le couteau
"Le couteau" : Salman Rushdie publie son 22e livre sous-titré : "Réfléxions suite à une tentative d'assassinat"

Livres. Revenu du pire après une tentative d’assassinat en août 2022, l’écrivain américano-britannique d’origine indienne Salman Rushdie crée l’évènement avec la parution de son 22ème livre, « Le Couteau ». Toujours visé par une fatwa lancée en 1989 par l’Iran, il confirme que, plus que jamais, il continue le combat pour la liberté, dont celle d’expression.


« Le couteau » : « Il était essentiel que j’écrive ce livre : une manière d’accueillir ce qui est arrivé, et de répondre à la violence par l’art  » (Salman Rushdie)


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« Le couteau » de Salman Rushdie

Sur le plateau de la chaîne télé américaine CBS en soirée de ce dimanche 14 avril, le journaliste déclenche le minuteur de son téléphone portable. Fin du silence vingt-sept secondes plus tard. Son invité, l’écrivain américano-britannique d’origine indienne Salman Rushdie, commente : « C’est une extraordinaire demi-minute d’intimité dans laquelle la vie rencontre la mort ».

A bientôt 77 ans (le 10 juin prochain), il est en promo, venu présenter son vingt-deuxième livre, « Le Couteau », la parution mondiale a été programmée pour le 16 avril aux Etats-Unis et au Royaume, et le 18 avril pour le reste du monde.

Un livre qu’il ne souhaitait pas écrire, il avait en projet un nouveau roman qui ferait suite à « La Cité de la victoire » (paru en VF le 6 septembre 2023). Un livre qui, finalement, a vu le jour- comme le souhaitait son agent de toujours Andrew Wylie- et est sous-titré « Réflexions suite à une tentative d’assassinat ».

Présentant « Le Couteau », Salman Rushdie confie : « Je ne pouvais écrire rien d’autre. J’avais quelques idées, pour des livres que j’aurais pu écrire, mais elles semblaient bêtes. J’ai compris rapidement que jusqu’à ce que je m’occupe de cela, je ne pourrais rien faire d’autre. Et à ce point-là, c’est devenu une question urgente de le faire. Et le livre est advenu très lentement au départ. Et puis, c’est comme si quelqu’un avait ouvert un barrage et le flot s’est échappé. Je suis heureux de l’avoir fait ».  Et encore : « Il était essentiel que j’écrive ce livre : une manière d’accueillir ce qui est arrivé, et de répondre à la violence par l’art ».

Ecrire, penser, réfléchir… Sur le geste, sur les mots, sur la littérature, sur l’amour… Sur ces vingt-sept secondes d’une tentative d’assassinat. Le 12 août 2022, Salman Rushdie est invité à Chautauqua, ville du nord-états-unien à la frontière avec le Canada.



Il doit intervenir sur le thème : assurer la liberté d’expression des écrivains. Le sujet, il le connaît depuis qu’en 1989, dans la foulée de la parution de son roman « Les Versets sataniques », l’ayatollah Khomeiny a lancé une fatwa sur sa personne- rien moins qu’une mise à mort avec promesse d’une prime de 3 millions de dollars pour celui ou celle qui tuera Rushdie….

Pendant neuf années, il vivra au secret à Londres, sous la protection du gouvernement britannique. Depuis vingt ans, il est à New York où la protection est plus légère, voire inexistante.

Ainsi, ce 12 août 2022, il est allé à la Chautauqua Institution. La matinée s’écoule, un millier de personnes assiste à la conférence quand, soudain, un homme vêtu de noir et masqué surgit. Armé d’un couteau, il assène une dizaine de coups à Salman Rushdie.

