Les livres de la semaine. Pour cette semaine de lecture, trois suggestions. On commence avec le « médiologue » toujours pertinent Régis Debray et son livre d’une vie « Où de vivants piliers » ; on enchaîne avec Brigitte Kernel et son récit de l’enfance de Joséphine Baker « Je m’appelle Joséphine Baker », et on boucle avec l’Allemand Chris Kraus, romancier et aussi homme de théâtre et de cinéma, et son texte implacable « Danser sur des débris », pour une plongée dans un univers familial. Bonne lecture à toutes et tous !
REGIS DEBRAY : « Où de vivants piliers »
D’un écrivain qui, jeune, a grandi dans les maquis et les geôles boliviens, qui a été le « sherpa » d’un Président de la République française, on n’en attendait pas moins. Avec son nouveau livre joliment titré « Où de vivants piliers » (mots extraits des « Fleurs du mal » de Charles Baudelaire), Régis Debray se montre malin et surtout brillant.
D’emblée, il précise que si « les gratte-papier blanchis sous le harnais ont coutume de mettre in fine leurs plus secrets souvenirs sur le marché », lui le développeur de la « médiologie » il en fera, à 82 ans, autant tout faisant une place belle à « l’envie d’élargir le sujet en me tournant vers ceux de mes aînés qui m’ont aidé à grandir ».
Présenté sous la forme d’un dictionnaire, de A à Y, d’Aragon à Yourcenar, « Où de vivants piliers » constitue le livre d’une vie. De tant et tant de vies. Au hasard, d’une écriture toute en brillance, il nous offre « ce qu’il doit aux grands aînés qui l’ont, à leur insu, incité à poursuivre ou à tenter de rebondir ».
On savoure alors les articles sur Roland Barthes, Louis-Ferdinand Céline, Romain Gary, Georges Perec ou encore Jean-Paul Sartre. Et aussi ceux sur la bibliothèque, l’« écrivain philosophe », la mixité, le protocole, les voyages… Un grand bonheur de lecture.
- « Où de vivants piliers » de Régis Debray. Gallimard, 194 pages, 18 €.
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BRIGITTE KERNEL : « Je m’appelle Joséphine Baker »
Le 30 novembre 2021 à Paris, Joséphine Baker entrait au Panthéon. L’histoire retient qu’elle est la sixième femme à y entrer. Pour l’occasion, on chantait « La Petite Tonkinoise », « La Conga blicoli » ou encore l’éternelle « J’ai deux amours »…
Née le 3 juin 1906 à Saint-Louis, Missouri, elle quitta la vie à Paris le 12 avril 1975- elle avait 68 ans. Franco-américaine, on la retrouve en cet été avec le nouveau livre de Brigitte Kernel, « Je m’appelle Joséphine Baker ».
Ecrivaine de talent maniant aussi bien la littérature générale que le « polar » ou encore la biographie romancée, l’auteure est passée avec bonheur en littérature jeunesse- ce qui l’a amenée, après Léonard de Vinci, Charlie Chaplin et Albert Einstein, à s’intéresser à la meneuse de revue, chanteuse et femme libre et engagée que fut Joséphine Baker.
Une fois encore, Brigitte Kernel s’est emparée du sujet en racontant l’enfance de celle que l’état-civil connaissait sous le nom de Freda Josephine McDonald. Enfant, celle-ci annonça : « Un jour, je chanterai, je danserai et je serai célèbre ! » A 10 ans, elle découvre la danse, s’inscrit à un concours où elle sera la seule candidate noire. Une première leçon de vie. Une leçon qui lui apprendra un principe essentiel : surmonter tous les préjugés pour réaliser son rêve…
- « Je m’appelle Joséphine Baker » de Brigitte Kernel. Flammarion Jeunesse, 216 p 14,90 €.
CHRIS KRAUS : « Danser sur des débris »
Un dilemme pour le moins cornélien, voilà ce qui attend Jesko. Jeune et styliste, il balade un look baroque, et se joue des obligations sociales. Il se sait condamné, souffrant d’une leucémie… Et il se retrouve contraint de renouer avec sa famille : sa mère s’est déclarée volontaire pour lui faire un don de moelle. Va-t-il « Danser sur des débris », titre de ce nouvel et enthousiasmant roman ?
Donc, il prend sur lui, fait le voyage vers cette famille qu’il a rejetée depuis longtemps, et cette mère malade mentale qui, tondant la pelouse du jardin familial, dessine une croix gammée géante… Oui, un dilemme cornélien pour Jesko : accepter le don maternel, donc être redevable mais vivre, ou refuser et mourir ?
Mourir, oui peut-être mais en ayant, auparavant, régler les comptes avec les siens. Une fois encore, avec ce roman (le troisième traduit en VF, mais le premier de l’auteur), l’Allemand Chris Kraus plonge, muni d’un scalpel follement tranchant, dans l’univers familial où rode encore et toujours le spectre de la bête immonde- comme dans « La Fabrique des salauds » et « Baiser ou faire des films ». Egalement homme de théâtre et de cinéma, Chris Kraus signe un grand livre de l’adieu à la jeunesse et d’une ultime balade au bord du précipice…
- « Danser sur des débris » de Chris Kraus. Traduit par Rose Labourie. Belfond, 226 pages, 22 €.
Serge Bressan