ozu par marc pautrel
En vingt-trois chapitres, Marc Pautrel déroule la vie du cinéaste japonais Ozu comme un découpage de film

Livre. Dans son roman inspiré de la vie d’Ozu, Marc Pautrel va à la rencontre d’un cinéaste majeur. Il en fait le personnage d’une biographie moderne rééditée aux éditions Arléa. Il raconte une vie comme un découpage de film.


Dans son entreprise d’écriture, Marc Pautrel, en passant de l’intime au professionnel, intériorise un cinéaste. La vie sociale d’Ozu, ses amours, ses déambulations, ses rêveries, sa relation à l’alcool révèlent un être sensible au tragique, à la mort, mais animé par le besoin vital de faire des films, sa raison d’être vivant, de se considérer à la bonne place


ozu marc pautrelYasujirô Ozu (1903-1963). En vingt-trois chapitres, Marc Pautrel déroule la vie du cinéaste japonais comme un découpage de film. Ozu-Tokyo, une relation fusionnelle, l’un ne va pas sans l’autre. N’a-t-il pas confié à la fin de sa vie que voyager ne l’intéressait-pas ? Tokyo, ses mystères, ses temples, le pluralisme de ses quartiers sont une éternelle découverte ; une source d’inspiration intarissable et nécessaire à la matière de ses fictions. De la même manière, Pessoa était lié à Lisbonne indéfectiblement et Najib Mahfouz au Caire.

Lorsqu’il s’isole dans les montagnes, le réalisateur nippon s’imprègne des forêts, des animaux, des végétaux, tout ce qui l’entoure « semble attendre de lui une histoire ». Dans un corps à corps avec les pics enneigés, il se dédouble, change de peau, opère une mue, une mutation. Celui qui déteste l’autorité et la soumission est enrôlé pour faire la guerre contre la Chine, il n’en sortira aucune image de cinéma.

Ce qui l’intéresse, c’est diriger ses acteurs et ses actrices, avoir l’exigence du mot et du dialogue justes, les faire répéter encore et toujours jusqu’à l’épuisement, jusqu’à faire répéter une actrice vingt-quatre d’affilée. Pas de violence chez Ozu, il recherche chez ses comédiens la délivrance de la vérité, ne pas trahir, éviter le mensonge pour faire naître l’émotion chez le spectateur.

Marc Pautrel nous entraîne dans la fabrique et les prémices d’un film. Au départ était l’écriture du scénario en compagnie de son fidèle Noda. Un rituel entre les deux complices. « Travailler, c’est réfléchir et boire. Sans saké, pas d’idées (…) Le saké est un projecteur puissant qui découpe à travers la conscience, les  ombres révélatrices », un attrape-imagination, une machine à fantasmer, à fabuler. A construire une vraie-fausse réalité. L’univers de de ses films.

De la perte de ses proches, des neveux morts nourrissons, il repère tôt le sens de l’éphémère, de l’instant à capturer. Dans son entreprise d’écriture, Marc Pautrel, en passant de l’intime au professionnel, intériorise un cinéaste. Sa vie sociale, ses amours, ses déambulations, ses rêveries, sa relation à l’alcool révèlent un être sensible au tragique, à la mort, mais animé par le besoin vital de faire des films, sa raison d’être vivant, de se considérer à la bonne place, « il ne sait faire que ça ».

ozu par marc pautrel
Ozu en tournage

Dans cette biographie d’un genre romanesque et informationnel, un fil d’Ariane, une ligne de fuite se déploient dans les pages : la courte éclosion des fleurs de cerisiers, les sakura, la rencontre dans la nature entre la beauté et la brièveté. Il vit sur une terre volcanique, incertaine, où tout peut être détruit en l’espace d’un séisme ; le cinéaste a vécu le grand tremblement de terre du Kanto. Le 1er septembre 1923, Tokyo est entièrement dévastée par les flammes. Cet environnement lui apprend à la fois la disparition brutale des êtres chers, la précarité et la vanité de ce que l’on possède, le temps compté, les heures essentielles, les résidus superflus.

Les lecteur.ice.s cheminent avec un homme au corps dégradé, « je n’ai pas eu une vie ni saine ni sainte ». Le 12 décembre 1963, le jour anniversaire de sa naissance, le cancer aura détruit des os, des chairs, mais la fin corporelle d’un créateur ne signifie pas l’issue d’une œuvre. L’auteur d’« Ozu », par une écriture élégante et fluide, semble avoir fait d’un cinéaste majeur – le 27 mai 1959, il reçoit le prix de l’académie de Arts du Japon, la première fois décernée à un cinéaste-  son ami. Et nous de se précipiter pour revoir  » Voyage à Tokyo » (1953), « Le goût du saké » (1962), « Fin d’automne » (1960), « Dernier Caprice » (1961), « Gosses de Tokyo » (1932)… Pas de dernière séance pour Ozu.

Virginie Gatti

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Marc Pautrel. Photo Arléa
Marc Pautrel, la bio: 

 
Marc Pautrel est né en 1967. Après des études de droit, il a décidé de se consacrer à l’écriture. Il a publié huit romans aux Éditions Gallimard dans la collection « L’Infini » : « L’homme pacifique » (2009), « Un voyage humain » (2011), « Polaire » (2013), « Orpheline » (2014), « Une jeunesse de Blaise Pascal » (2016), « La sainte réalité » (2017), « La vie princière » (2018) et « L’éternel printemps » (2019).

 

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