Avignon In & Off. Le Festival d’Avignon In et Off, connaît cette année une édition exceptionnelle tant sur le plan artistique que public. Avec un taux de fréquentation record pour le In et des ventes qui explosent pour le Off, le théâtre vibre plus que jamais dans la cité des papes. Entre découvertes bouleversantes et spectacles ambitieux, notre deuxième semaine de parcours a été marquée par de grandes émotions. Retour sur une programmation intense, diverse, où l’exigence rencontre l’enthousiasme du public.
Avignon In & Off : les festivals ont présenté tous les deux des bilans d’étape réjouissants
Les festivals d’Avignon ont présenté tous les deux ce lundi des bilans d’étape très réjouissants. Tiago Rodrigues a annoncé un taux de fréquentation record de 96,7 et près de 119 000 billets vendus. Il en a profité pour révéler que le coréen sera la langue mise à l’honneur l’an prochain comme l’arabe l’a été cette année. Du côté de l’association AF&C qui encadre le Off, les chiffres sont également excellents puisqu’à la mi-parcours les ventes ont déjà dépassé celles qui avaient été réalisées l’an passé à la fin du Festival.
Notre parcours de deuxième semaine nous a permis de découvrir le seul en scène du belge Emmanuel De Candido, de retrouver Louise Vignaud qui met en scène une belle équipe de jeunes comédiens avec La Criée de Marseille et de nous émouvoir pour La mémoire des souvenirs de Fabio Marra. La chanteuse Nawel Dombrowsky s’affirme une nouvelle fois comme une grande autrice et interprète tandis que Anne Teresa De Keersmaeker et Solal Mariotte ont chorégraphié ensemble les chansons de Jacques Brel dans la majestueuse carrière de Boulbon.
Emmanuel De Candido, Fils de batard
Après le succès de Pourquoi Jessica a-t-elle quitté Brandon ?, la Compagnie MAPS d’Emmanuel de Candido présente cette année Fils de bâtard. Emmanuel De Candido est belge mais on pourrait dire que c’est un citoyen du monde. Dans la vie il a beaucoup voyagé et c’est un vrai voyage qu’il nous propose dans la première partie de son spectacle à la recherche du passé de son père décédé il y a 15 ans. Celui-ci a vécu une vie très romanesque qui était un mystère pour son fils. Il nous raconte sa recherche pour éclaircir ce mystère, un projet qui lui a pris 7 ans. C’est un beau sujet que l’acteur réussit à rendre très vivant dans un seul en scène qui nous conduit au Congo, en Antarctique et en Libye.
On aurait pu en rester là et il y avait matière à un spectacle. L’artiste a senti que sa mère était la grande oubliée de cette histoire et il nous entraîne dans un autre récit précédé d’une longue séance de mime qui ambitionne de nous raconter la vie toute simple de cette femme. On entre ensuite dans un nouveau spectacle sur la mort de celle-ci. Grâce à la fiction De Candido nous affirme que, contrairement à ce que dit le proverbe, on peut mourir deux fois. C’était aussi l’histoire de Tata, le roman de Valérie Perrin, best-seller de l’été 2025.
Les deux morts de la mère de l’artiste belge constitue quasiment un second spectacle tout aussi surprenant que le premier et particulièrement émouvant. L’acteur est un magnifique comédien et on se demande par moment s’il ne serait le Fabrice Luchini des belges. On le reverra sûrement dans de nouvelles aventures tout aussi extraordinaires.
Louise Vignaud, La tête sous l’eau
On a connu Louise Vignaud quand elle dirigeait le théâtre des Clochards Célestes dans le quartier de la Croix Rousse à Lyon. C’est à cette époque qu’elle a créé en 2016 La tête sous l’eau, un texte de Myriam Boudenia. Elle est maintenant artiste associée au théâtre de la Criée à Marseille et reprend ce spectacle avec une équipe de jeunes apprentis comédiens de l’Ecole Régionale d’Acteurs de Cannes et Marseille (ERACM).
Le spectacle commence par un moment documentaire autour du licenciement très douloureux d’Irène, le personnage central de la pièce. L’histoire bascule ensuite et prend une toute autre dimension. Le spectacle mêle le drame et la fantaisie et c’est passionnant. On y découvre un océanographe qui s’emploie à remonter le moral de la chômeuse. Il y a des malentendus et du burlesque et un grand moment de chanson dans une folle interprétation de la mer de Charles Trenet par le quatuor des jeunes comédiens.
