Danse. Danseur et chorégraphe, Thierry Micouin est actuellement en résidence à La Lucarne (Arradon), théâtre de Scènes du Golfe à Vannes (56). Avec sa compagnie, il travaille à la répétition de son prochain spectacle « Jour futur », inspiré de l’album « Future days », du groupe allemand de rock expérimental, Can, dont la première est prévue à Paris à l’automne 2021. Il sera également présent à La Lucarne le 6 janvier, où il présentera la pièce « Eighteen », avec sa fille, Ilana, elle-même danseuse. L’occasion d’aller à la rencontre du chorégraphe, qui nous parle de ses projets et de son rapport à la danse contemporaine.
Le danseur et chorégraphe Thierry Micouin aime raconter l’humain par la danse contemporaine, faire parler les corps et confronter son geste artistique à d’autres disciplines, comme la musique, l’installation ou la création numérique
Il aime raconter l’humain par la danse contemporaine et faire parler les corps. Le chorégraphe et danseur Thierry Micouin aborde la danse par son hybridation, confrontant son geste artistique à d’autres disciplines, comme la musique, l’installation ou la création numérique. Actuellement en résidence à La Lucarne (Arradon), théâtre de Scènes du Golfe à Vannes (56), il travaille à la répétition de la pièce « Jour Futur », projet né avec la complicité de Pauline Boyer.
La plasticienne sonore a ainsi écrit une partition inspirée de l’album « Future days » sorti en 1973, de Can, groupe allemand de rock expérimental, sur laquelle quatre danseurs évoluent dans une scénographie imaginée à partir d’un espace géométrique de carrés tracés au sol. Un projet dont la première aura lieu en novembre 2021 à la Ménagerie de Verre à Paris. Le chorégraphe sera par ailleurs présent lors de la saison de Scènes du Golfe, avec son spectacle « Eighteen », que nous pourrons découvrir le mercredi 6 janvier à 20h00 à La Lucarne. Une pièce sur la relation père-fille, où il partagera la scène avec sa fille et danseuse Ilana, qui retrace leur parcours commun et parle de leur amour de la danse contemporaine : « C’est une histoire de vie et de transmission » confie Thierry Micouin, qui dansera également au dans la pièce « Echo » de la danseuse et chorégraphe Catherine Diverrès, le mardi 9 mars au Palais des Arts, à Vannes.
Comment est le né le projet « Jour Futur » ?
Thierry Micouin: Cela fait un et demi que l’on parle de ce projet avec Pauline Boyer. C’est parti de l’écoute de l’album « Future days » de Can, un groupe des années 1970 d’un mouvement musical, le Krautrock. On a décidé de reprendre ce titre « Jour futur », mais au singulier. Cet album est sorti en 1973, une année où la société a basculé dans ce qu’on appelle « le nouveau monde » avec la fin de la guerre du Vietnam et une Amérique exsangue financièrement, le choc pétrolier, l’arrivée du libéralisme et des pétrodollars. Un monde qui part vers un jour futur…
Qu’est-ce qui vous a séduit dans la musique de ce groupe allemand de rock expérimental ?
Thierry Micouin : Avec Pauline Boyer, on aime beaucoup la musique minimaliste et certains membres du groupe Can étaient des élèves d’un compositeur de musique répétitive, minimaliste, qu’est Stockhausen. Il y avait cet héritage. Dans « Future days », il y a quatre morceaux, dont on s’inspire pour la composition sonore du spectacle. Pauline a décortiqué chaque titre du disque qu’on n’entendra pas sur le plateau et a écrit tout une partition, à partir de laquelle nous créons des principes de composition chorégraphique, sur le rythme, les structures récurrentes…On est parti du squelette de la musique pour en réécrire une autre forme musicale plus électro que rock. Ça c’était avant la pandémie et le confinement est arrivé. Après une première résidence en juillet au Centre chorégraphique de Rennes, j’essayais de travailler chez moi, de trouver des compositions de danse. On parlait beaucoup de gestes barrière et de distance de 1 mètre à respecter entre chaque personne. C’est comme cela que j’ai imaginé une scénographie avec un carré de 6X6 m divisé lui-même en 9 carrés de 2X2 m dans lesquels les danseurs évoluent. Le carré, c’est l’idée de la terre, de l’unité, la structure et autour on peut faire un cercle. Il y a plein de formes de trajectoires qu’on peut réaliser à partir de là.
Comment vivez-vous cette période de confinement qui empêche les artistes de se produire et les réduit au silence ?
