« Vedette » : la vache qui ne rit pas, reine d’une chronique des alpages

Sortie cinéma. Dans une haute vallée des Alpes suisses, dans le Valais, les vaches sont reines. Mais pas n’importe quelles vaches : celles de la race d’Hérens, noires, massives et belliqueuses. C’est l’une d’elles que permet de découvrir « Vedette », un documentaire (1h40) qui sort ce mercredi 30 mars sur les écrans.

« Vedette » : la vache qui ne rit pas, reine d’une chronique des alpages

Elles donnent du lait et sont appréciées pour leur viande, mais ces vaches d’Hérens sont surtout l’objet de traditions locales qui en font des attractions touristiques: les « combats de reines ». Lors de ces manifestations, chaque éleveur envoie sa plus forte tête (la « reine » du troupeau) affronter les autres, comme le feraient des taureaux.

Deux voisines

Un couple de réalisateurs parisiens, Claudine Bories et Patrice Chagnard, qui possède une résidence secondaire dans la région, a comme voisines deux éleveuses, Elise et Nicole. Quand celles-ci leur ont confié la garde de Vedette, leur principale vache, ils ont décidé d’en faire un film.

Vedette a longtemps été la « reine » de leur élevage, et a gagné d’innombrables combats contre les vaches de la région. Elle était la plus forte, aucune autre ne lui tenait tête, elle avait toujours droit à la meilleure herbe dans les alpages. Mais Vedette est vieille, elle a maintenant 16 ans, et commence à subir des défaites. C’est pour ne pas lui faire de la peine et la retirer du troupeau qu’Elise et Nicole demandent à Claudine et Patrice de la garder seule dans leur enclos.

Séances de lecture dans l’étable

Les deux cinéastes acceptent. Patrice Chagnard filme tandis que Claudine Bories se met en scène en train d’entrer en contact avec Vedette, d’essayer de l’apprivoiser, d’attirer son attention, de lui parler, de lui faire la lecture dans l’étable –pas La Vache orange ou Marguerite la coquette, mais plutôt Descartes et des textes philosophiques sur les rapports entre l’homme et l’animal…

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Mais Vedette, seule et déprimée, qui a perdu le goût de la bagarre, ne regarde pas Claudine, ne vient pas quand on l’appelle, ne recherche pas les caresses, ne donne pas de coup de langue affectueux. Bref, elle fait la gueule. Mais Claudine ne se décourage pas: « Parle-moi, Vedette. Dis-moi quelque chose à ta façon. Arrête de ruminer!… »

Coréalisateurs depuis 2005

Claudine Bories et Patrice Chagnard, qui ont réalisé de nombreux documentaires, collaborent depuis 1995 et coréalisent leurs films depuis 2005. Les précédents (« Nous le Peuple », « Les Arrivants », « Les Règles du Jeu ») étaient urbains, loin des vallées suisses, et soulevaient des questions politiques et sociales comme le chômage, les demandeurs d’asile, la crise de la démocratie ou les dérèglements de la société.

Ici, leur objectif était d’évoquer « le rapport entre l’homme et l’animal, que l’on voulait aborder de manière à la fois philosophique, poétique mais aussi politique », dit Patrice Chagnard, un rien langue de bois. « Nous sommes persuadés que la manière dont on traite les animaux n’est pas sans rapport avec la manière dont on traite les autres humains. L’histoire l’a prouvé à de nombreuses reprises. En s’intéressant à notre rapport avec l’animal, on s’intéresse à notre rapport avec nos semblables ».

Chronique paysanne

Quand il ne filme pas les vaches et encore les vaches et toujours les vaches (Vedette et les autres), avec leur grosse clochette autour du cou et leur comportement bagarreur, cela vire à la chronique paysanne qui n’aurait pas déplu au regretté Jean-Pierre Pernaut: travaux des champs, ramassage du foin, traite des vaches, vaisselle en plein air et entretien de la maison…

Du coup, les interventions d’Elise et Nicole sont plus intéressantes et plus émouvantes que les nombreuses et fastidieuses séquences avec Vedette –au demeurant pas très jolie et pas très sympathique, tant qu’à faire dans l’anthropomorphisme.

L’amour est enfant de Bohême

Le film, au-delà d’une certaine vision un peu intello de cette belle vie à la campagne (quand Claudine fait écouter à Vedette un extrait de Carmen, cela ne réveille pas plus l’œil mi-clos de la bête que la lecture de Descartes), le documentaire est empreint de sincérité et de naïveté qui lui donnent toute sa fraîcheur.

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Surtout, il fait découvrir cette race de vaches d’Hérens qui ne tiennent jamais en place, qui meuglent sans arrêt, qui se battent cornes en avant pour un oui pour un non, qui raclent le sol de leur sabot comme des taureaux. Pourquoi tant de haine, pourquoi tant de violence? C’est dans leur nature, et de tels « combats de reines » ont aussi lieu dans la vallée d’Aoste en Italie et en Haute-Savoie en France.

Vache sacrée

On sent l’intérêt qu’ont éprouvé les deux cinéastes à transformer le service rendu à leurs voisines en documentaire sur une vache singulière, pas comme les autres, sorte de vache sacrée qui n’est pas du genre à regarder tranquillement passer les trains et, ici, porte bien son nom.

« Toute la difficulté du montage a été de trouver l’équilibre entre la chronique paysanne et cette expérience intime qui nous a directement touchés », explique Patrice Chagnard. « Finalement, qu’est-ce que c’est, « Vedette »? Une fable philosophique, un film animalier, une œuvre impressionniste, un portrait d’agriculteurs? C’est au spectateur de le dire ».

Jean-Michel Comte

LA PHRASE

« Elles ont des sentiments » (l’éleveuse Elise, à propos des vaches).

• A voir : « Vedette » (France, 1h40). Réalisation: Claudine Bories et Patrice Chagnard (Documentaire)- Sortie 30 mars 2022

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