Livres We Culte. Pour cette semaine de lecture, trois suggestions : on commence avec Christophe Agnus qui, avec son premier roman, magnifie le genre du techno-thriller; on enchaîne, plaisir immense, avec Copi pour deux textes à 40° moins zéro, et on termine, dans le sillage d’Eva Ionesco, avec une plongée dans la nuit parisienne des années 1970. A toutes et tous, bonne lecture !
Les livres de la semaine : Christophe Agnus, Copi et Eva Ionesco
CHRISTOPHE AGNUS : « L’Armée d’Edward »
Vingt et un jours, voilà le temps nécessaire pour « L’Armée d’Edward », le premier roman de Christophe Agnus. Journaliste aussi à l’aise sur mer que dans le monde de l’internet, il s’est lancé dans le format long- pour notre grand plaisir, et signe un haletant techno-thriller. Le Jour 1, vingt personnalités- tant des politiciens que des hommes et femmes d’affaires ou encore des vedettes du rap et des télé-stars- disparaissent. Des disparitions aussi soudaines qu’inexpliquées. Une opération montée depuis quatre ans par une bande de jeunes dans une « war room ».
Ainsi, avec les mots d’Agnus, le lecteur va quelque temps aux Etats-Unis, au Brésil, sur une île du Bangladesh, à bord d’un sous-marin ou encore sur un golf en Floride où le président américain venu taper la balle s’est, au trou n°1, volatilisé… C’est la panique, non pas sur le périphérique, mais dans le monde entier… Les interrogations fusent : qui a monté cette histoire ? quelles sont les revendications des instigateurs de ces disparitions ? et cette « armée d’Edward », qui la dirige ? et les disparus, quel sort leur est réservé ?… Avec une grande habileté technique mêlant écologie, nouvelles technologies et chasse à l’homme, Christophe Agnus signe un grand livre empli de suspense.
« L’Armée d’Edward » de Christophe Agnus. Robert Laffont, 524 pages, 20 €.
COPI : « L’Homosexuel / Les Quatre Jumelles »
Né le 20 novembre 1939 en Argentine, grandi dans une famille francophone en Uruguay, Raúl Damonte Botana a illuminé, sous le pseudonyme de Copi, la littérature, le théâtre et le dessin à Paris dans les années 1970. Figure majeure du mouvement gay, il meurt le 14 novembre 1987, laissant une œuvre aussi folle que profonde. Ainsi, on (re)plonge avec un bonheur immense dans ce recueil qui regroupe deux textes, deux pièces pour le théâtre : « L’Homosexuel (ou la difficulté de s’exprimer) » publié en 1971, et « Les Quatre Jumelles »– 1973.
Deux textes à 40° sous zéro, emplis de « fulgurances extraordinaires qui illuminent tout »– comme l’assure la grande comédienne Marilu Marini. Dessinateur éternel de « La Femme assise », Copi a écrit, avec ses deux pièces, ses textes les plus abstraits.
En commun, le décor frigorifique et une action dans une maison dans un désert aussi glacé qu’inhospitalier- la Sibérie pour « L’Homosexuel », l’Alaska pour « Les Quatre Jumelles ». Et puis, et comme si souvent chez Copi, l’exil. Lui qui a pointé sans relâche la dictature argentine de Péron et autres Videla a écrit, là, deux pièces belles et sublimes de l’affrontement. Les conflits sont cauchemars qui recommencent encore et toujours. Et c’est ainsi qu’à jamais, Copi est un « poète insaisissable »…
« L’Homosexuel/Les Quatre Jumelles » de Copi. Christian Bourgois éditeur, 166 p, 8 €.
EVA IONESCO : « Les enfants de la nuit »
Il y eut les enfants terribles. Et aussi les enfants perdus. N’oublions pas les enfants de la nuit, ceux qui donnent le titre au deuxième et nouveau roman d’Eva Ionesco. Roman autobiographique, « Les enfants de la nuit » fait suite à « Innocence », paru en 2017. L’auteure a également réalisé deux films, « My Little Princess » (2011) et « Une jeunesse dorée » (2019). Cette fois, avec ce texte de plus de 450 pages, elle emmène lectrices et lecteurs dans les nuits parisiennes des années 1970.
C’est l’époque « magique » du Palace, haut lieu de la nuit où l’on croisait aussi bien Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld qu’Andy Warhol et Bruce Springsteen… Il y avait aussi une « petite bande ». Une fillette, Eva, 11 ans ; deux garçons, Christian et Vincent, à peine plus de 13 ans. Depuis l’âge de 4 ans, Eva était, par la volonté de sa mère Irène, model photo.
Des photos furieusement érotiques qui s’apparentaient à la pédopornographie… Avec Christian (Louboutin, devenu la star des chausseurs) et Vincent (Darré, décorateur réputé), elle s’échappera de l’emprise maternelle- et deviendra une enfant de la nuit. Là, vite, elle a su qu’avec les deux garçons, ils seront amis à la vie, à la mort… Un roman étourdissant, implacable sur une époque et ses mœurs…
« Les enfants de la nuit » d’Eva Ionesco. Grasset, 448 pages, 24 €.
Serge Bressan