Chanteuse et actrice, Camélia Jordana mène une double carrière au cinéma et en musique. Quatre ans après «Dans la peau», elle revient avec «LOST» un album très créatif bouillonnant de couleurs musicales, véritable labyrinthe sonore aux influences hip-hop, jazz, électro-soul et musique du monde. Le tout chanté en français, en anglais et en arabe. Son message de paix et d’ouverture au monde.
LOST de Camélia Jordana, un album conscient des maux de l’époque, qui témoigne des engagements et du ressenti d’une jeune femme de 26 ans à la double culture, française et algérienne, revendiquant son identité plurielle
Depuis le César du meilleur espoir féminin qu’elle a remporté en 2018 pour son rôle dans le film Le Brio d’Yvan Attal, avec Daniel Auteuil, on pensait la chanteuse et actrice Camélia Jordana était désormais plus intéressée par le cinéma que par la chanson. On la retrouvera d’ailleurs sur le grand écran début 2019 dans le long métrage de Caroline Fourest, Red snake et dans Curiosa, de Lou Jeunet. Mais la musique, sa première passion, l’a rattrapée avec la sortie aujourd’hui d’un nouvel album, « LOST », le troisième de sa carrière.
Camélia Jordana, a beaucoup évolué depuis sa participation dans l’émission La Nouvelle Star en 2009. Après un premier disque éponyme en 2010 porté par le titre « Non, non, non (écouter Barbara)», suivi en 2014 par «Dans la peau», elle a multiplié les expériences musicales, travaillant avec Babx, L ou Matthieu Boogaerts. Véritable caméléon, capable de passer d’un univers à l’autre, elle invite, avec LOST, à voyager dans un labyrinthe sonore aux influences hip-hop, jazz, électro-soul et musique du monde.
Un disque très créatif bouillonnant de couleurs musicales, qui a d’abord fait l’objet d’un EP en 2017, réalisé avec la complicité de Laurent Bardainne du groupe de rock électro Poni Hoax. Des compositions communes que Camélia a par la suite réécrites et réarrangées, qui ont donné naissance à LOST.
Un album qui témoigne des engagements et du ressenti d’une jeune femme de 26 ans à la double culture, française et algérienne, revendiquant son identité plurielle. Un registre conscient des maux de l’époque que Camélia Jordana délivre en français, en anglais et en arabe. Son message de paix et d’ouverture au monde.
Vous avez intitulé votre album LOST. Auriez-vous le sentiment d’être perdue dans le monde actuel ?
Camélia Jordana : C’est vrai qu’il y a cette idée d’être complètement perdu dans ce monde contemporain. Pour les gens de ma génération à qui on a appris les valeurs républicaines et à qui on a expliqué qu’on était Français, qu’on avait la chance d’avoir la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, d’avoir eu des hommes comme Léon Blum, des gens qui se sont battus pour des droits sociaux, on ne s’y retrouve plus quand on voit que des hommes politiques au pouvoir défendent des valeurs complètement opposées. En même temps, il y a quelque chose de très lumineux de par les nouvelles technologies, le fait d’être tous connectés les uns aux autres et de savoir tout ce qui se passe dans le monde. Il y a une espèce de grand élan de solidarité, l’idée de création, d’innovation. On a beau être paumés amoureusement, sentimentalement, politiquement, socialement, économiquement, on sent bien que le pouvoir c’est nous et que nous sommes l’avenir.
Chanter en anglais, en français, en arabe, c’est un choix esthétique, une manière de revendiquer votre identité plurielle ?
Camélia Jordana : Etant donné le propos, à savoir le témoignage d’une Française d’origine algérienne, porteuse d’une double culture, j’ai voulu que plusieurs langues y résonnent. Il y a une raison à la fois esthétique et artistique. Quand je chante en français, j’ai une façon plutôt douce, précieuse, délicate d’interpréter. L’anglais a quelque chose de plus porté, ouvert, large, alors que l’arabe est plus terrien, centré, ancré, tout en étant presque mystique. C’était important pour moi qu’il y ait ces trois valeurs-là. J’avais besoin de m’autoriser cette liberté vocale. L’arabe n’est pas chanté en France malheureusement. J’avais envie de le mettre à l’honneur car c’est une langue magnifique et encore plus dans la période que nous vivons tellement repliée sur elle-même.
