Sortie cinéma. Que se passe-t-il dans la tête d’une femme qui fait un déni de grossesse? C’est la question que pose la réalisatrice Béatrice Pollet dans son film « Toi non plus tu n’as rien vu » (ce mercredi 8 mars sur les écrans), inspiré d’un fait divers réel.
« Toi non plus tu n’as rien vu » : le film est simple et sobre, réaliste, presque clinique, mais pas sans émotion
Thomas (Grégoire Colin) et Claire (Maud Wyler) forment un couple uni, avec deux fillettes de 4 et 6 ans. Il est ingénieur à l’Office National des Forêts, elle est avocate. Ils habitent un pavillon avec jardin, dans un quartier tranquille de Toulouse.
Sac poubelle
Un soir, en rentrant du travail, Thomas trouve sa femme inconsciente, les jambes en sang. Il appelle les secours et la police qui, peu après, découvrent un nouveau-né déposé sur les conteneurs en face de la maison, dans un sac poubelle. L’enfant est vivant.
Claire est inculpée de « tentative d’homicide sur enfant de moins de 15 ans ». « Ça ne peut pas être son bébé. Je serais au courant si ma femme était enceinte », clame Thomas. Mais les analyses ADN sur le bébé montrent que c’est bien l’enfant du couple.
Rien vu, rien senti
Pourtant Claire a eu ses règles pendant les neuf mois de la grossesse et, déjà mère de deux enfants, affirme n’avoir ni vu, ni senti qu’elle était enceinte. Et le soir en question, « je n’ai jamais pensé que j’étais en train d’accoucher », dit-elle au juge d’instruction chargé de l’enquête.
Examinée par des psychiatres, mise en prison, interrogée à de multiples reprises par le juge et une procureure, soumise à une reconstitution des faits, Claire prend pour la défendre son amie Sophie (Géraldine Nakache), avec qui elle avait fait ses études d’avocate. « On a besoin de comprendre », lui dit celle-ci, bien décidée à obtenir son acquittement lors du procès…
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Scénario travaillé pendant 8 ans
La réalisatrice Béatrice Pollet, dont c’est le deuxième long-métrage de fiction (après « LE JOUR DE LA GRENOUILLE » en 2012), s’intéresse depuis longtemps à cette question du déni de grossesse et a travaillé sur le scénario de son film pendant 8 ans. « J’ai choisi de raconter l’histoire d’une femme atteinte d’un déni total, issue d’un milieu aisé, éduquée, et surtout déjà mère: cela rend la situation encore plus incompréhensible », explique-t-elle. « Contrairement à une idée reçue, les femmes qui vivent le déni sont de toutes conditions sociales, souvent déjà mères et aimantes. Rien ne les prédispose à devenir d’éventuelles mères infanticides ».
Son film est simple et sobre, réaliste, presque clinique, mais pas sans émotion. Il donne à réfléchir mais inclut aussi une touche de suspense et ne manque pas de scènes d’intimité, et se termine de façon très touchante.
Seconds rôles bien construits
La réalisatrice a su entourer le personnage principal, Claire, de seconds rôles bien construits: son mari, aimant, compréhensif, protecteur, qui cherche à comprendre sans juger; son avocate et amie, combative et généreuse; sa codétenue (Fatima Adoum), qui n’a pas son statut social mais, vive et empathique, l’encourage; sa belle-mère (Fanny Cottençon), bienveillante et délicate; le juge d’instruction (Pascal Demolon), rigoureux mais humain; la procureure (Ophélia Kolb), dure et inflexible.
Déni de l’entourage
Pour Béatrice Pollet, le déni de grossesse n’est pas seulement le fait de la femme qui est enceinte, mais aussi de son entourage –d’où le titre du film. « Qu’est-ce qui nous est arrivé, Claire? », demande Thomas à sa femme. « Si elle est coupable, on est tous coupables », dit aussi la belle-mère de Claire.
Certaines affaires de déni de grossesse et de femmes poursuivies et condamnées pour infanticide ont été médiatisées ces dernières années, comme celle des « bébés congelés » de Véronique Courjault condamnée en 2009.
Plaidoirie
« Je ne comprends toujours pas pourquoi on inflige de la prison à ces femmes. C’est monstrueux de les enfermer et de les séparer de leur famille à un moment où elles sont très fragiles », estime Béatrice Pollet, qui pense qu’il faut, comme le dit le personnage de Sophie dans sa plaidoirie lors du procès, « accompagner ces femmes, et non les condamner ».
La réalisatrice a dédié son film au Dr Félix Navarro, fondateur en 2006 à Toulouse de l’Association Française pour la Reconnaissance du Déni de Grossesse (AFRDG) et aujourd’hui décédé. L’association estime à 1 sur 500 la proportion de dénis de grossesse partiels en France, et à 1 sur 2.500 celle des dénis complets (ce qui représente près de 300 cas par an). Sur ces femmes, 80% vivent une relation stable et la moitié sont déjà mères.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE : « Un enfant, quand il est là, on le sait, on le sent. Ce n’est pas possible » (Claire, à son avocate et amie Sophie, peu après son incarcération, toujours dans le déni de grossesse).
- A voir : « Toi non plus tu n’as rien vu »(France, 1h33). Réalisation: Béatrice Pollet. Avec Maud Wyler, Géraldine Nakache, Grégoire Colin (Sortie 8 mars 2023)
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