audur ava olafsdottir
L'écrivaine islandaise Audur Ava Ólafsdóttir, était au festival Les Boréales à Caen, pour évoquer son dernier roman "Miss Islande" (c) Zulma

RENCONTRE LITTÉRAIRE. L’écrivaine islandaise Audur Ava Ólafsdóttir qui vient de recevoir le Prix Médicis étranger 2019 était présente à la 28ème édition du festival Les Boréales à Caen, où elle a évoqué devant une assistance nombreuse, son dernier roman « Miss Islande » qui fait écho à la place des femmes dans la création. L’occasion pour We Culte d’aller à sa rencontre.

Audur Ava Ólafsdóttir: « Ça a pris du temps de trouver ma place dans le milieu littéraire en Islande. Je ne sais pas pourquoi, mais j’étais considérée comme marginale. Je ne collais pas à l’image du début du 21ème siècle en Islande, qui voulait que les poètes soient masculins »

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Audur Ava Ólafsdóttir (c) Zulma

Fidèle du festival Les Boréales depuis son livre « Rosa Candida », l’écrivaine Audur Ava Ólafsdóttir à qui vient d’être décerné le Prix Médicis étranger 2019, était présente à l’auditorium du Musée des Beaux-Arts de Caen dimanche 17 novembre, où elle a parlé de son dernier roman « Miss Islande » (*). Un roman « féministe et insolent  » sur la liberté et la place des femmes dans la création, dans les années 1960. Un livre qui raconte l’histoire d’Hekla, une jeune femme qui quitte la ferme de ses parents pour Reykjavík où elle rêve de devenir écrivaine. Sauf qu’à la capitale, on la verrait plutôt concourir pour le titre de Miss Islande, ce qu’elle refuse…

« Miss Islande »

Audur Ava Ólafsdóttir: Le roman se déroule dans les années 1960. L’Islande est une  île où il y a 200 volcans. Hekla était considérée comme la porte de l’enfer au Moyen-âge. Et c’est le nom de l’héroïne. Elle rêve de devenir écrivain, c’est pour cela qu’elle va à Reykjavik avec cinq manuscrits dans son sac. Mais au lieu de perdre son temps à écrire, on lui conseille plutôt de participer aux concours de beauté et devenir Miss Islande. Ce que je décris, c’est une société patriarcale d’un pays conservateur, aussi bien dans le monde littéraire. C’est un roman sur l’écriture, sur la liberté et la beauté dans l’art et ailleurs. Dans le roman, je mets en parallèle la création dans l’art, la littérature et la création dans la nature. Le volcanisme est sous-jacent tout au long du roman. L’Islande est le pays le plus jeune du monde, il est toujours renouvelé. C’est comme un enfant  nouveau-né.

Écrire dans les années 1960

Audur Ava Ólafsdóttir: J’ai découvert qu’une femme qui voulait être écrivain dans les années 1960 en Islande, était seule. J’ai aussi découvert que les hommes écrivains, poètes, considéraient les femmes comme leurs muses, leur source d’inspiration. C’était le rôle des femmes que de les soutenir, et peu importe si elles étaient elles-mêmes des poètes talentueuses, comme l’héroïne.

Une langue minoritaire

Audur Ava Ólafsdóttir: C’est un roman sur la langue. L’héroïne et moi on écrit toutes les  deux dans une langue minoritaire, marginale, qui à l’époque était parlée par 170 000 personnes et aujourd’hui 340 000 habitants. L’héroïne contrairement à moi, n’est ni publiée, ni traduite. Ça a pris du temps de trouver ma place dans le milieu littéraire en Islande. Je ne sais pas pourquoi, mais j’étais considérée comme marginale. J’ai commencé tard, j’ai écrit « Le rouge vif de la rhubarbe » à l’âge de 37 ans. Je ne collais pas à l’image du début du 21ème siècle en Islande, qui voulait que les poètes soient masculins. J’enseignais à l’université. Ce n’était pas l’image du poète qu’on avait en Islande. Pour mon livre  « L’embellie », j’ai eu des difficultés à trouver un éditeur. J’ai envoyé mon manuscrit à un concours littéraire de Reyjkawik sous un pseudonyme masculin et il a gagné ! (rires) Après qu’on ait su que c’était moi, je n’ai pas trouvé d’éditeurs. Ils jouaient au football le vendredi ensemble et si quelqu’un disait « non », tous disaient « non ». C’était mes débuts.

