Livre. Une vie de combats et d’engagements, au service de la justice et de la cause des femmes. Ce fut la vie de Gisèle Halimi, partie fin juillet dernier à 93 ans. C’est « Une farouche liberté », son ultime livre, son ultime combat pour la justice et l’égalité.
Magnifique Gisèle Halimi. Une voix. Unique parce que libre. Toute sa vie jusqu’à son dernier souffle, elle aura mené des combats certains désespérés, d’autres, tous les autres follement beaux… Toujours avec dignité et élégance. Parce ce que mus par une farouche liberté…
Une voix. Unique parce que libre. La voix d’une femme avocate, militante anti-colonialiste, signataire dans les premières années 1970 du « Manifeste des 343 » pour l’avortement, une des figures françaises essentielles du féminisme… Gisèle Halimi s’en est allée à jamais le 28 juillet dernier, elle avait 93 ans.
Peu avant, elle avait regardé une ultime fois les épreuves d’« Une farouche liberté », son ultime livre écrit en collaboration avec la journaliste Annick Cojean. Un livre bref, à peine plus de 150 pages, une introduction, six chapitres (« La blessure de l’injustice », « Ma liberté pour servir celles des autres », « Le viol, acte de fascisme ordinaire », « Choisir… la sororité », « Une féministe en politique », « Avocate pour toujours ») et une conclusion pour passer le flambeau.
Placé sous la belle vigilance de son poète préféré René Char dont les mots ouvrent le livre (« Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque »), « Une farouche liberté » résonne comme le testament de Gisèle Halimi, cette femme au plus profond d’elle-même féministe.
Cette femme qui, à 10 ans, a fait grève de la faim parce que, à l’issue d’un repas familial, on lui a demandé de desservir les couverts alors que ses frères restaient assis à table… » Elle s’est battue (…). Avec rage et audace, talent et panache, compétence et entêtement, écrit Annick Cojean dans l’introduction. Elle s’est battue tout le temps. Convaincue que la justice était la grande affaire de sa vie et que son métier d’avocate, embrassé avec un engagement quasi mystique, lui permettrait de changer le monde. Car telle était bien son ambition : changer le monde en plaidant. Rien de moins ! Le droit était son instrument, l’insoumission sa marque de fabrique et les mots, maniés avec éloquence, ses principaux alliés. Elle défendait, elle accusait et elle cognait »…
Au fil des pages, défile une vie. L’enfance révoltée en sa Tunisie natale parce qu’il y eut la blessure de l’injustice. Le serment prêté pour vêtir la robe d’avocat, un serment qui exige le « respect dû aux tribunaux »– ce qui lui fait écrire : « Que signifiait « le respect dû aux tribunaux » ? Le respect se décrète-t-il ? Ne doit-il pas se mériter ? ».
Il y aura la défense des indépendantistes- les Tunisiens puis les Algériens. Et aussi le procès de Djamila Boupacha que découvre le public avec un texte de Simone de Beauvoir publié en première page du quotidien « Le Monde » : « Djamila Boupacha représentait tout ce que je voulais défendre. Son dossier était un condensé des combats qui m’importaient : la lutte contre la torture, la dénonciation du viol, le soutien à l’indépendance et au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la solidarité avec les femmes engagées dans l’action publique et l’avenir de leur pays, la défense d’une certaine conception de la justice, et enfin mon féminisme »…
Il y aura aussi deux procès durant lesquels Gisèle Halimi imposa sa farouche détermination et ses intimes convictions intellectuelles et idéologiques– Bobigny, 1972, avec Marie-Claire, 16 ans, violée et dénoncée à la police par son violeur pour avoir avorté, et Aix-en-Provence, trois hommes jugés en 1978 pour le viol de deux jeunes touristes belges alors qu’elles campaient dans une calanque près de Marseille… Et résonnent encore et encore les mots qu’elle a lancés au tribunal de Bobigny, pour défendre Marie-Claire : « J’ai avorté. Je le dis. Messieurs, je suis une avocate qui a transgressé la loi », et d’ajouter : « Regardez-vous, messieurs, et regardez-nous. Quatre femmes comparaissent devant quatre hommes, pour parler de quoi ? De leur utérus, de leurs maternités, de leurs avortements, de leur exigence d’être physiquement libres… Est-ce que l’injustice ne commence pas là ? »
Magnifique Gisèle Halimi qui, toute sa vie, aura été nourrie de cette belle et farouche liberté… En 1981 dans l’enthousiasme de l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, on la croisa en politique- députée, ambassadrice de France à l’UNESCO mais elle se glissera, à nouveau et définitivement, dans la robe d’avocate parce que « le but de Gisèle Halimi, explique Annick Cojean, était de changer la société française en plaidant ».
Militante infatigable avec des compagnes et compagnons de route qui avaient nom Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Louis Aragon, Françoise Sagan, Claire Brétécher ou encore Guy Bedos, toute sa vie jusqu’à son dernier souffle, elle aura mené des combats certains désespérés, d’autres, tous les autres follement beaux… Toujours avec dignité et élégance. Parce que mus par une farouche liberté…
Texte Serge Bressan
- À lire : « Une farouche liberté » de Gisèle Halimi (avec Annick Cojean). Grasset, 160 pages, 14,90 €.