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Le chanteur sera sur la grande scène dimanche 14 septembre. Un événement qu’il ne manquerait pour rien 
au monde, lui, dont la première venue à la Fête date de 1976. Il promet d’y chanter « Les Mains d’or » et « l’Affiche rouge ». Un grand moment d’émotion en perspective.

Sur votre carnet de bord revient souvent le mot Fête de l’Humanité. Que représente pour vous le fait de chanter dans ce rendez-vous à la fois culturel et politique où vous vous produirez pour la 8e fois depuis votre première venue en 1976 ?

Bernard Lavilliers La Fête de l’Humanité est un événement populaire. Elle porte bien son nom, d’ailleurs. J’y ai chanté, je crois, en 1976 pour la cellule d’Ivry-sur-Seine. Deux ans plus tard, j’ai dû me produire sous le chapiteau. C’est vrai que j’y suis passé souvent. Cela reste un endroit tout à fait spécial où il y a des concerts, des conférences, où on peut même rencontrer des poètes en chair et en os, ou voir des expositions dadaïstes. La Fête de l’Huma est un événement polyculturel. Cela fait tellement partie de la vie de la banlieue parisienne que ça m’étonnerait qu’elle disparaisse !

Ci-dessous, interview Bernard Lavilliers à sa sortie de la grande scène de la Fête de L’Humanité, où celui-ci a donné un concert exceptionnel, intimiste et engagé, dimanche 15 septembre 2014.

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C’est aussi l’endroit où l’on a vu Ferré pour la dernière fois en public à vos côtés sur la grande scène où vous l’aviez invité…

Bernard Lavilliers C’était en septembre 1992, presque un an avant sa mort le 14 juillet 1993. C’était la surprise que je voulais faire à Roland Leroy, qui, à ce moment-là, était le directeur de l’Humanité. Cela fait partie des choses inoubliables. C’est la dernière fois qu’il montait sur scène.

Quels rapports entreteniez-vous et comment avez-vous fait sa connaissance ?

Bernard Lavilliers Léo et moi, on a fait connaissance grâce à un ami agent artistique qui s’appelait Richard Marsan, dont il parle dans sa chanson Richard. Il s’est occupé de Jacques Brel, de Charles Aznavour, de Léo Ferré, de moi. À l’époque, je faisais pratiquement un disque tous les ans et Léo, lui, faisait des disques-fleuves. Je l’ai rencontré sur la tournée que j’ai faite en 1976-1977 avec Magma et le groupe Gong. Là, on avait largement le temps de parler avant ou après nos concerts, dans les caravanes. Quand il chantait les Anarchistes, Madame la misère ou Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, ça ouvrait un champ. Ferré est un ouvreur de portes. Il a mis en musique beaucoup de poètes, Aragon bien sûr, mais aussi Verlaine, Rimbaud, Baudelaire. C’est un artiste passeur, on devrait tous l’être, d’ailleurs.

Vous dites que l’art peut être subversif. Est-ce qu’une chanson peut sinon changer le monde, du moins aider à faire bouger les mentalités ?

Bernard Lavilliers Cela peut arriver, dans les circonstances extrêmes. Il y des chansons qui sont liées à des époques, le Chant des partisans ou le Temps des cerises, liée à la révolution de 1848 et la Commune. En ce qui me concerne, les Mains d’or reste une chanson populaire, parce qu’elle s’applique aux circonstances. Elle est encore plus actuelle aujourd’hui. Je pense que les Mains d’or a valeur de symbole. Comme disait Aragon : « Remettez les poèmes dans leur réalité historique. »

Vous êtes souvent lucide sur le monde qui nous entoure, les politiques… Pensez-vous que le fait d’avoir travaillé en usine, comme tourneur fraiseur, vous a donné une conscience sociale plus aiguë ?

Bernard Lavilliers À mon avis, c’est un avantage sur beaucoup d’autres qui ne savent pas comment s’y prendre pour écrire sur le monde ouvrier, qui a beaucoup changé. Ils en sont trop loin. Le fait d’avoir travaillé en usine, de jour et de nuit, et d’avoir gagné un salaire précis, m’a forgé. Au début, c’était payé à la semaine et en liquide. Ce genre de chose, c’est très marquant. À l’époque, on nous payait le vendredi soir, après ça a été par quinzaine et ensuite, je ne sais plus sous quel président, on nous a obligés à avoir un compte en banque.

