Télé. Arte consacre lundi 14 décembre une soirée au réalisateur Robert Enrico en diffusant deux de ses meilleurs longs métrages, « Les Grandes gueules » (1965), un film qui se présente comme un western vosgien à voir à 20:50 et « Le Secret » (1974) à 23:00, une fiction étrange et inquiétante. Deux films, dont le premier a rencontré un succès populaire, le second mérite d’être (re)découvert.
Le film « Les Grandes gueules » se déroule dans les Vosges. Un Français, Hector Valentin (Bourvil), revient du Canada pour exploiter une scierie vétuste dont il a hérité. Face à lui, un notable de la région, Lucien Theraz, propriétaire d’une scierie moderne, veut la lui racheter. Devant le refus de Valentin, Theraz va multiplier les actions illégitimes qui pousseront son adversaire à embaucher d’anciens détenus, peu payés, ce qui sera mal vu dans la région.
Pour remettre en marche la vieille scierie hydraulique héritée de son père, Hector Valentin est aidé par deux anciens malfrats qui lui proposent d’embaucher des truands, en liberté conditionnelle. D’après un scénario de José Giovanni, tiré de son roman « Le Haut fer », avec Bourvil et Lino Ventura dans les principaux rôles, l’histoire met en scène des héros repentis, crépusculaires, magnifiques perdants de la société. Une fable qui ressemble au combat de David contre Goliath, l’ouest américain transposé dans l’est de la France, le bétail devenant les stères de bois et la diligence, les schlittes (traîneaux qui descendent le bois dans la vallée). Un véritable western vosgien.
On plonge dans cette France rurale avec ses traditions, sa morale, ses préjugés et son envie de travail, qui restent d’actualité. La mise en scène de Robert Enrico est magistrale, les paysages des Hautes-Vosges sont splendides, les sentiments exaltés. Bourvil est parfait dans le mode tragique et Lino Ventura meneur des bûcherons, toujours aussi charismatique.
En 1965, « Les Grandes gueules » sont une réponse à l’omniprésence de la nouvelle Vague et démontrent qu’un cinéma différent existait. Le long métrage a d’ailleurs rencontré un succès populaire inattendu. Robert Enrico est alors passé du cinéma d’auteur (« La Rivière du hibou » ) à un cinéma touchant un large public. Ce sera le premier grand succès du réalisateur, dont on disait qu’il était « un cinéaste célèbre avant d’être connu ». Le film a bénéficié du jeu et de l’aura des comédiens aimés du public français : Marie Dubois, Michel Constantin, Paul Crauchet, Jess Hahn… et de l’apport de la musique de François de Roubaix, dont c’était la première pour le cinéma, nostalgique et triste à la fois. Il réitèrera deux ans plus tard avec la B.O. des « Aventuriers ».
Le second film, « Le Secret » (1974) présenté par Arte, également signé Robert Enrico est une fiction étrange et inquiétante sur la fuite d’un détenu (Jean-Louis Trintignant), échappé de la prison où il a été torturé. Il arrive dans une sorte de manoir délabré, habité par un couple de marginaux qui va l’héberger (Marlène Jobert et Philippe Noiret). Ce film, fantastique et cauchemardesque, est adapté du roman d’espionnage de Francis Ryck (édité dans la Série noire) et rappelle les grandes réalisations politico-policières américaines des années 1970. Des images au malaise durable, accentuées par la musique lancinante d’Ennio Morricone, qui contribue à l’angoisse du spectateur. Pour frissonner à minuit en compagnie d’un Jean-Louis Trintignant inattendu.
Jane Hoffmann
- A voir : « Les Grandes gueules » avec Bourvil et Lino Ventura à 20 :50, suivi de « Le Secret » avec Jean-Louis Trintignant à 23:00. Lundi 14 décembre sur Arte
ROBERT ENRICO
Robert Enrico (1931-2001) est un réalisateur français qui a reçu le César des César pour l’ensemble de sa carrière en 1985. Il a réalisé plus de trente films en 45 ans , dont « La Rivière du hibou » (1962), « Les Aventurier » (1967), « Boulevard du Rhum » (1971), « Le Vieux fusil » (1975), « De Guerre lasse » (1987), « Saint-Exupéry » (1994). Un cinéaste qui a exalté l’amitié, le courage, l’engagement.