Pour le critique rock Philippe Manoeuvre, Johnny Hallyday est celui qui a apporté la guitare électrique en France, faisant entrer le pays dans le XXe siècle. Il était l’incarnation de la star populaire.
«On est assommé, KO debout. On avait beau savoir qu’il luttait contre un double cancer particulièrement méchant, on espérait. Tout le monde se disait, c’est le patron, il va s’en sortir, nous surprendre. On avait cet espoir fou qu’il allait passer Noël. Déjà Johnny avait bandé ses forces pour faire la tournée des Vieilles Canailles qui était son but, mais malheureusement, la maladie l’a emporté. C’est terrible. On perd un chanteur, un acteur, un people, on perd une rock star. Pour les Français, c’est incroyable ce qui est en train de se passer. J’ai un copain journaliste qui m’a dit : « Ça va être la plus grosse histoire depuis la mort d’Édith Piaf. » C’est exactement ça qu’on est en train de vivre. Johnny a apporté la guitare électrique dans un pays qui ne voulait pas entendre parler de modernité, où l’instrument dominant était l’accordéon, où le plus gros vendeur de disques était André Verchuren. Johnny, ça a été un coup de tonnerre dans le ciel bleu. Il faut se rappeler qu’il y a une semaine de mars 1960 où sort le premier 45 tours de Johnny, T’aimer follement, chez Vogue, et le premier film de Jean-Luc Godard, À bout de souffle. Tout d’un coup, le XXe siècle vient taper à la porte de la France : « Fini la rigolade. Maintenant la modernité, c’est le rock, la nouvelle vague. » Johnny a été sacré roi du rock français lors de la fête de la place de la Nation, en 1963, devant 360 000 fans. Lui que le général de Gaulle va attaquer le lendemain en disant : « Si ces jeunes ont autant d’énergie, qu’ils aillent construire des autoroutes ! » Le rock est venu pour régler son compte à la bourgeoise. Johnny, il touchait tout le monde. Il a séduit autant certains des hommes d’affaires les plus riches de France que les plus modestes qui se saignent aux quatre veines pour suivre ses tournées. C’est l’ubiquité de Johnny Hallyday. C’est la superstar. Il a une aura spéciale, une histoire absolument incroyable qui relève de la tragédie grecque. Il a été le premier de la lignée du rock. Ce qui a fait la différence, c’est qu’il voulait de bonnes chansons et qu’il les a trouvées. Et il a amené le rock dans les stades à lui seul. Il pouvait se produire pendant trois semaines à Bercy. À la Fête de l’Huma, c’est pareil, il battait tous les records. C’était ça Johnny, un mégachanteur populaire. »
Philippe Manœuvre
Journaliste, spécialiste de rock