bernard lavilliers le temps des ouvriers
Bernard Lavilliers a prêté sa voix à la série-documentaire "Le Temps des ouvriers" de Stan Neumann. © Droit réservé.

Télé. Mardi 28 avril, Arte va diffuser « Le temps des ouvriers » de Stan Neumann. Une foisonnante série-documentaire en quatre épisodes, qui retrace l’histoire du monde ouvrier européen du 18ème siècle à nos jours, à laquelle Bernard Lavilliers a prêté sa voix. Entretien avec un artiste sensible à la mémoire ouvrière, qui avant de chanter a été tourneur-fraiseur à la Manufacture d’armes de Saint-Etienne. 

Bernard Lavilliers: « A l’époque, les travailleurs étaient extrêmement contrôlés, obligés de passer par la pointeuse, une machine qui enregistrait les heures de présence. Finalement, l’ouvrier donnait sa peau, ses bras contre du temps de travail. Il ne lui restait que quelques heures pour dormir, se reconstituer et retourner le lendemain au boulot. Les syndicats sont nés à cause de cette exploitation »

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Vous êtes le narrateur de la série-documentaire « Le temps de ouvriers ». Qu’avez-vous appris que vous ne connaissiez pas encore, à travers cette fresque qui évoque l’histoire du monde ouvrier européen sur trois siècles ?

Bernard Lavilliers : Le texte et les images du documentaire de Stan Neumann m’ont fait replonger dans la mémoire de la classe ouvrière, de mon propre père, de mon grand-père. Il y a des choses que je connaissais et d’autres que j’ai découvertes. J’ignorais que la Belgique et l’Angleterre étaient associées à travers les mines à Seraing à côté de Liège ou à Charleroi. Comme dans l’Est de la France, à Saint-Etienne ou dans le Sud, les sites de production de charbon ou d’acier employaient énormément de main-d’œuvre. Je ne savais pas qu’au 19ème siècle on avait interdit le travail en sous-sol dans les mines aux garçons de moins de dix ans, mais pas le travail dans les filatures. Au fil des quatre épisodes, on mesure le chemin parcouru par les syndicats, les ouvriers, l’évolution des technologies et du capitalisme. Régulièrement, il y a des innovations mécaniques qui suppriment des emplois. Quand on suit l’histoire du monde ouvrier depuis le début du 19ème siècle, on se rend compte qu’en dehors de payer les travailleurs à coups de lance-pierre, les propriétaires des usines ont constamment essayé d’inventer des machines pour les faire tourner jour et nuit à la place des ouvriers.

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Jusqu’au début du 20ème siècle, il n’était pas rare de voir des enfants travailler dans les filatures. © Lewis Hine

La nature du travail a beaucoup changé. L’automatisation et la robotique ont-ils pour autant « libérés » les travailleurs?

Bernard Lavilliers : Je ne suis pas sûr que cela les ait libérés… Au fil du temps, on voit bien que le pouvoir d’achat a évolué de manière extrêmement lente, de même pour le côté sanitaire. Certains des fils d’ouvriers ont pu faire des études, s’élever dans l’échelle sociale en faisant des métiers qui malheureusement étaient des métiers d’ingénieurs, qui ont amplifié la robotique. Normalement le progrès aurait dû élever la condition sociale de tout le monde. Ça l’a élevée, mais beaucoup de travailleurs sont restés sur le quai de la gare…

Au fond, le système n’a jamais cessé d’engendrer des inégalités sociales…

Bernard Lavilliers : Le documentaire montre bien que la classe ouvrière à l’époque travaillait dans de grandes usines qui employaient beaucoup de monde, parfois jusqu’à 7000 personnes. Tous ces gens se levaient très tôt, partaient à l’usine et revenaient le soir épuisés après une journée de labeur. Je me souviens, quand j’étais à l’usine, on allait chaque semaine toucher notre salaire en espèces, dans une enveloppe. Après, l’Etat, qui nous expliquait qu’il y avait des braquages de caisses, nous a poussés à avoir un chéquier. Le premier amalgame entre le capitalisme et les banques s’est fait à ce moment-là. Une époque où les travailleurs étaient extrêmement contrôlés, obligés de passer par la pointeuse, une machine qui enregistrait les heures de présence. Finalement, l’ouvrier donnait sa peau, ses bras contre du temps de travail. Il ne lui restait que quelques heures pour dormir, se reconstituer et retourner le lendemain au boulot. Les syndicats sont nés à cause de cette exploitation.

Ouvriers sur les docks de la Seine devant la Tour Eiffel. (c)Les Films d’Ici

Vous avez travaillé à la Manufacture d’armes de Saint-Etienne. En quoi cette expérience a-t-elle forgé votre regard sur le monde ouvrier ?

Bernard Lavilliers : J’avais 16 ans, c’était l’usine où travaillait mon père. On nous formait durant deux demi-journées et avec le CAP, on se retrouvait dans les ateliers avec les ouvriers qui avaient de l’expérience. Quand on avait une formation trigonométrique, qu’on savait lire les plans des dessinateurs industriels, on nous mettait à la fabrication. C’est comme ça que j’ai appris mon métier de tourneur-fraiseur. J’ai fabriqué très jeunes des pièces, ce qui était un peu plus « glorifiant » que d’être à la chaîne. On faisait les trois-huit. Après j’ai été au laminoir chez Schneider à Firminy, dans la banlieue de Saint-Etienne. C’est une expérience qui me sert toujours, que je peux difficilement partager car les gens et la plupart des artistes que je connais, n’ont jamais connus cela.

Un univers que vous chantez dans « Les Mains d’or »…

Bernard Lavilliers : C’est une chanson qui parle de la suppression du travail voulue par le grand marché. J’espère que beaucoup de gens regarderont « Le temps des ouvriers » pour avoir une idée de ce qu’ont vécu les travailleurs. Aujourd’hui, à cause du virus, les petits marquis qui nous gouvernent semblent redécouvrir tous ces métiers indispensables qu’ils ont toujours cherché à supprimer, considérant qu’ils ne sont pas nobles. Il y a une sorte de mépris. Ils se sont aperçus que l’hôpital a vraiment besoin de beaucoup plus de financement. Ils retournent leur veste avec un côté charitable dans leur façon de se comporter. Ils applaudissent à 20h00, mais il y a un an pendant le mouvement des Gilets jaunes, ils ne se rendaient pas compte de la situation du pays…

Entretien réalisé par Victor Hache

« Le temps des ouvriers », série-documentaire réalisée par Stan Neumann. Voix off: Bernard Lavilliers. Le 28 avril sur Arte – 20:55

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