Le slameur sort Plan B, son premier album en indépendant. Un opus qui invite à plus d’humanité, porté par la chanson Au feu rouge, évoquant le parcours d’une réfugiée syrienne.
Passer au Plan B, c’est une manière de se créer de nouvelles opportunités ?
GRAND CORPS MALADE : Souvent, c’est parce qu’on n’a pas trop le choix. La vie, ça se passe rarement comme on l’a imaginée. C’est cette nécessaire capacité d’adaptation. Le Plan B, ça me parle parce que sur l’adaptation, j’en connais quelques exemples. Ce beau projet artistique musical, ce n’était pas mon plan A au départ. Je ne voulais pas être artiste depuis petit. Moi, c’était plutôt le sport. Plan B, c’est le symbole de tout cela.
C’est votre premier album sur un label indépendant. Pourquoi ce choix ?
GRAND CORPS MALADE : Aujourd’hui, est-ce qu’on a vraiment besoin des maisons de disques? Parfois, elles manquent un peu d’idées, de propositions. A part mettre le Cd dans les bacs, on se demande si on a besoin d’elles et pourquoi elles prennent les 2/3 des ventes de l’album? L’idée avec mon producteur, Jean-Rachid, c’est de voir comment on gère l’affichage, la pub, ce qu’on met en avant comme titre, la création de la pochette…C’est intéressant de faire les choses tout seul.
Dans Acouphènes, vous revenez sur vos souvenirs d’enfance. Nostalgie du temps qui passe ? Blues de la quarantaine ?
GRAND CORPS MALADE : J’ai toujours été nostalgique. À 25 ans, j’avais écrit Rétroviseur, une chanson qui était déjà un truc un peu nostalgique. L’idée d’Acouphènes, c’est de dire que cette nostalgie, elle relève de la mélancolie, qui vient du fait qu’on a vécu des choses qu’on ne revivra pas. Surtout, c’est une nostalgie qui me nourrit. Une nostalgie qui n’est pas plombante. C’est une force. Penser qu’on a eu la chance de vivre plein de choses, ça permet de continuer d’avancer.
Vous évoquez le parcours de Yana, une réfugiée syrienne, dans Au feu rouge. Comment est née cette chanson ?
GRAND CORPS MALADE : C’est parti d’un truc qui nous arrive tous, de croiser en voiture des réfugiés porte de la Chapelle. C’est se dire « et si on s’arrêtait parfois sur ce regard qu’on croise ? ». On parle des migrants, des réfugiés comme une grande masse. On parle d’eux à travers des chiffres. L’idée de cette chanson, c’est de s’arrêter sur l’être humain qui est derrière ce regard que l’on croise sans que l’on y prête attention. C’est redonner une petite part d’humanité à ces gens qu’on appelle « réfugiés ». Yana a 20 ans. Quel a été son parcours ? Elle a failli mourir dix fois pour venir ici. Elle a tout quitté alors qu’elle avait une vraie vie, comme nous. On a presque du mal à imaginer que ces gens avaient un passé, des métiers. Du coup, ça leur redonne un peu d’humanité et de dignité.
Est-ce à dire que vous trouvez que la société manque d’humanité ?
GRAND CORPS MALADE : Forcément. Bien sûr que c’est un thème compliqué, que la question se pose de comment les accueillir. Mais peut-être que si on prenait une demi-heure de plus pour réfléchir, on se rendrait compte qu’on parle d’êtres humains. Là, on ne sait pas trop de qui on parle. Si on n’oubliait pas que leur vie est très dure, qu’ils ont tout quitté et qu’ils sont déjà dans une détresse absolue, peut-être qu’on serait plus humains dans les décisions.
On retrouve votre côté «engagé» …
GRAND CORPS MALADE : Je dirais concerné par les problématiques qui nous entourent. Engagé, ça me paraît presque trop fort parce que le vrai engagement, le militantisme, ce sont des gens qui font des sacrifices au profit de leur cause. Moi, j’écris juste des chansons. Je pense que le terme d’engagement, il se mérite.
Saisir « la syllabe au rebond » pour trouver la rime paraît facile quand on vous écoute. Est-ce si évident ?
GRAND CORPS MALADE : C’est un jeu surtout. C’est agréable, même quand je bute sur une phrase. Ce n’est pas un moment de calvaire. Au contraire, c’est comme un jeu où j’essaie de chercher la bonne pièce qui va faire que je vais débloquer la situation.
Vos textes son très denses. Comment parvenez-vous à tous les mémoriser sur scène ?
GRAND CORPS MALADE : J’ai une très bonne mémoire des mots. Mes potes, quand j’étais adolescent, m’appelaient «le disque dur». Je connaissais toutes les chansons de rap par cœur, toutes les chansons de Renaud. Là, comme ce sont mes textes, ça aide. Je dois en avoir 22 textes d’affilés avec des centaines de mots dans chacun. C’est sûr qu’avant de monter sur scène, il faut s’entraîner un peu pour les retenir ! (rires).
L’album se clôt par Espoir adapté, présent au générique du film Patients, que vous avez réalisé avec Medhi Idir. Qu’est-ce que cela vous fait de voir qu’il est nommé dans quatre catégories aux prochains césars ?
GRAND CORPS MALADE : J’en suis évidemment très heureux. Cela récompense toute une équipe et de jeunes acteurs qui ont été géniaux. Mon accident, c’était il y a vingt ans. Ce film-là, ce n’était pas comme si j’en avais besoin pour passer à autre chose. Ce n’est pas mon biopic. C’était vraiment l’envie de témoigner, pas que de mon histoire , mais sur cet univers, sur ces personnes qui ne sont pas autonomes. C’est un film où on rit et on apprend des choses. Je suis content qu’il ait pu toucher des gens. On verra si on remporte un prix ! (Rires.)
Album Plan B/ Label Anouche Productions. Tournée partout en France. Grand Corps Malade sera le 7 mars au Trianon et les 6 et 7 décembre à la Salle Pleyel.
LA DÉCLARATION IRONIQUE DU SLAMEUR À PATRICK BALKANY
L’album Plan B comprend une chanson, Patrick, qui risque de faire grincer des dents Patrick Balkany. Une ballade façon Brassens, adressée au maire de Levallois-Perret, qui fait écho à ses affaires judiciaires. Un titre qui commence de manière ironique par une déclaration d’admiration : «Je t’admire intensément», chante le slameur avant de marquer son engagement avec un texte qui accuse : « Toi tu croules sous les affaires mais t’es élu de la République / C’est bien grâce à des gens comme toi que j’ai confiance en mon pays / En la justice et en ses droits, vive la France et son mépris. »