Sortie cinéma. L’avortement a été légalisé en France par la loi Veil, votée par le Parlement en janvier 1975. Avant, c’était l’enfer pour les femmes qui subissaient une grossesse non désirée. C’est ce que raconte avec force et réalisme le film « L’Événement », sur les écrans ce mercredi 24 novembre.
Cinéma. « L’Evénement » : le cauchemar de l’IVG dans les années 60
Réalisé par la Française Audrey Diwan, le film a reçu le Lion d’or (meilleur film) de la Mostra de Venise en septembre dernier. Il est adapté du livre autobiographique d’Annie Ernaux paru en 2000 (Ed. Gallimard).
On est en 1963. Anne (Anamaria Vartolomei) est étudiante en lettres, habite à la Cité universitaire et, comme les copains et copines de son âge, aime s’amuser et profiter de sa jeunesse. Mais c’est une jeune fille sérieuse et intelligente, ambitieuse, qui veut réussir ses études pour devenir prof ou écrivaine et vivre une vie plus intéressante que ses parents, d’un milieu modeste, qui tiennent une petite auberge en province.
Médecin trouvé dans l’annuaire
Ses copines sont vierges, mais pas elle. Elle a rencontré un étudiant de passage, d’une famille riche de Bordeaux, et est tombée enceinte. « Je suis enceinte. Je veux poursuivre mes études. C’est capital pour moi », dit-elle au médecin qu’elle a trouvé dans l’annuaire –mais qui, bien sûr, refuse d’envisager l’avortement.
Car en 1963, l’avortement est interdit. Celles qui le subissent et ceux ou celles qui le pratiquent ou qui les aident sont menacés de prison. C’est un sujet tabou. Anne ne peut en parler à ses parents et ses copines ne veulent (et ne peuvent) pas l’aider. La jeune fille est seule, avec la détermination d’aller jusqu’au bout, quoi qu’il lui en coûte…
Souffrance taboue
« Le silence est le sujet du film, son point de départ. Rien ne doit être dit, ni entendu. On ne prononce jamais le mot «avortement» de tout le film », dit la réalisatrice. « Ce que vit Anne est une souffrance taboue, rentrée, un combat intérieur. C’est une souffrance qui ne doit pas faire de bruit sans quoi, en plus de souffrir, elle risque d’être condamnée par la justice ».
C’est le deuxième film d’Audrey Diwan, 41 ans, après « Mais vous êtes fou » (2019), basé déjà sur une histoire vraie: l’histoire d’un couple (Céline Sallette et Pio Marmaï), parents de deux fillettes, secoué par l’addiction à la cocaïne dont souffre le mari. Avant de passer derrière la caméra, la réalisatrice a été journaliste, écrivaine et scénariste, et a notamment co-signé le scénario de « Bac Nord », l’un des films-chocs de l’été.
Suspense intime
« Avec « L’Événement », j’avais envie d’explorer des sensations, de traiter ce suspense intime qui croît tout au long du récit. Les jours qui passent, l’horizon qui rétrécit et le corps comme une prison », explique-t-elle. « Et puis, il n’y est pas question que d’avortement. Anne, mon personnage principal, est un transfuge social. Elle vient d’une famille prolétaire, elle est la première à accéder aux études supérieures. L’ambiance de la faculté est plus bourgeoise, les codes et la morale plus sévères. Anne passe d’un monde à l’autre portant un secret qui pourrait mettre fin à tous ses espoirs ».
Le style et le ton du film sont sobres, la réalisation est simple, réaliste, avec un crescendo symbolisé par le décompte régulier des semaines de grossesse. Dans ce récit presque documentaire, deux scènes très dures –les tentatives d’avortement, avec aiguille à tricoter passée à la flamme du briquet– ont sans doute emporté l’adhésion du jury de Venise pour attribuer au film la plus haute récompense.
Présence omniprésente de l’actrice
L’autre force de « L’Événement » est la présence omniprésente de l’actrice principale, Anamaria Vartolomei, qui est de toutes les scènes. C’est le premier grand rôle de cette jeune actrice franco-roumaine qui a débuté à 11 ans dans « My Little Princess » (2011) et a été remarquée en 2017 dans « L’Échange des Princesses », où elle jouait une adolescente rebelle à la Cour de Louis XV.
Le film a été réalisé avec la collaboration d’Annie Ernaux, qui a félicité la réalisatrice en lui disant qu’elle avait « réalisé un film juste ». « Mais juste, le film ne l’aurait pas été totalement à mes yeux s’il avait occulté les pratiques auxquelles les femmes ont recouru avant la loi Veil », ajoute-t-elle. « Audrey Diwan a le courage de les montrer dans leur réalité brutale, l’aiguille à tricoter, la sonde introduite dans l’utérus par une «faiseuse d’anges». Parce que c’est seulement ainsi, dans le dérangement suscité par ces images, qu’on peut prendre conscience de ce qui a été infligé au corps des femmes et de ce que signifierait un retour en arrière ».
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
« J’aimerais avoir un enfant un jour. Mais pas un enfant au lieu d’une vie » (Anne, au médecin).
- A voir :« L’Événement » (France, 1h40). Réalisation: Audrey Diwan. Avec Anamaria Vartolomei, Kacey Mottet Klein, Luàna Bajrami (Sortie le 24 novembre 2021)
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