Sortie cinéma. Far West 2.0. C’est un western contemporain rageur, sombre, empreint d’amertume et de violence, baignant à s’y noyer dans les réseaux sociaux et la pandémie de Covid. Arès avoir suscité des débats et provoqué des réactions contradictoires au Festival de Cannes où il était en compétition, le film « EDDINGTON », du jeune réalisateur américain Ari Aster, sort dans les salles mercredi 16 juillet.
EDDINGTON dénonce l’influence de ces réseaux sociaux qui s’est accrue pendant les confinements dus au Covid
Il raconte l’affrontement entre deux hommes que tout oppose et qui va enflammer la petite ville (fictive) d’Eddington, 2.500 habitants, au Nouveau-Mexique, en mai 2020: son shérif et son maire.
Shérif depuis 7 ans, Joe Cross (Joaquin Phoenix), conservateur, un peu instable émotionnellement et énervé, flanqué de trois assistants, refuse de porter le masque pendant la pandémie de Covid et critique les obligations sanitaires édictées par les autorités.
Maire progressiste
Un incident à ce sujet l’incite à se présenter aux élections contre le maire sortant, Ted Garcia (Pedro Pascal), aux idées progressistes et, lui, favorable au port du masque et aux consignes sanitaires. D’origine mexicaine, sa famille est installée depuis de nombreuses années et il élève seul son fils adolescent (sa femme l’a quitté).
Outre le Covid, l’antagonisme entre les deux hommes porte notamment sur deux choses. La première est la volonté du maire de moderniser sa ville en attirant un nouveau data center ultramoderne dédié à l’intelligence artificielle.
Thèses complotistes
La seconde est la femme du shérif, Louise (Emma Stone), traumatisée dans son enfance, à la santé mentale fragile: le shérif accuse le maire de l’avoir mise enceinte puis de l’avoir abandonnée quand elle avait 16 ans –ce que le maire nie avec force. Louise passe son temps à fabriquer des poupées de chiffon et, avec sa mère Dawn (Deirdred O’Connell), à s’abreuver des thèses complotistes sur Internet et les réseaux sociaux.
Dans cette atmosphère de tension entre le shérif et le maire, les fake news et provocations sur les réseaux sociaux et des manifestations d’adolescents wokistes et de sympathisants du mouvement naissant Black Lives Matter (on est en pleine affaire George Floyd, habitant noir de Minneapolis mort asphyxié sous le genou d’un policer blanc au cours d’une arrestation musclée le 25 mai 2020) vont contribuer à mettre le feu aux poudres…
Quatrième film
« EDDINGTON est un western dans lequel les téléphones tiennent lieu d’armes », explique le réalisateur, 39 ans, dont c’est le quatrième film après les films d’horreur psychologique HÉRÉDITÉ (2018), Midsommar (2019) et Beau Is Afraid (2023) qui l’avaient fait connaître des cinéphiles.
Dans EDDINGTON il dénonce donc l’influence de ces réseaux sociaux qui s’est accrue pendant les confinements dus au Covid et a contribué à dégrader les relations entre les individus: « On sait tous que chacun d’entre nous est dans sa bulle, prisonnier d’un système qui s’appuie sur des contenus relayés par des personnes qui partagent les mêmes opinions que nous. Le problème, c’est que les gens ont tendance à oublier cette réalité. EDDINGTON raconte ce qui se passe quand ce système dégénère totalement et que les bulles explosent ».
Société américaine fracturée
Mais c’est une image plus globale de la société américaine fracturée et déliquescente qu’il donne à voir: complotisme, désinformation, manipulations collectives, wokisme, violences policières, influenceurs médiatiques, gourous illuminés, activistes, racistes, masculinistes, fans des armes à feu, perturbés mentaux…
Cela frise parfois la caricature, et le film vire au salmigondis, à l’histoire fourre-tout qui emprunte différents chemins de traverse, au chaos qu’il veut dépeindre –la forme rejoint le fond.
Thriller paranoïaque
Et c’est donc un peu longuet (près de deux heures et demie), mais la dernière heure est hallucinante, délirante, pleine de suspense et d’horreur, dans un final en forme de thriller paranoïaque. L’occasion pour Joaquin Phoenix d’interpréter un de ces personnages tourmentés dans lesquels il excelle, de GLADIATOR à JOKER en passant par LE VILLAGE, THE MASTER, INHERENT VICE ou A BEAUTIFUL DAY.
Face à lui l’acteur chilien Pedro Pascal, nouvelle coqueluche d’Hollywood devenu célèbre grâce à la série THE LAST OF US (et qu’on a vu récemment dans GLADIATOR-II, avant de le voir bientôt dans LES 4 FANTASTIQUES: PREMIERS PAS), a plutôt le beau rôle, même si Ari Aster pense le contraire: « Je voulais que le film reflète l’Amérique dans laquelle nous vivons, sans forcément diaboliser un camp et faire preuve d’angélisme pour l’autre. J’espère que l’approche du film est démocratique dans la mesure où l’on donne autant de poids à chaque instrument dans cet orchestre cacophonique ».
Microcosme
C’est l’acteur Luke Grimes, qui interprète le shérif adjoint Guy Tooley, qui résume le mieux ce film imparfait mais qui sort de l’ordinaire et ne laisse pas indifférent, en ces temps troublés d’Amérique trumpiste: « EDDINGTON est un microcosme du monde touché par le Covid-19, au début de la pandémie. Cette petite ville est emblématique de l’Amérique tout entière et nous permet de raconter comment ce qui s’est passé cet été-là a instillé la peur en chacun de nous et précipité la population au bord de l’abîme ».
Jean-Michel Comte
LA PHRASE / « Le Covid est peut-être un problème, mais ce n’est pas le nôtre » (le shérif).
- « Eddington« (États-Unis, 2h27). Réalisation: Ari Aster. Avec Joaquin Phoenix, Pedro Pascal, Emma Stone (Sortie 16 juillet 2025)
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