En 2017 vous avez sorti le titre Fi 3lemi (mon Drapeau). De quoi voulez-vous témoigner avec cette chanson ?
Camélia Jordana : C’est une chanson qu’on a sortie au moment de l’élection présidentielle en 2017, un titre écrit juste après les attentats du Bataclan. Tout de suite après cette sombre période, j’ai senti un changement dans les regards qui m’étaient adressés en tant qu’arabe, comme si les gens étaient apeurés par moi, ma silhouette, ma présence. C’était important pour moi de raconter que toute Arabe et toute Algérienne que je suis, je me sens Française, fière des valeurs républicaines que je prône et défends haut et fort.
Quels sont les thèmes que vous souhaitiez aborder dans LOST?
Camélia Jordana : Il y a Freddie Gray auquel j’ai voulu rendre hommage, un jeune noir qui s’est fait tuer à Baltimore aux Etats-Unis et dont la mort a entrainé d’énormes émeutes en 2015. J’avais besoin de parler de ces violences policières, qui ont eu lieu aussi ces dernières années en France (Adama Traoré, Théo etc…). Il y a un hommage aux femmes dans « A girl like me », ces femmes que j’ai pu croiser dans les rues, au travail ou ailleurs. C’est très compliqué de se sentir respecter en tant que femme, en tant que personne. Elles sont fortes, grandes et voir que malgré tout ce qu’elles portent dans leur foyer, la société, leur métier, dans la rue, elles continuent d’être sous-estimées et renvoyées à leur genre, qui est perçu comme un sous-genre, en permanence, je trouve ça insupportable, insoutenable. Etre une femme, c’est difficile et en même temps, c’est quelque chose de magnifique. Quand quelqu’un me dit « je ne suis pas féministe », pour moi c’est comme dire « je suis raciste ». Je ne comprends pas. Le féminisme cela veut dire être pour l’égalité des droits entre les hommes et les femmes.
Sauriez-vous dire ce que la musique vous appris de la vie ?
Camélia Jordana : Tellement de choses. Elle m’a appris mon métier, à rencontrer les gens, elle m’a appris la politique, l’engagement, la bienveillance, la légèreté, la profondeur, le voyage, le partage. Elle m’a tout appris en fait ! (rires).
Vous êtes à la fois chanteuse et actrice. Comment vous situez-vous par rapport à ces deux arts que sont la musique et le cinéma ?
Camélia Jordana : Ce sont deux choses très différentes. Le cinéma me permet d’être quelqu’un d’autre, une autre femme. Alors qu’en musique, je suis leader de mon projet, donc capitaine à bord. C’est à moi de motiver toute une équipe. A l’inverse, quand je suis actrice, je suis l’objet de la réalisatrice ou du réalisateur. Je m’investis énormément mais c’est d’abord le projet de quelqu’un d’autre. Un long métrage, c’est deux mois et demi au maximum. En musique, c’est plus long. Le projet LOST, je l’ai porté pendant quatre ans, j’y ai pensé, je l’ai arrangé et réarrangé, je l’ai réécrit. Il y a eu le travail de mixage, j’ai réfléchi au visuel de l’album, réalisé les clips etc… Ensuite il y a les interviews, les live à la télé, la tournée… Il y a quelque chose de beaucoup plus massif. Le cinéma, c’est ludique et en même temps assez reposant. J’y ai découvert la magie des horaires de tournage. Il y a un cadre, ce qui n’existe pas dans la musique (rires).
Entretien réalisé par Victor Hache Album LOST, chez Arista France/Sony music. Concert le 17 décembre à La Bellevilloise, 19-21 rue Boyer 75020 Paris, et tournée à partir du 8 mars 2019. Lire: Radio Elvis passe à un rock plus vénéneux: https://www.weculte.com/featured/musique-radio-elvis-passe-a-un-rock-plus-veneneux/