Vingt-sept secondes plus tard, l’écrivain est allongé, baignant dans une mare de son sang. Vingt-sept secondes, le temps qu’il a fallu à l’assaillant pour toucher Rushdie à dix reprises, lui sectionner tous les tendons et nombre de nerfs de la main gauche, détruire le nerf optique après avoir pénétré dans l’œil droit, entailler le cou, traverser le haut de la cuisse droite, transpercer son abdomen…

Les secours qui l’emmènent à l’hôpital le tiennent pour mort. Lui se rappelant les fractions de seconde avant les coups de l’assaillant, dans « Le Couteau », il écrit sa réaction en deux temps. D’abord, pensant sa dernière heure venue : « C’est donc toi. Te voilà » et ensuite, ne pouvant croire que ces gestes surgissent cette matinée après tant d’années sans histoire : « Vraiment ? Pourquoi maintenant, après toutes ces années ? »

Quarante jours à l’hôpital. Les médecins sont en alerte, c’est le défilé de « Dr Main », « Dr Foie », « Dr Œil »… Rachel Eliza Griffiths, poétesse et photographe qu’il a rencontrée en 2017 (« C’est arrivé sans prévenir, un coup de foudre ») ne quitte pas son chevet.

Elle l’accompagne de tous les instants, dans « Le Couteau » il lui dit encore et encore son amour… Dans ce livre en deux parties et huit chapitres, il ne nomme à aucun moment son « apprenti assassin », son « meurtrier raté », « stupide et enragé »– il lui attribue le A, simplement.

A un moment, lui a traversé l’esprit l’idée de rencontrer ce jeune homme pas né à la sortie des « Versets sataniques »– finalement, il n’est pas allé plus loin si ce n’est que dans « Le Couteau » il met en scène une rencontre imaginaire avec A…

Peut-être a-t-il songé à Samuel Beckett qui, en 1938, avait demandé à son agresseur les raisons de son geste- il eut pour seule réponse : « Je ne sais pas. Je m’excuse, Monsieur ».

Revenu du pire, il écrit : « Je ne crois pas aux miracles, mais ma survie est un miracle », et aussi : « La réalité décrite dans mes livres, oh appelez-la réalité magique si vous voulez, est devenue la véritable réalité dans laquelle je vis ».

Sans jamais donner de leçons (de vie), Salman Rushdie va encore et encore mener le combat de la liberté (dont celle d’expression)- quel qu’en soit le prix à payer. On lit : « Si le destin m’a transformé en Rushdie icône de la liberté d’Expression, une sorte de poupée Barbie vertueuse amoureuse de la liberté, alors j’assumerai ce sort ».

Mais surtout, il va encore et encore écrire, souhaitant qu’on le (re)connaisse d’abord et surtout pour ses livres et son écriture. « J’écris, dit-il, et j’essaie de faire de mon mieux… »

Serge Bressan

A lire : « Le Couteau » de Salman Rushdie. Traduit par Gérard Meudal. Gallimard, 272 pages, 23 €.


EXTRAIT 

« Je me levai, le regardai approcher. Je n’ai pas tenté de fuir. J’étais pétrifié. Il s’était écoulé trente-trois ans et demi depuis la fameuse condamnation à mort prononcée par l’ayatollah Ruhollah Khomeyni contre moi et tous ceux qui étaient impliqués dans la publication des ‘’Versets sataniques’’, et pendant ces années, je l’avoue, j’ai parfois imaginé mon assassin se lever de quelque assemblée publique ou autre et foncer vers moi exactement de cette façon.

Aussi, ma première pensée quand je vis cette silhouette meurtrière se précipiter vers moi fut : C’est donc toi. Te voilà. On raconte que les dernières paroles de Henry James ont été : “Elle a donc fini par venir, la chose distinguée.” La mort venait à moi, également. Mais elle ne m’a pas frappé comme une chose distinguée. Je l’ai trouvée anachronique.

Ce fut ma seconde pensée : Pourquoi maintenant ? Vraiment ? Il s’est passé tant de temps. Pourquoi maintenant, après toutes ces années ? Le monde était assurément allé de l’avant et cette question était réglée. Et pourtant ici, approchant à toute vitesse, il y avait une sorte de voyageur temporel, un fantôme meurtrier surgi du passé ».


 

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