Sortie cinéma. Un coréalisateur israélien installé aux États-Unis et une coréalisatrice iranienne vivant en France pour un film tourné en Géorgie avec des acteurs en exil: TATAMI (ce mercredi 4 septembre sur les écrans), qui dénonce le régime islamique en place à Téhéran, est un film singulier, d’une densité et d’une force peu communes.
C’est le judo qui sert de toile de fond à ce pamphlet géopolitique. La judokate iranienne Leila (Arienne Mandi) et son entraîneuse Maryam (Zar Amir) se rendent aux Championnats du monde à Tbilissi (Géorgie) avec l’intention de ramener sa première médaille d’or à l’Iran.
« TATAMI » dénonce le régime islamique en place à Téhéran : un film singulier, d’une densité et d’une force peu communes
Impressionnante de force et de maîtrise, Leila bat ses adversaires au fil du tournoi: une Hongroise, une Française, une Canadienne, une Brésilienne… Mais alors qu’elle passe un après l’autre les tours éliminatoires et se dirige inexorablement vers la finale, il apparaît que son adversaire potentielle pour ce dernier combat sera une judokate israélienne.
Déclarer forfait
Pas question, pour le régime des mollahs en place à Téhéran, d’accepter qu’une de ses sportives affronte une Israélienne. Maryam, l’entraîneuse, reçoit un coup de fil du président de la fédération iranienne de judo: Leila doit simuler une blessure et déclarer forfait.
Ni Maryam ni Leila ne l’acceptent, dans un premier temps. Mais le pouvoir iranien menace de s’en prendre à leurs familles (le mari de Leila et leur fils de cinq ans, ses parents, la mère de Maryam). Et les deux femmes sont placées devant un cas de conscience, un choix difficile à faire, un déchirement…
Échapper au diktat
« Au cours des dernières décennies, le gouvernement iranien a tout mis en œuvre pour empêcher les Iraniens et les Israéliens de se rencontrer lors d’événements internationaux, sans se soucier de ce que les peuples ressentent au fond d’eux-mêmes. Malgré tout, nous avons trouvé le moyen d’échapper au diktat du régime des mollahs. Nous nous sommes retrouvés à deux heures de Tel Aviv et de Téhéran, à Tbilissi, en Géorgie, pour raconter l’histoire d’athlètes iraniennes courageuses qui risquent leur vie au nom de la liberté », expliquent les deux coréalisateur et coréalisatrice du film, Guy Nattiv et Zar Amir.
Le premier, réalisateur israélien installé aux États-Unis, a déjà à son actif cinq longs-métrages. La seconde, actrice iranienne qui vit en exil en France depuis 2008 à cause d’une affaire de mœurs, passe derrière la caméra pour la première fois, tout en jouant le rôle de l’entraîneuse Maryam.
Noir et blanc et image carrée
Le scénario du film, écrit avant la récente révolte des femmes en Iran, n’est pas basé sur une histoire vraie mais « nous nous sommes inspirés de plusieurs athlètes iraniennes qui ont accompli l’impossible », explique Guy Nattiv, citant notamment la boxeuse Sadaf Khadem, la grimpeuse Elnaz Rekabi ou la taekwondiste Kimia Alizadeh, qui ont eu maille à partir avec le régime de Téhéran.
Le film, en noir et blanc et avec un format d’image carré, est d’une intensité et d’une efficacité remarquables, avec un suspense dans la seconde moitié. L’histoire est racontée en temps réel, sur une journée, avec une unité de lieu (le palais des sports), d’innombrables appels téléphoniques (entre Leila et son mari qui l’encourage à ne pas céder, entre Maryam et les officiels iraniens qui la menacent) et, comme des intermèdes, les différents combats de la judokate, brefs mais superbement filmés, sur la voix off d’un commentateur sportif américain.
Un thriller
« À mes yeux, TATAMI est un thriller et j’espère que les spectateurs seront embarqués dans ce périple haletant dès le premier plan », dit Guy Nattiv. De son côté, Zar Amir estime que « ce film parle de personnages qui repoussent leurs propres limites, qui se battent pour la liberté, qui restent fidèles à leurs valeurs et à leurs objectifs, et qui sont du côté de la justice et de l’humanité. Ce sont des thèmes qui seront toujours universels parce qu’ils sont fondamentaux ».
L’actrice et coréalisatrice est l’une des forces du film, personnage tourmenté qui, ancienne championne et héroïne nationale ne voulant que le bien de Leila sa successeuse, balance entre le rêve et la réalité, entre la volonté d’aller jusqu’au bout du tournoi et la nécessité d’obéir au pouvoir.
Prix d’interprétation à Cannes
Zar Amir a connu la consécration –et sa revanche à l’égard des mollahs– en obtenant le Prix d’interprétation féminine du Festival de Cannes 2022, pour son rôle dans LES NUITS DE MASHHAD, celui d’une journaliste de Téhéran qui vient enquêter sur un tueur en série sévissant dans la ville sainte de Masshad.
L’autre –et principale– héroïne féminine de ce TATAMI est bien sûr Arienne Mandi, 30 ans, dans le rôle de Leila. De nationalité américaine et née à Los Angeles d’une mère chilienne et d’un père iranien, elle a joué dans la série télé The L Word: Generation Q.
Dans TATAMI elle est impressionnante dans les scènes de judo (pour lesquelles elle a bien sûr suivi un entraînement intensif), mais pas seulement: elle est très convaincante dans les scènes en coulisses, elle aussi déstabilisée par le dilemme qui se présente à elle, combat le plus difficile de sa vie. Elle symbolise la résistance féminine contre le régime islamique répressif de Téhéran que ce film dénonce avec une belle ardeur.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE : « Nous sommes tous des pions » (Leila, dénonçant la mainmise du pouvoir sur les sportifs iraniens).
- A voir : « Tatami » (Géorgie/États-Unis, 1h43). Réalisation: Zar Amir et Guy Nattiv. Avec Arienne Mandi, Zar Amir, Jaime Ray Newman (Sortie 4 septembre 2024)
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