucoup insisté et comme elle est pédiatre, elle m’a amené à l’école maternelle où elle travaillait. Il y avait une petite chambre de musique avec un piano. J’ai vu ce clavier, et je lui ai demandé : « qu’est-ce que je vais faire avec ce clavier ? ». Elle m’a dit : « je ne sais pas, mets tes mains dessus ». J’ai commencé à le toucher, et à reproduire ce que j’entendais. Cela a continué un moment, et elle m’a inscrit à l’école de musique. C’est comme ça que j’ai commencé. J’avais 6 ans. Et comme je faisais des progrès rapidement, ils ont tous insisté pour que j’aille étudier dans une vraie école de musique à Moscou, où j’ai donné un concert avec l’Orchestre Philharmonique comme soliste.
A quel âge avez-vous donné vos premiers concerts à l’international ?
Nikolay Khozyainov : J’ai joué à l’étranger très tôt dès l’âge de 7 ans, c’était en Allemagne, à Munich, Francfort, puis à 9 ans à Paris, ensuite aux Etats-Unis. Et j’ai déménagé en Allemagne, pour poursuivre des études approfondies. Maintenant, je vis à Genève. J’aime la Russie, la culture russe. J’ai de la famille là-bas, mais depuis le Covid, je n’y suis pas retourné. J’ai donné mon dernier concert à Moscou en février 2020, juste avant le confinement. Je jouais en orchestre le magnifique concerto de Scriabine.
Parlez-nous de l’Orchestre Philharmonique de la Paix que vous venez de fonder à Genève…
Nikolay Khozyainov : J’ai souvent donné des concerts pour la paix, par exemple aux Nations Unies et dans d’autres endroits. Je crois beaucoup en la force de la musique pour réunir les gens. Nous voulons tous la paix et la liberté. Et pendant les concerts, nous avons les deux, nous sommes libres d’aller là où nous voulons, dans notre imagination. Nous sommes là unis, tous ensemble, malgré nos nationalités, la couleur de notre passeport. Je dirais même que c’est que pendant les concerts que nous sommes vraiment unis. Au sein de cet orchestre, il y des musiciens qui viennent de différentes nationalités. Il y a des Russes, des Ukrainiens, des Juifs, des Français, des Italiens… Nous jouons tous ensemble et nous sommes unis avec le public. Mon idée est de réunir le plus de gens possible.
Qu’est-ce qui vous a inspiré cette idée?
Nikolay Khozyainov : C’est le thème de la paix car il y a beaucoup de conflits dans le monde. Je fais ce qui est en mon pouvoir pour réunir le plus de monde possible autour de cette idée. L’Orchestre Philharmonique de la paix donnera son premier concert le 30 janvier au Victoria Hall à Genève. Je vais jouer le concerto de Mozart en dirigeant l’orchestre depuis le piano. En deuxième partie, on va interpréter la magnifique symphonie N°2 de Kalinnikov, un compositeur russe de la fin du 19e siècle, peu joué.
Vous avez sorti récemment un nouvel album, Monument to Beethoven. Pourquoi ce choix ?
Nikolay Khozyainov : C’est l’histoire qui m’a fascinée. En 1840, Franz Liszt a remarqué qu’il n’y avait pas de monument dédié à Beethoven qui était vénéré par lui et par de nombreux autres compositeurs. Il a donné un concert en son honneur pour trouver des fonds et appelé d’autres compositeurs qui ont spécialement écrit des pièces tels Schumann, Chopin, Mendelssohn. Ces morceaux ont été édités dans un album et les revenus de la vente ont servi au financement du monument. Et pour finir, Liszt a donné la plus grande partie de la somme de sa propre poche parce qu’il n’y en avait pas assez. En fait, cela rejoint la grande question du financement de la culture. Je voulais présenter cette pièce « Allegretto » pour Beethoven arrangé par Liszt, dans mon album. J’aime Beethoven depuis mon plus jeune âge. C’est un grand maître, un musicien complet qui a composé pour l’orchestre et pour différents instruments. Il nous prend par la force de sa musique. Le message éternel de la paix qui est dans sa neuvième symphonie m’inspire également beaucoup.