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On sent que c’est un monde qui vous a marqué…

Bernard Lavilliers Je l’ai fréquenté durant toute mon enfance. Mon père travaillait dans une usine. On était tous concernés. Fut une époque, il y avait 10 000 ouvriers dans cette usine. C’est une ville ! Cela fait 40 000 personnes avec les familles qui vivent sur une usine. Mon père a été responsable syndical. Je ne dis pas que je suis plus qualifié, je dirais que j’ai une vision plus exacte de ce qu’est le monde du travail. Et du désarroi d’ailleurs, dans lequel se trouvent les gens qui peuvent même voter Front national, par colère.

Vos parents ont-ils contribué à votre éveil politique ?

Bernard Lavilliers À la maison, on a toujours discuté politique. Ma mère, c’était plutôt la poésie, même si elle parlait politique. Mon père, c’était l’analyse politique. Je l’ai apprise avec lui sur des faits précis, ce qui m’a donné une grille de lecture. On a toujours des discussions politiques ensemble. Il a quatre-vingt-quatorze ans, il lit beaucoup, les journaux, des biographies historiques. Il a vécu 1936, la Seconde Guerre mondiale, il a une vision incroyable des choses. C’est un arc dans la société dans laquelle on vit ! Il a eu une grosse action syndicale et dit toujours : « Une grève, il faut la mener jusqu’au bout ou ne pas la faire. » C’est ce qu’il me disait encore, il y a quelques jours (rires).

En 2013, au moment de la sortie de votre album Baron Samedi, vous nous disiez : « Je sens qu’il y a un repli terrible. » C’était assez prémonitoire au regard des dernières élections européennes et du score du FN…

Bernard Lavilliers On ne sait pas où on va. Le vote du FN, je crois que ça touche au désespoir. C’est un vote de refus. En France, on vote souvent contre, rarement pour quelqu’un. C’est choisir entre la peste et le choléra. Il y a des gens qui ont voté Hollande, c’est normal qu’ils soient déçus. Et d’autres qui ont voté FN et qui font aussi la gueule, parce qu’ils se rendent compte qu’il y a des combines tout aussi épouvantables à l’intérieur du FN qu’il y en a dans ce qu’il appelle l’UMPS.

Que pensez-vous du remaniement et du nouveau gouvernement qui semble vouloir s’orienter vers une politique sociale-libérale ?

Bernard Lavilliers Les technocrates ont gagné pour l’instant. Tout ce qu’on déteste ! Ce ne sont vraiment que des énarques. À la Fête de l’Huma, à mon avis, il y aura beaucoup de monde parce que c’est le premier grand rassemblement politique de tout ce qui n’est pas socialiste. Ou alors, quelques socialistes frondeurs vont venir, c’est possible. La question qui reste à poser, c’est la fameuse histoire du marché auquel on n’arrive même pas à payer les intérêts. Tous les présidents depuis Mitterrand ont passé leur temps à faire des promesses et emprunter au marché. Mais c’est qui, c’est quoi ce fameux marché ? Est-ce que c’est Dieu qui imprime les billets, les fonds de pension, les banques ? C’est quoi ?

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Quel sera votre message à la Fête ?

Bernard Lavilliers Je ne vais pas casser le moral aux gens ! (rires). S’agissant du monde de la finance, je pourrai dire la phrase de la chanson Troisièmes Couteaux : « Ils ne font rien, ils se situent. » C’est d’une clarté absolue. Avec ce remaniement, on a vécu une semaine étrange. La situation me fait penser à certains bouquins de Gabriel Garcia Marquez. Pas l’Automne du patriarche, parce qu’il s’agit d’un dictateur, mais Cent ans de solitude en ce qui concerne Hollande ! (rires).

C’est extraordinaire ce sentiment de fidélité qui existe entre vous et le public de la Fête. Comment vivez-vous cela ?

Bernard Lavilliers C’est extrêmement émouvant et touchant. Je vais chanter l’Affiche rouge, en mémoire des Arméniens, le groupe Manouchian, les étrangers qui aimaient la France et qui se sont fait flinguer pour qu’elle reste libre. C’est aussi le moment de le faire à la Fête de l’Huma. Je vais le faire à partir d’un arrangement assez rock, quelque chose de puissant et de sobre, avec ces paroles de Manouchian : « Je meurs sans haine pour le peuple allemand. » Je pense l’interpréter à la fin de mon concert. Ce sera une conclusion pour moi.

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