vous ne desirez que moi
"Vous ne désirez que moi" : Swann Arlaud interprète Yann Andréa, le dernier compagnon de Marguerite Duras (©Les Films de l'après-midi/Dulac Distribution).

Sortie cinéma. Après deux ans d’une vie commune qui allait en durer 16, Yann Andréa, le dernier compagnon de Marguerite Duras, a éprouvé le désir de vider son sac et de raconter l’emprise tyrannique qu’avait sur lui la romancière, de 38 ans son aînée. Ce sont ces confessions que raconte le film « Vous ne désirez que moi », de la réalisatrice Claire Simon, qui sort ce mercredi 9 février.


« Vous ne désirez que moi » : Yann Andréa, l’amour-haine avec Duras


Le film est tiré du livre « Je voudrais parler de Duras » (Ed. Fayard/Pauvert), de la journaliste et écrivaine Michèle Manceaux, amie proche de Marguerite Duras. Il s’agit d’entretiens réalisés en décembre 1982, à la demande de Yann Andréa, mais le livre n’est paru qu’en 2016, un an après la mort de Michèle Manceaux.

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« Vous ne désirez que moi » : Emmanuelle Devos et Swann Arlaud

César 2018 du meilleur acteur

Dans le film c’est Emmanuelle Devos qui joue le rôle de la journaliste, alors que Yann Andréa est interprété par Swann Arlaud, César 2018 du meilleur acteur pour « Petit Paysan ».

« Je voudrais bien parler de Duras. Et en même temps c’est tellement énorme, tellement quelque chose de fou, que je ne sais pas comment l’aborder », dit d’emblée Yann Andréa à Michèle Manceaux, quand celle-ci installe sur la table entre eux son enregistreur à cassettes et son micro. La journaliste est venue en voisine, elle habite elle aussi à Neauphle-le-Château (Yvelines), non loin de la maison de Marguerite Duras.

Marguerite Duras au rez-de-chaussée

L’entretien, étalé sur deux jours, a lieu au premier étage alors que Marguerite Duras est au rez-de-chaussée (on ne la verra pas, mais on entend ses pas à un moment, et elle essayera d’appeler par le téléphone intérieur). Pendant ces deux jours, Yann Andréa se confie, en commençant par la découverte, dans les années 1970, de l’œuvre de Marguerite Duras à travers son livre Les Petits Chevaux de Tarquinia.



Puis, en 1975 à Caen, où le jeune homme suit des études de philosophie, il assiste à la projection du film de Duras « India Song » puis rencontre la romancière dans un café, avec d’autres. Ensuite ce seront des lettres, auxquelles elle ne répond pas pendant cinq ans, puis des coups de téléphone, et enfin une rencontre en 1980, alors que Duras est à Trouville.

Décédée en 1996

Yann Andréa quitte son appartement, son travail, ses amis. Les deux ne se quitteront plus, jusqu’à la mort de l’écrivaine en 1996, à 81 ans. Dans le livre comme dans le film, Yann Andréa (décédé, lui, en 2014 à 61 ans) raconte à Michèle Manceaux ses deux premières années de vie commune avec Marguerite Duras, de 1980 à 1982. « J’ai été dans un rapport d’admiration, de fascination. Et aussi de domination (…), de soumission (…), ou plutôt d’acceptation », dit-il.

« Dé-créer pour re-créer »

Il n’élude aucune question, notamment son homosexualité et les premiers rapports sexuels avec l’écrivaine. Il évoque les disputes, la collaboration littéraire, les brèves séparations, une tentative de suicide, l’emprise quotidienne et la tyrannie permanente de celle qui lui disait: « Je veux vous dé-créer pour vous re-créer ».

La vie avec Marguerite Duras est un enfer. « Un jour, si je voulais manger un bœuf bourguignon et qu’elle avait décidé de manger une soupe à la tomate, eh bien le bœuf n’existait absolument pas. C’est un faux désir, le vrai désir c’est le sien », raconte Yann Andréa, qui ajoute: « Au bout d’un moment, tu te dis: je n’existe plus ». Mais il l’aime et elle l’aime et ils ne se quitteront pas…

Entretien quasi thérapeutique

Michèle Manceaux a fait office de psy dans cet entretien quasi thérapeutique que la réalisatrice Claire Simon a filmé en plans-séquences avec une seule caméra mais en intercalant des flash-back (Yann Andréa dans une cabine téléphonique ou draguant des homosexuels), des plans extérieurs (la plage de Trouville ou Michèle Manceaux rentrant chez elle entre les deux entretiens), des extraits de films (« India Song ») ou des images d’archives (Marguerite Duras jouant du piano ou dirigeant Yann Andréa sur le tournage du film « Agatha et les lectures limitées ».



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« Vous ne désirez que moi » : un film de Claire Simon

La réalisatrice montre avec force mais simplicité la puissance d’une passion amoureuse qui a emprisonné Yann Andréa, le rendant incapable de surmonter sa faiblesse: « C’est devenu une drogue, je ne peux plus m’en passer », dit le jeune homme au bout de ces deux ans de ressentiment et d’adoration, de haine et d’amour.

Parole de faible

« Je sais gré à Yann Andréa d’avoir fait entendre une parole de faible qui est extrêmement belle et digne. Il faut reconnaître la parole des faibles comme étant une parole qui peut être intelligente, totalement lucide et pleine de puissance, et non pas de pouvoir », explique la réalisatrice, 66 ans, qui alterne depuis 1989 les documentaires et les films de fiction (le dernier était « Gare du Nord » en 2013 avec Nicole Garcia).

Féministe engagée, elle voit dans la relation entre Marguerite Duras et Yann Andréa une histoire de soumission, de dépendance, de domination: « C’est un homme dominé par une femme. Or lui, avec sa culture d’homme, il arrive à nommer ce qu’est la position du faible, la sienne, avec une lucidité et une précision extraordinaires, que je n’ai pas toujours trouvées dans l’autre sens. Il raconte au fond ce qui est arrivé à d’innombrables femmes –quand l’autre vous dit: «Vous n’existez pas, vous n’existez qu’à travers moi»… Ça fait des millénaires que les femmes entendent ça! Sauf que lui, c’est un homme, et il est surpris d’être dans cette situation ».

Jean-Michel Comte

LA PHRASE

« L’amour ne peut pas exister sans la destruction de quelqu’un, sans la mort » (Yann Andréa).


  • A voir : « Vous ne désirez que moi » (France, 1h35). Réalisation: Claire Simon. Avec Swann Arlaud, Emmanuelle Devos, Christophe Paou (Sortie 9 février 2022)

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