On trouve d’ailleurs dans votre album une de vos compositions baptisée « Petals of Peace »…
Nikolay Khozyainov : Ce morceau a été commandé par les Nations Unies pour mon concert pour la paix en 2022. Je l’ai écrit et j’y ai donné la première mondiale. J’ai voulu qu’il figure dans mon album parce qu’il passe bien avec le message de Beethoven. Pour moi, la paix c’est comme un mirage, une belle vision. Parfois on peut la voir, parfois même presque la toucher. C’est ce que nous voulons le plus dans la vie.
Vous avez eu la chance de rencontrer le grand violoncelliste Mstislav Rostropovitch. Quel souvenir gardez-vous de lui ?
Nikolay Khozyainov : J’ai eu vraiment ce grand honneur et la chance de connaître Rostropovitch à Moscou où il avait un théâtre, où siégeait sa fondation. Il y écoutait les jeunes musiciens qu’il choisissait. Vous imaginez un homme si occupé, si extraordinaire, passer des jours pour trouver des jeunes, des talents qu’il aimait. J’étais à cette audition. C’est là que je l’ai connu. Il m’a soutenu. Il organisait des concerts. C’est grâce à lui que j’ai joué au théâtre de Champs-Elysées, à Paris, quand j’avais 9 ans. Il m’a donné des cours de musique. Je jouais pour lui, on discutait. Il m’a raconté plein d’anecdotes, sa vie, ses rencontres avec Chostakovitch et avec tous les artistes que je n’ai pas pu connaître. C’était fascinant.
Sur scène, on sent que vous êtes complètement habité par la musique…
Nikolay Khozyainov : J’aime le piano, car pour moi c’est l’instrument le plus complet. C’est comme un orchestre où je peux exprimer différentes émotions. Bien sûr, je m’entraîne, je joue, je travaille, mais j’étudie aussi beaucoup les sources de la musique.
Pour moi, si on joue une pièce d’un compositeur, il faut connaître toutes les circonstances de la création d’un morceau. J’étudie les manuscrits, les premières éditions, les lettres, tout ce qu’il y a autour de l’œuvre. Après avoir étudié tout cela, c’est comme une création sur scène basée sur les sources. Je ne change pas les intentions du compositeur. J’entre en scène comme un interprète pour faire revivre sa musique.
Comment définiriez-vous votre couleur musicale ?
Nikolay Khozyainov : Je ne veux pas me comparer aux autres, mais ce que je cherche toujours ce sont de belles sonorités, des sonorités orchestrales, des différents plans, des voix dans le jeu. Je pense qu’il y a du romantisme et des émotions. Je mets tout mon cœur dans la musique que je fais.
Est-ce qu’il y a un compositeur que vous aimez particulièrement ?
Nikolay Khozyainov : J’adore Franz Liszt qui était un grand pianiste, compositeur, et aussi chef d’orchestre. Il était absolument complet. Il soutenait d’autres compositeurs, les jeunes, et il était généreux avec son art.
J’aime également Rachmaninov qui lui aussi était un grand musicien complet. Il y en a d’autres, comme Chopin, qui est un compositeur plus intime. J’ai enregistré toutes ses œuvres, mais il y a tellement de magnifiques musiques, que toute la vie n’est pas suffisante pour les connaître.
Vous avez joué sur les plus prestigieuses scènes du monde. Y a-t-il une salle où vous adorez vous produire ?
Nikolay Khozyainov : Il y a beaucoup de belles salles, mais je dirais que le Théâtre des Champs-Elysées est un des endroits absolument magiques notamment à cause de son histoire. Stravinsky était là avec le « Sacre du Printemps », les musiciens, les artistes peintres ont tous travaillé et créé ici. Il y a tellement d’histoires dans ce théâtre. J’y ai donné la première de ma composition « Fantaisie ». Et j’ai tenu à jouer les trois mouvements de Petrouchka de Stravinsky ici pour rendre hommage à ce lieu magnifique.
Entretien réalisé par Victor Hache
- Album : Nikolay Khozyainov « Monument to Beethoven ». Rondeau Production.
- Concert : avec le l’Orchestre Philharmonique de la Paix. 30 janvier 2025, Victoria Hall – Genève.