saez album ni dieu ni maitre
Saez se produira à Bercy (AccorHotels Arena) le 3 décembre. (c)Cinq7/Wagram music

Il ne donne que de très rares interviews. Pour We Culte, Damien Saez nous a accordé un entretien exceptionnel où il a parlé de son nouveau quadruple album de 39 chansons « Le Manifeste 2016-2019 – Ni dieu ni maître ». Un répertoire libertaire et engagé qu’il va dévoiler au cours d’un concert très attendu à Bercy (Accorhotels Arena) où il  jouera pour la première fois le 3 décembre, pour ses 20 ans de carrière.

Damien Saez: « Aujourd’hui, il faut se libérer du système médiatique. Ce ne sont plus les hommes politiques qui dirigent, c’est les médias des médias, Apple, Google, Facebook, Instagram… dont les patrons mènent le monde. C’est comme s’il n’y avait plus de démocratie, comme une dictature du capital. C’est ça la réalité »

Sans que je sache vraiment pourquoi, Damien Saez m’a toujours fait confiance, en tant que journaliste. Il ne donne que très rarement des interviews. Il m’a accordé un entretien exceptionnel au Liberté, à Rennes, où il se produisait le soir-même. Nous avons parlé de sa vision du monde, de Bercy (AccorHotels Arena) qu’il s’apprête à remplir le 3 décembre, de ses 20 ans de carrière, de ses projets et de son nouvel opus qui vient de sortir. Un quadruple album de 39 morceaux inclus dans son projet artistique « Le Manifeste 2016-2019 » baptisé « Ni dieu ni maître », fresque sociale où résonne sa poésie libertaire. Poète écorché, chanteur en guerre contre les réseaux sociaux aux mains des GAFA, humaniste toujours prêt à mettre ses chansons au service de la lutte contre les injustices, Saez, en cette fin 2019, en appelle plus que jamais à la résistance au système. Provoc’, il s’en prend au passage à Emmanuel Macron dans l’une de ses chansons et réaffirme sa solidarité avec les Gilets jaunes et le monde du travail: « c’est la lutte et je crois mes amis, mes frangins qu’il est l’heure de brandir le drapeau de l’humain, qu’il est l’heure poing levé de sonner la révolte » chante-t-il dans « Camarade président ». Rencontre avec un artiste aux mots contestataires qui n’a pas son pareil pour dépeindre les maux de la société.

Baptiser votre quadruple album « Ni dieu ni maître » ne tient pas du hasard. En quoi ces mots sont-ils importants pour vous dans la société actuelle ?

Damien Saez : « Ni dieu ni maître », en fait c’est ma vie. Après, quelle fasse ricochet avec la société, ce n’est pas mon affaire. Le projet artistique du « Manifeste » et le site que j’ai commencé il y a trois ans « Culturecontreculture.fr », c’est dire que la consommation de musique et les plateformes de streaming, où les artistes sont rémunérés comme des esclaves, ça ne va pas. Pour moi, on doit payer l’artisanat de quelqu’un, on ne paie pas un bouquet dans lequel on décide de ce qu’on a envie d’écouter ou pas. Le streaming, généralement est payé par les parents qui prennent un abonnement où ils vont écouter Brel, Renaud, Goldman trois fois par semaine, tandis que leurs enfants écoutent cent fois par jour le truc qui fonctionne dans telle émission de télé. Au final l’argent reversé va aux produits plus formatés et éphémères qu’écoutent en boucle les gamins. Ce qui fait que les maisons de disques ne signent plus que des choses éphémères et non plus des artistes de longue durée. « Ni Dieu ni maître », c’est une manière de suivre ma route. Je ne fais pas de pub, je n’enlève pas tel ou tel mot pour passer à la radio, je n’ai pas de sponsor pour passer à la télé. Tout cela depuis mes débuts n’existe pas, et cela me va bien. Je pense que les chansons et les mots traversent toujours, même si cela prend plus de temps quand on n’a pas la grosse artillerie marketing.

Chanter est-il un acte de résistance ?