Des personnages en marge de la société

roman miss islandeAudur Ava Ólafsdóttir: Ce sont des gens ordinaires qui se trouvent dans des situations extraordinaires. Des marginaux. Je considère comme mon rôle d’écrivaine de donner une voix à ceux qui ne l’ont pas. Il n’y a pas de texte innocent. Tout ce qu’on met dans un roman est là pour une raison. L’écrivain, c’est celui qui organise le chaos et qui donne un sens dans ce microcosme qu’est le texte du roman. Je m’identifie bien à ces personnages un peu marginaux. Les caractères  secondaires chez moi, c’est souvent les caractères principaux. On a tous rencontré des gens comme ça qui arrivent à faire une aventure de leur vie. C’est un peu ma méthode comme écrivaine. Je fais des petites choses de la vie quotidienne et je leurs donne un sens poétique plus grand. L’ami d’Hekla, Isey, dont le nom signifie « île de glace », ne sait pas qu’elle est poète. Elle est toujours en train de transformer le petit monde dans lequel elle vit en quelque chose de plus grand. Je m’identifie plutôt à elle.

Le corps et le langage 

Audur Ava Ólafsdóttir: Dans mes romans, il y a souvent l’opposition entre le corps et le langage. Mon précédent livre « Ör » est un roman assez « corporel ». Le héros était un archétype de la masculinité islandaise, un bricoleur qui pouvait tout réparer sauf lui-même. Il traversait une crise existentielle et je l’envoyais à l’étranger. Le voyage initiatique est présent dans plusieurs de mes romans. Il est toujours question de partir et de revenir changer en un autre pour avoir une nouvelle vue sur le monde, sur soi-même. Récemment à  Prague, un journaliste me disait qu’il y avait dans mes livres deux choses qu’on ne trouvait pas dans la littérature tchèque : l’espoir et le fait que l’individu compte. Peut-être est-ce dû au fait qu’on est si peu nombreux chez nous que chacun a de l’importance. C’est peut-être de l’humanisme islandais un peu naïf de faire confiance aux gens.

L’humour islandais

Audur Ava Ólafsdóttir: Il y a beaucoup de souffrance dans l’humour islandais. Dans Miss Island, il y a de l’humour. C’est une façon d’oublier la vie, la réalité. Une conversation islandaise pour vous, ça peut faire penser au théâtre absurde, mais c’est juste une conversation réaliste pour nous. Ça part dans tous les sens, on n’est pas un peuple rationnel comme vous (rires).

Le réchauffement climatique

Audur Ava Ólafsdóttir: Les grands pays ont découvert où se trouvent l’Islande. La Chine, la Russie et même Trump l’a trouvé sur une carte ! (rires). C’est devenu actuel à cause du réchauffement climatique. Moi, je suis entourée de choses en voie de disparition : les glaciers, la langue… On est très concernés évidemment en Islande par le réchauffement climatique, ça nous concerne tous. C’est comme dans un roman, ce qui est local est en fait global. On va  bientôt tous arrêter de prendre l’avion. C’est un peu compliqué quand on habite une île. Donc, c’est peut-être mon dernier voyage à l’étranger ! (rires).

Propos recueillis par Victor Hache

  • (*) Rencontre avec Audur Ava Ólafsdótti animée par Gérard Meudal – auditorium du Musée des Beaux-Arts de Caen.
  • « Miss Islande », roman traduit de l’islandais par Éric Boury – éditions Zulma.

Audur Ava Ólafsdótti, la bio 

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Audur Ava Ólafsdóttir est née en 1958 et vit à Reykjavík. Elle a fait des études d’histoire de l’art à Paris et a longtemps été maître-assistante d’histoire de l’art à l’Université d’Islande. Directrice du Musée de l’Université d’Islande, elle est très active dans la promotion de l’art. À ce titre, elle a donné de nombreuses conférences et organisé plusieurs expositions dartistes. Audur Ava Ólafsdóttir poursuit, depuis son roman Rosa candida, une œuvre d’une grande finesse, qui lui a valu notamment le Nordic Council Literature Prize, la plus haute distinction décernée à un écrivain des cinq pays nordiques.

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