Bandes dessinées. Le climat est pesant en ce moment. Heureusement les BD nous permettent de nous évader. Pour notre sélection du mois, nous vous proposons des récits qui tournent autour de la résilience et de notre capacité à devenir meilleur. La fin heureuse se produit souvent, mais parfois ne restent que la tristesse ou le désarroi…
BD du mois : « Chien Hurlant« , « Monsieur le Commandant » et « Jazzman »
« CHIEN HURLANT »
Dans « Chien Hurlant », le récit de Mélissa Morin nous plonge dans les problématiques des adolescents d’aujourd’hui. Andréas est un jeune garçon hypersensible. Sa vie est tourmentée. Ses nuits le sont également avec des cauchemars annonciateurs du pire. Lorsqu’il fréquente son établissement scolaire, il vit des moments heureux et complice avec Chloé. Cette complicité s’est nouée autour d’un pacte pourtant sordide. Andréas se métamorphose en Tyler D., Chloé filme et le jeune homme agresse et frappe violemment ses camarades. Ses « vidéos de tape » font le buzz sur les réseaux. Le jeune homme se sent grisé, puissant. C’est tout son mal être qui s’évapore dans cette hyper violence gratuite. La mère d’Andréas est démunie. Elle vient de renouer avec le père de son fils. Il dit qu’il a changé et qu’il a quitté ses démons alcoolisés. Andréas doute.
Heureusement, juste avant un épisode où il va perdre pied, Angus, son oncle réapparait.
Angus est un nomade. Il vit avec les gens du voyage. Et si cette façon de vivre était la seule liberté qu’Andréas peut prendre pour se structurer et reconstruire sa vie ?
Dans un récit habilement découpé, Mélissa Morin propose une histoire touchante et terriblement actuelle. Elle réussit avec brio à décrire ce quotidien d’adolescent mal dans sa peau. Le rythme est soutenu, les rebondissements tantôt prévisibles réussissent pourtant à nous surprendre par le traitement graphique qu’elle en fait. Le dessin est sobre, anguleux et pourtant empreint de l’insouciance que l’on peut avoir à cet âge.
Un album optimiste, violent, puissant et poétique. Le chien hurlant a toujours des raisons d’avoir peur.
- « CHIEN HURLANT » – Mélissa Morin/ La boite à Bulles – 148 pages couleur 22€
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« MONSIEUR LE COMMANDANT »
Une histoire dans l’histoire. Une histoire d’hommes et de femmes déchirés par la guerre. Une histoire de loyauté, mais surtout une histoire d’opportunisme et de folie.
Mr Husson est français. Il vit en France. Son fils Olivier voyage et revient de son dernier périple avec une jeune femme formidablement belle : Ilse. Lorsque Mr Husson voit Ilse pour la première fois, il ne peut s’empêcher de ressentir des sentiments antinomiques. Elle est belle, mais elle est juive. Il le sait, il le sent. L’action se passe au début des années 30 et une vague d’antisémitisme est en train de naitre dans l’Allemagne voisine.
Ilse et Olivier se marient, font des projets. Mais la guerre les rattrape. A partir de l’invasion de la France Paul-Jean Husson sombre dans une lutte anti-juive féroce, irrationnelle et permanente. Mais il vit avec cette ambivalence perpétuelle. Continuer à aimer Ilse ou la dénoncer.
Au fil des pages, le climat devient pesant. Mr Husson est aveuglé par la beauté d’Ilse tant et si bien qu’il en tombe amoureux. Mais sa haine du juif est toujours omniprésente. Quelle folie va le sortir de cette situation abyssale ?
L’adaptation du roman de Romain Slocombe par Bétaucourt et Oburie est une vraie réussite. La couverture de cet album à la finition rustique illustre tout le propos qui va suivre au fil des pages. La croix gammée, le regard méchant et la photo de la jeune femme en noir et blanc alertent sur le ton du récit. Il est prenant, intriguant et captivant. Le point de fuite de l’histoire de ces deux personnages apparait assez logiquement dans notre esprit. Mais le scénario nous réserve d’horribles surprises. C’est un drame annoncé, une tragédie impensable qui s’amorce.
Le style graphique d’Etienne Oburie est semi réaliste, sobre et colorisée avec délicatesse. Il renforce les subtilités scénaristiques de cette tragédie.
- « MONSIEUR LE COMMANDANT » – Bétaucourt, Oburie, Slocombe / Philéas 78 pages couleur 17,90 €
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« JAZZMAN »
Enfin une histoire qui donne le sourire et l’espoir. Cet album écrit et dessiné par Jop est une belle fable moderne et poétique.
Edward Renard est un ex-barman. Son allure élégante le rend tantôt lunaire, tantôt dandy. Il se rend dans le vieux carré, quartier en cours de démolition dans New Story City. Pourtant, dans ces immeubles en cours de destruction, la mémoire de la ville sommeille encore. En se laissant guider par une intuition, il trouve sur son chemin Birdy Jones Carter. Le vieux saxophoniste noie son chagrin et son spleen dans l’alcool.
Tous deux vont se trouver confronté aux hommes de mains du maire Tony Scrump. Cet édile a décidé de remplacer la vieille ville pour des immeubles modernes. Il possède d’ailleurs la plus haute tour de New Story City. Si elle est gigantesque c’est pour assoir son pouvoir, mais aussi pour y avoir placé l’émetteur de la radio officielle de la ville. Les ondes radios émises par Scrump ont le pouvoir d’asservir les auditeurs. Ils sont comme hypnotisés par les programmes très médiocres diffusés.
Edward et Birdy se font tabasser. Alors pour retaper Edward le jazzman va lui présenter son ex, Lady Taylor. Birdy et elle ont eu une fille Billie. La gamine est hyper douée en électronique. Alors elle et les deux anciens vont se mettre en tête de faire entendre une autre musique que celle de Scrump : le jazz.
Le travail scénaristique est brillant. Le découpage de l’histoire en chapitre permet de structurer une aventure humaine drôle et tendre à la fois. Les références aux artistes de jazz est omniprésente et c’est très agréable. Mais dans cet album, c’est le travail graphique de Jop qui éblouit encore plus. Liberté de ton, de découpage, conventions cassées ou détournées, le flux de l’histoire s’en trouve dynamisé. La bichromie de bleu et de noir apporte à cet album une touche vintage séduisante.
- « JAZZMAN » – Jop /Albin Michel 145 pages en bichromie 23,90 €
Christophe Ravet