Damien Saez : Quand on est chanteur, avoir des musiciens sur scène est déjà un acte de résistance. C’est choisir l’humain plus que la machine. Ce qui est arrivé à la musique avec le téléchargement est arrivé aux Taxis avec Uber,  à la presse avec tous les blogs, le numérique et le digital, où d’un seul coup tout peut se donner partout et exister n’importe comment. On est dans ce truc de l’humain machine qui contrôle, que j’essaie de décrire dans mes chansons. Dans le projet « Manifeste », ça va de « Tous les gamins du monde »  sur Charlie, « Les enfants paradis » sur le Bataclan à « La Burqua », « Jojo » sur Johnny, « La lutte », « Fils de France » ou « Notre-Dame mélancolie », une chanson que j’ai écrite alors qu’elle n’avait pas encore brûlé. Je parle de choses qui se sont passées depuis trois ans. C’est du Balzac, de la fresque sociale. On voudrait nous faire choisir des camps. Aujourd’hui, il faut se libérer du système médiatique. Ce ne sont plus les hommes politiques qui dirigent, c’est les médias des médias, Apple, Google, Facebook, Instagram… dont les patrons mènent le monde. Ils sont plus importants que les Présidents ! C’est comme s’il n’y avait plus de démocratie, comme une dictature du capital. C’est ça la réalité.

Vous avez tenu à  sortir un EP de 7 nouveaux titres le 17 novembre, jour anniversaire de la lutte des Gilets jaunes. Vous sentez-vous solidaire de leur combat ?

Damien Saez : Totalement ! Mon album « J’accuse » (2010) est sorti avant la lutte des Gilets jaunes. Le rôle de celui qui écrit, c’est de le faire non pas quand c’est la tendance, mais quand il le ressent. Ce qui m’offusque le plus et que je trouve inquiétant, c’est quand on entend parler en boucle à la télé d’un tag sur les Champs-Elysées où est  écrit « On veut un Président des pauvres ». La personne qui a écrit ça, est non pas profondément révolutionnaire, mais humaniste. C’est un acte de bravoure. On a le droit d’estimer quand on n’a plus rien, qu’être hors la loi, c’est être dans le vrai. Pour moi, ce n’est pas la solidarité avec un gilet. C’est la solidarité avec des gens de tous bords, mais surtout des travailleurs qui n’en peuvent plus et qui ne sont pas représentés. La fracture entre le monde parisien et le reste du pays est énorme. Ne pas les écouter, continuer sur cette route, c’est aller droit vers le fascisme. Le seul truc que je dirais à ceux qui se mobilisent, c’est d’aller là où ça se passe, de manifester non pas sur les Champs, mais au siège de Google, de Facebook, d’Apple, qui ne paient pas d’impôt. C’est là que ça parlera et que les choses pourront changer. Les maîtres médiatiques doivent comprendre qu’ils ne peuvent pas être le porte-parole de ceux qui ont l’argent.

« Mon européenne » chantez-vous « elle est gréco-latine, elle est  contre l’union bancaire, elle est révolutionnaire » . Qu’est-ce qui vous déplaît dans l’Europe actuelle ?

Damien Saez : C’est la banque. L’Union européenne est une superbe idée au départ, plus de frontière et être ensemble pour éviter les guerres… Mais ça donné un système où on ne trouve quasiment pas d’autre union que la monnaie. Une monnaie gérée par des gens, dont on ne sait même pas où ils sont, hors des réalités. Ça ne peut pas marcher comme ça.

Vos textes sont encensés ou rejetés. Comment expliquez-vous ces sentiments contraires ? Est-ce dû au côté accusateur de votre univers ?

