Pierre Lapointe, chanteur star au Québec qui bénéficie d’une vraie reconnaissance en France depuis Paris tristesse, sort la Science du cœur. Magnifique album où il explore le sentiment amoureux entre chanson, pop et arrangements contemporains.
C’est entendu, Pierre Lapointe n’est pas un garçon franchement joyeux. Enfin si, il l’est dans la vie où, sur scène, il présente toujours ses chansons avec beaucoup d’humour, comme pour marquer une distance avec son univers empli de mélancolie. C’est justement là qu’il faut aller chercher le bonheur d’écouter l’artiste, qui au travers de ses chansons dit un peu de lui et beaucoup de nous : « Pour qu’une œuvre devienne intéressante dans la bouche d’un auteur, confie-t-il, il faut que l’artiste accepte qu’il y ait une confusion entre ce qui est fantasmé, romancé, et ce qui est la réalité. C’est pour ça que j’ai poussé l’idée du “je” en n’ayant pas peur de faire des liens avec ma vie personnelle. On ne sait plus trop ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas. Cela entretient une forme de mystère et c’est facile après pour les gens de s’approprier ça. » Des chansons aux contours intemporels, comme dans le disque Paris tristesse (2014) où, seul au piano, dans de magnifiques arrangements dépouillés, il touchait en plein cœur un public sensible au sentiment amoureux.
Quelque chose qui obsède l’humain
Un thème qu’il explore à nouveau aujourd’hui avec l’album la Science du cœur, où il fouille les émotions humaines passées au crible de ses doutes existentiels entre larmes, désir de beau et quête amoureuse pour « oublier le poids de la solitude ». Pierre Lapointe a sa définition de ce qu’il nomme la science du cœur, qui est « un objet d’abstraction propulsé par la volonté qu’ont les gens tristes de se laisser toucher », chante-t-il. « Le sentiment amoureux est une des choses les plus distrayantes qui soit, sourit le chanteur. L’amour, c’est très grisant ! (rires). Qu’on en ait ou pas, cela reste quelque chose qui obsède l’humain. C’est un thème absolument galvaudé, brûlé, mais on continue d’écrire là-dessus. »
Star au Québec, son pays, il a produit une dizaine d’albums depuis ses débuts en 2001 où il remporte le grand prix du Festival international de la chanson de Granby. Depuis, il n’a cessé de s’aventurer dans des ambiances mêlant chanson et pop au travers de ses spectacles : Petites chansons laides, la Forêt des mal-aimés, Sentiments humains, Pierre Lapointe seul au piano, Punkt, Paris tristesse ou Amours délices et orgues, création éphémère donnée cet été aux Francofolies de Montréal.
Pierre Lapointe est un mélange de chanteur moderne inspiré aussi bien par Steve Reich, Kurt Weill, Philip Glass ou Amanda Lear, adepte d’une chanson un peu surannée habillée d’arrangements contemporains. Ce qui lui donne un côté futuriste, voire avant-gardiste à l’origine d’une œuvre créative dense et très mélodique, où se croisent l’expérimental et la chanson classique héritée de Barbara, Brel et des sixties : « Je suis né dans les mauvaises années, dit-il. Mais, avec le temps, j’ai réussi à faire le pont entre cette époque qui n’est pas la mienne et quelque chose qui, je crois, est très actuel. »
Soupapes à la maladie de l’ennui
Un album où résonnent les noms de David Bowie ou David Hockney. Le titre Alphabet ressemble ainsi à un manifeste où il fournit des repères et nomme ses influences « pour comprendre la genèse de ce qui (l)’a bâti ». Au sein de ce qu’il appelle sa « poésie vaporeuse », il y a des « aveux de défaite » : « Quand l’être humain accepte qu’il est imparfait, faible, pour moi, c’est là qu’il devient beau, fort, utile. » Un registre obsédant et émouvant nappé de violons, pianos et atmosphères électriques, où ses textes emplis de poésie s’accompagnent d’images volontairement concrètes : « Nommer les choses, pour moi, ce n’est pas nécessairement cru. Sur mon premier album, je parlais du sexe de ma mère. Pour moi, il n’y a pas de malaise. Je ne suis pas quelqu’un qui aime provoquer, je suis quelqu’un qui aime les choses dites. » Un regard sensible sur sa vie d’artiste et d’homme qui a choisi d’aller chercher le beau dans l’étrangeté. Un moyen pour lui de se sentir exister et de « contrer ce sentiment d’impuissance, de désarroi et d’emmerdement total. J’appelle ça la maladie de l’ennui. Mes chansons sont comme des soupapes. J’ai décidé de miser sur l’amusement, la beauté, pour ne pas me perdre dans les sensations que je décris dans mes albums ».
Album la Science du cœur, Sony Music. Tournée à partir du 3 février, dont les 13 et 14 février à la Cigale (Paris 18e).