Il en rêvait depuis longtemps. Le chanteur revient avec Cali chante Léo Ferré. Un album de reprises, en hommage au chanteur poète anar, dans lequel il bouscule les codes grâce à des arrangements sobres et modernes, pour mieux faire redécouvrir ses mélodies et sa poésie.
Comment rendre hommage à Léo Ferré ? Un exercice difficile dont Cali se sort intelligemment avec cet album de reprises de seize chansons du chanteur poète anar, qu’il revisite avec sensibilité et audace
Comment rendre hommage à Léo Ferré ? Un exercice difficile dont Cali se sort intelligemment avec cet album de reprises de seize chansons du chanteur poète anar, qu’il revisite avec sensibilité et audace. Loin de la théâtralité et de la fougue de Ferré, Cali a choisi le terrain de la sobriété pour mieux mettre en lumière les mots du maître : « Me voilà face à la montagne, au pied de l’Everest » sourit-il, respectueux et presque intimidé de marcher sur ses pas. On sent l’amour et l’admiration chez Cali, qui avait déjà gravé dans sa discographie L’Age d’or ou encore l’Affiche rouge d’Aragon par Léo Ferré.
Des chansons qui font partie du patrimoine qu’il a voulu habiller d’arrangements très sobres aux sonorités actuelles, ici une touche d’électro, là, une approche classique au piano, comme pour rappeler la modernité et la mélancolie de Ferré. Pour entrer dans ce disque, il faut oublier l’interprétation unique et inimitable du grand Léo et redécouvrir ses mots qui prennent un nouveau jour sur la voix tour à tour rocailleuse, délicate, lyrique ou féminine du chanteur de Vernet-les-Bains, qui vient de fêter ses 50 ans. Avec Cali chante Léo Ferré, il semble vouloir tourner la page de l’artiste tout feu tout flamme des débuts, qui parfois en faisait trop sur scène. La poésie de Ferré lui donne aujourd’hui une profondeur et une maturité qui lui vont bien. Manière d’entrer dans l’âge adulte en beauté.
Cali: « Léo Ferré c’est une montagne, oui, mais ce n’est pas comme si j’avais décidé de reprendre un « monument », sans le connaître »
N’est-ce pas impressionnant de se lancer comme vous le faites dans l’interprétation des chansons de Léo Ferré ?
Cali : C’est impressionnant, mais c’est tellement en moi depuis toujours, que c’était une logique. J’entends ses chansons depuis que je suis tout petit grâce à mon père qui écoutait beaucoup Ferré. Je le voyais les larmes aux yeux en écoutant un type qui scandait des trucs, que je ne comprenais pas. Ado, mon frère m’a fait écouter la chanson Richard. C’est là que j’ai compris la poésie de Ferré. C’est une montagne, oui, mais ce n’est pas comme si j’avais décidé de reprendre un « monument », sans le connaître. Je l’ai interprété dans mon disque l’Âge d’or, et avec le pianiste Steve Nieve, j’ai joué l’Affiche Rouge d’Aragon par Ferré. Et quand je jouais en bal de village, je reprenais C’est extra à la fin au moment où on chantait les Clash et les Sex Pistols ! C’est la place qu’il devait avoir (rires).
Comment avez-vous sélectionné les textes ?
Cali : Cela a été compliqué parce qu’il y a plus de mille chansons. Mathieu Ferré, le fils de Léo, m’a donné des partitions inédites. Il y avait cent chansons que je voulais faire. J’ai eu la tentation de ne mettre que des chansons inconnues de Ferré. Et en même temps, comme je voulais un arrangement inédit, j’ai voulu graver des titres que les gens ont pu entendre. J’ai mis Avec le Temps, C’est Extra, Les Anarchistes parce que les arrangements sont totalement différents et que le public puisse se retrouver. J’ai voulu faire le Ferré de Cali. J’ai aussi choisi l’Enfance, une chanson que j’avais entendue avant de connaître la vie de Ferré. Elle m’a toujours plu par sa beauté des mots et sa mélodie. J’ai découvert ensuite, qu’il a vécu une enfance terrible, abusé par des curés à 8 ans – ça été le caillou dans sa chaussure toute sa vie. Quand il dit dans le texte de l’Enfance, « souviens-toi des silences au fond des corridors et ce halètement divin, je l’entends encore », c’est d’une puissance extrême.