Damien Saez : Parce que ça pose débat. Le rôle de l’écriture n’est pas de plaire, il est d’amener à la réflexion. Sur les réseaux sociaux certains pensent que c’est pour faire ma pub. Ma quête n’est pas là depuis que j’ai commencé, sinon j’aurais fait des publicités à la télé quand j’étais chez Universal et je donnerais des interviews aux médias. Ma quête est de trouver une rémunération nécessaire, que j’ai avec mon site, parce que les  gens sont solidaires des arts, des mots. C’est arriver à faire un métier, payer des ingénieurs du son le salaire qu’ils méritent, arriver à payer les gens sur scène et à faire que tout cela se  tienne en demandant aux producteurs que cela se réalise. C’est ça ma lutte. Ma vie, c’est d’écrire des chansons.

Comment êtes-vous venu à l’écriture et à la poésie ?

Damien Saez : Enfant, j’étais très sensible. Il y avait la musique avec le piano que j’ai appris très tôt, le conservatoire. Ente six ans et dix ans, je jouais trois heures par jour. Je ne pouvais partir en vacances sans qu’il y ait un magasin de piano dans les environs, pour que je puisse répéter. J’ai commencé un peu à écrire vers 15 ans. C’est grâce à Mme Daperon, ma professeure de français à Dijon en classe de seconde au lycée Carnot et dans la façon qu’elle avait de donner ses cours, l’explication des textes, que ça a fait tilt dans ma tête. L’année suivante, un autre prof de français m’a fait découvrir des poèmes de Rimbaud. J’ai aimé la musicalité des vers. Ça été comme un hameçon, j’ai été ferré par la poésie.

D’où vient la révolte qui vous habite ?

Damien Saez : Cela a toujours été le cas. Cela vient de mon métissage culturel. Il y avait le HLM, ce conflit entre la cité où je vivais, entouré de tours et de béton, et le fait qu’étant en horaires scolaires aménagés – avec le conservatoire et les collèges et lycées où j’étais – qui étaient bourgeois en centre-ville. Je vivais entre ces deux mondes. J’avais déjà une vision de la société un peu globale. Ça fait réfléchir en tant que gamin à une forme d’injustice éducative et culturelle, de voir que s’il n’y avait pas que le sport pour les enfants de banlieue, peut-être que ça irait un peu mieux.

Diriez-vous que votre milieu familial est à l’origine de vos envies artistiques ?

Damien Saez : Oui. Grâce à ma mère et à mon beau-père, il y avait un patrimoine littéraire très important. Il y a une filiation, c’est clair, ainsi que dans la musique et les vinyles qu’on écoutait à la maison. J’écoutais Herbie Hancock, je devais avoir 4 ans et demi (rires) et plus tard Brel, Barbara Ferré, Brassens. Des auteurs qui m’ont marqué, enfant. Je fais partie de ces gens qui lorsqu’ils écoutent des chansons tristes ne se mettent pas à pleurer, mais ne se sentent plus seuls. J’écoutais aussi beaucoup de jazz, de classique, et je lisais des textes, les poètes. Tout ce truc a nourri le gamin que j’étais.

Vingt ans après vos débuts, vous allez vous produire à Bercy. Comment le vivez-vous? 

Damien Saez : En quittant une multinationale assez vite à mes débuts, en me débrouillant tout seul, vingt ans après, je me dis que faire une tournée de Zénith et jouer à Bercy, sans être quasiment diffusé sur aucune radio et sans pub, c’est génial. Cela veut dire que les mots, les chansons touchent et que ça parle aux gens. Il y a un lien très fort sur scène entre nous. Ce qui me fait plaisir, c’est d’arriver en une soirée à passer de 19h à minuit de l’acoustique au rock, de raconter mon « Manifeste ». Je reste un artisan de la musique. Mon métier, c’est conteur.

Quels sont vos projets ?

Damien Saez : Je vais retourner en studio pour finir mon album de thèmes instrumentaux classiques, avec orchestre. Après, je vais me reposer car je ne suis pratiquement pas sorti de mon studio ces trois dernières années. Je n’ai jamais vu l’Asie. J’aimerais bien faire un voyage sur le Mékong, suivre le fleuve. Ça pourrait me faire respirer et m’inspirer ! Il faut lutter contre ses propres ritournelles, qui m’obsèdent depuis vingt ans. Je pense que cela me fera du bien, y compris à mon écriture.

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