Louise Vignaud réussit totalement cette recréation qui offre à ces jeunes acteurs une occasion unique d’affronter l’expérience du Off d’Avignon dès leur parcours de formation. Elle nous permet de redécouvrir un texte toujours aussi actuel dans une mise en scène aussi vive que limpide.
Fabio Marra, La couleur des souvenirs
Créé au Festival Off d’Avignon 2023, La couleur des souvenirs est de retour et c’est une chance. Fabio Marra est un habitué du Off où il a pris désormais une place essentielle à la manière des Daguerre, Bouvron et Michalik.
Il est l’auteur de ce spectacle où il dresse le portrait de Vittorio, un vieil artiste peintre qui n’a pas connu une vie très facile. Dominique Pinon est tout à fait extraordinaire dans ce rôle de misanthrope des temps modernes. Il est accompagné par la merveilleuse Catherine Arditi une partenaire très fidèle de Fabio Marra qui joue lui-même un rôle plus modeste mais tout aussi justement conduit..
Atteint de DMLA, le peintre perd progressivement la vue et cette maladie va donner au spectacle une dimension dramatique. Mais Fabio Marra réussit à varier la tonalité de son texte qui surprend et émeut continuellement jusqu’à une conclusion absolument magnifique.
Fabio Marra est une grand homme de théâtre comme auteur et metteur en scène. Il sait créer des personnages qui ont chacun une personnalité attachante et leur faire vivre des situations hors du commun. Tout cela reste très clair malgré la complexité de certaines relations. Une scénographie très astucieuse en font un spectacle qui mérite totalement le grand succès renouvelé dans cette nouvelle édition du Festival.
Nawel Dombrowsky, Incarnée
Après des débuts prometteurs comme comédienne, Nawel Dombrowsky a finalement préféré la chanson. D’abord comme interprète d’anciennes chansons réalistes dans les cabarets parisiens puis avec un répertoire écrit pour elle par Yanowski, auteur-compositeur. Nawel s’est formée ensuite à l’écriture des chansons et c’est elle qui a écrit celles qu’elle chante dans Incarnée, son spectacle d’Avignon.
La chanteuse s’est entourée pour la scène de Louis Ouvrard au violon et de Nolwenn Tanet, sa fidèle pianiste, qui a composé la musique des chansons. On connaissait Nawel comme magnifique interprète. Avec ce spectacle et l’album qui l’accompagne elle s’impose maintenant comme une grande autrice, parmi les toutes meilleures de sa génération.
Toute jeune elle se rêvait cinéaste. Elle conçoit maintenant ses chansons comme de vrais courts-métrages. Chacune d’elle a donc son scénario et elle change chaque fois d’atmosphère : la comédie, le drame et toujours beaucoup d’amour et d’humour. Tout un univers d’une grande variété qui fait une excellente setlist et la grandeur d’un beau tour de chant.
Anne Teresa De Keersmaeker et Solal Mariotte, Brel
C’est un immense défi dont s’est saisie la danseuse et chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker : chorégraphier les chansons de Jacques Brel dans l’espace majestueux de la carrière de Boulbon qu’occupait l’an passé la Comédie Française. La chorégraphe belge flamande le fait avec le jeune français Solal Mariotte, danseur et chorégraphe issu du breakdance.
Alex Fostier est un artiste du son qui a magnifiquement sonorisé l’immensité du site. On écoute donc toutes les plus grandes chansons de Brel pendant 90 minutes, un moment inoubliable tout particulièrement pour celles et ceux qui ont admiré le chanteur de son vivant. La danse tente de faire vivre ce répertoire dans le mouvement. Elle oscille entre une extrême simplicité et une organisation chorégraphique plus complexe.
On ne sent pas toujours ce que l’écriture chorégraphique apporte à chaque chanson à tel point que le public reste longtemps silencieux avant de se risquer aux applaudissements ce qui est tout à fait paradoxal quand on se souvient de l’enthousiasme que suscitait le tour de chant de Brel. Mais le duo peut aussi nous enthousiasmer en donnant une sorte de nouvelle vie à quelques unes des meilleures chansons du Grand Jacques. On attendait beaucoup de ce rendez-vous et ces moments d’émerveillement, les chansons de Brel et le cadre de Boulbon ont réussi à nous combler.
Yves Le Pape