Vos arrangements sont assez osés. Pourquoi ce choix de modernité ?
Cali : A quoi ça sert de faire la même chose ? Elles existent les chansons. C’est pour ça que j’ai demandé à Steve Nieve, un pianiste anglais qui a collaboré avec Elvis Costello entre autres, de m’accompagner dans cette aventure ainsi qu’à François Poggio à la guitare, qui connaissait peu Ferré. Et on l’a fait au Studio Pigalle, le studio où Ferré a enregistré ses premiers 78 tours, avec un ingénieur du son, qui a 35 ans. Ce qui m’intéressait pour le son, c’est qu’il n’y ait aucune référence. Ça été une expérience formidable.
En reprenant les chansons de Ferré, ne craignez-vous pas d’être critiqué par les puristes ?
Cali : Je le suis déjà sur les réseaux sociaux où les critiques des intégristes de Ferré sont très violentes. Je m’y attendais. Il y a deux ans, c’était les cent ans de sa naissance et on ne les a pas fêtés en France. Je leur dis : « vous préférez qu’on le laisse dans la tombe et qu’on n’en parle plus ? ». Ceux qui m’ont donné envie de chanter, c’est Thiéfaine, Lavilliers, Higelin, Baschung, ces gens-là viennent de Ferré. Certains rappeurs, dont je trouve qu’ils ont une belle plume, descendent aussi de Léo. Ferré faisait du rap, il y a 40 ans. Il faut le dire aux jeunes. Le cadeau ultime, pour moi, serait que les jeunes qui viennent me voir en concert, disent «on va maintenant découvrir l’œuvre de Ferré ».
« Cali : « Je pense que Léo Ferré fait peur. Il écrit l’amour comme personne, mais il a évidemment chanté l’anarchie, Ni Dieu ni Maître«
Il n’a jamais laissé indifférent. Pensez-vous qu’il dérange encore aujourd’hui ?
Cali : Je pense qu’il fait peur. Il écrit l’amour comme personne, mais il a évidemment chanté l’anarchie, Ni Dieu ni Maître. Quand il dit « Paris, je ne t’aime plus », ce sont des flèches tellement aiguisées et les mots sont tellement beaux, que ça fait mal aujourd’hui encore. Les radios ne passent pas mon disque, elles ne passent pas Ferré. On n’en parle pas parce que c’est trop actuel. C’est troublant.
Quels sont vos projets ?
Cali : J’ai sorti cette année un premier roman (Seuls les enfants savent aimer ) qui parlait de la pureté des six ans. Je suis en train d’écrire un deuxième livre (qui sortira aux éditions Le Cherche midi, cet automne) qui parlera de la pureté des quinze ans, même si c’est romancé à 70%. A quinze ans, je suis avec ma meute de camarades, on n’a pas fait l’amour encore et on ne parle que de ça. On découvre la musique, on fait n’importe quoi, des groupes punks etc.… Dans la forme, c’est un peu «on meurt demain, on y va à fond ». A cet âge-là, on n’est pas encore au milieu des chaînes de la vie. J’ai adoré cette période de l’adolescence, même si ce n’est pas facile, parce qu’on ne comprend pas son corps, qu’il craque de partout et que tout est nouveau. Mais justement, ce sont des expériences nouvelles. J’ai eu 50 ans cette année, je ne les ai pas fêtés. Ça me blesse totalement et ça m’énerve. Donc, pour me soigner, j’ai cherché l’enfance, l’adolescence. Ecrire m’a aidé.
Entretien réalisé par Victor Hache
Album Cali chante Léo Ferré /BMG. Tournée à partir du 10 octobre. Concert Le 16 novembre au Théâtre Dejazet, 75003 Paris.
Lire : Cali sort son premier roman : «Je fais ce métier par besoin d’amour» : https://www.weculte.com/featured/cali-je-fais-ce-metier-par-besoin-damour/