Livre. Surnommée «l’éclaireuse de l’Amérique» et en piste depuis 1963, Joyce Carol Oates maintient la cadence avec un nouveau roman, «Poursuite». Un impeccable thriller aussi infernal qu’oppressant…
Comme nul.le autre, Joyce Carol Oates dans « Poursuite » tricote un thriller infernal, oppressant, étourdissant. Méthodique, de page en page, elle révèle le secret d’une femme, d’une famille. Rien moins qu’une leçon d’écriture…
Bientôt soixante ans que Joyce Carol Oates occupe une belle place dans la république mondiale des lettres– depuis «By the North Gate», un premier recueil de nouvelles publié en 1963… Depuis, avec la régularité étourdissante d’un métronome, l’auteure américaine vient à nous une fois l’an, voire deux, parfois trois. En ce début 2021, à 82 ans, donc elle est là avec un roman simplement titré «Poursuite». Surnommée « l’éclaireuse de l’Amérique», elle qu’on cite chaque année pour recevoir le Nobel de littérature continue l’exploration de la personne humaine.
Dans ce nouveau roman, une jeune femme prénommée Abby (évoquant l’expression « being able»– «être capable») vient de se marier, elle a vingt ans. Dans les jours qui suivent, elle est renversée par un bus : poumon perforé, clavicule et cinq côtes cassées, crâne fêlé à une douzaine d’endroits… Accident ? Acte volontaire ? « Personne ne le lui a dit, parce qu’il n’y a personne pour le lui dire. Mais elle le sait : elle ne mérite pas le bonheur que représentent le mariage et l’amour. Il y a quelque chose de spécial chez elle, quelque chose de maudit et de funeste». Willem, son mari, s’interroge, veut savoir : «Il faut qu’on revienne à ce moment-là. Il faut qu’on sache pourquoi. Pourquoi tu as fait ce que tu as fait, ce que tu étais en train de penser quand c’est arrivé. Quand tu es descendue du trottoir. Le lendemain matin de notre mariage»…
Lui parlera-t-elle ? Et qu’est-ce que ce cauchemar récurrent avec crânes et squelettes qui hantent les nuits de la jeune fille ? On lit : «Sque-let-te. Squele-tte. Squelette. Un affreux mot (adulte) à ne pas dire tout haut. Un mot qu’un enfant ne devrait pas connaître, et qu’un enfant ne prononcerait certainement pas. Un mot qui devient de plus en plus affreux à mesure qu’on le prononce. Un mot qui fascine, pareil à de la vapeur empoisonnée montant jusqu’à tes narines…»
Ce rêve récurrent, Abby l’a fait pendant toute son enfance, après la disparition de ses parents et son séjour chez des membres de la famille. Qui était donc Miriam Frances Hayman, ce nom qu’Abby aurait souhaité gommé ? Et ce père, Lew, vétéran de la guerre d’Irak abandonné comme tant d’autres vétérans par le gouvernement et accro aux drogues, et cette mère, Nicola, perpétuellement terrifiée, et cette tante… ? Et cette marque rouge au poignet droit d’Abby ? Comme nul.le autre, Joyce Carol Oates tricote un thriller infernal, oppressant, étourdissant. Méthodique, de page en page, elle révèle le secret d’une femme, d’une famille. Rien moins qu’une leçon d’écriture…
Serge Bressan
- A lire : «Poursuite» de Joyce Carol Oates. Traduit par Christine Auché. Editions Philippe Rey, 220 pages, 20 €.
EXTRAIT
« En tant que fille, on apprend à ne pas offenser les inconnus en les envoyant promener. Surtout les hommes. Les inconnus, mais aussi les employeurs. Et durant sa scolarité, qui lui a paru durer une éternité, les professeurs. Souriante et d’un abord apparemment facile parce que tu es jolie, mais si tu ne dis pas ce qu’il faut ou que tu ne souries pas avec la vivacité requise, un homme peut devenir méchant. Et vite ».