Thierry Micouin: Je n’ai pas souffert du premier confinement. Je souffre du deuxième. Pour le premier confinement, après l’état de sidération, j’ai pensé qu’il ne fallait pas s’arrêter. J’ai poussé les meubles de mon salon et je me suis entraîné tous les jours. Cela me permettait de rester en action, en création et de m’entretenir physiquement. J’ai vécu cela comme une pause où j’ai pu avoir ce temps de réfléchir, que je n’avais pas avant à cause des tournées. C’est une période d’incertitude, mais je n’étais pas inquiet pour le maintien du spectacle « Jour futur », dont la première aura lieu dans un an à Paris. J’étais très inquiet pour la pièce « Eighteen » que je tourne actuellement, un duo que je devrais jouer à La Lucarne à Arradon le 6 janvier, et dont de nombreuses dates ont été annulées en mars dernier. C’est un casse-tête.
S’agissant d’« Eighteen », quels questionnements y abordez-vous?
Thierry Micouin: « Eighteen » est un projet que je fais avec ma fille, Ilana, qui a 21 ans. J’ai attendu qu’elle ait 18 ans pour le lui proposer. Elle m’a beaucoup suivi sur les répétitions, les tournées, les résidences. J’ai eu envie retraverser ces quinze dernières années qu’on avait passé tous les deux. C’est une sorte de conversation dansée, où l’on raconte notre parcours à travers les expériences artistiques qu’elle et moi avons eues. Il y a des citations de moi, de Catherine Diverrès, d’Olivier Dubois, de Boris Charmatz, avec qui j’ai travaillé. Et elle aussi raconte son parcours à travers la danse, le théâtre. C’est une histoire de vie et de transmission à travers ce geste artistique qui est à la fois parlé et dansé, à partir de la bande sonore autour du travail de la mémoire qu’a fait Pauline Boyer.
Après des études de médecine, vous vous êtes dirigé vers la danse contemporaine. Pourquoi ce choix ?
Thierry Micouin: J’ai fait des études de médecine, mais je n’étais pas très heureux. C’était surtout pour faire plaisir à mes parents. Pendant toute mon enfance, mon adolescence, je faisais des spectacles dans ma chambre, mais je cachais tout cela. Je ne voulais pas en parler parce que dans ma famille, il ne fallait surtout pas parler de la chose artistique, il fallait avoir un vrai métier. A la fin de mes études de médecine, j’étais interne à Orange, près d’Avignon. C’est l’année où s’est joué « Nelken » de Pina Baush, à laquelle j’ai pu assister. Là, ça été un choc. J’étais interne au Samu et lors d’une intervention, la voiture a été percutée par une autre voiture, j’ai traversé le pare-brise. J’ai été blessé aux deux yeux et j’ai perdu la vue. Quand j’étais dans le noir, je me disais que si un jour je revoyais la lumière, j’arrêterais.
Après deux ans de récupération, mes parents étaient tellement dévastés par cet accident, qu’ils ont tout accepté. J’ai d’abord fait une école de théâtre qui était dirigée par Niels Arestrup. Parmi les cours, il y a avait la danse et des chorégraphes m’ont remarqué et encouragé à continuer. J’ai pris des cours de danse à 30 ans et un jour à Menton, j’ai fait un stage Pina Baush, où j’ai rencontré deux danseurs mythiques, Malou Airaudo et Dominique Mercy qui sont tombés en amour pour moi et m’ont donné plein de conseils. Après j’ai passé une audition avec Catherine Diverrès en pensant que jamais elle ne me prendrait dans sa compagnie. Je suis resté quinze ans avec elle et j’ai enchaîné avec Boris Charmatz, Olivier Dubois, des chorégraphes qui avaient une grande exigence physique. J’étais très timide et je parlais peu. La danse m’a permis de m’exprimer autrement. C’est un moyen d’expression que j’ai pu trouver par rapport à cette absence de parole que j’avais.
Sauriez-vous définir votre style en tant que chorégraphe ?
Thierry Micouin: Ce n’est pas à moi à le dire (rires). J’ai beaucoup pioché, j’ai ingurgité, digéré plein de choses. J’ai été influencé par Trisha Brown avec une énergie très ciselée, pulsionnelle de Catherine Diverrès. C’est un mélange de tout cela. Dans mes spectacles, j’ai beaucoup parlé de la société. Je me suis questionné sur l’identité, la manière dont on est surveillé par les réseaux sociaux, les téléphones portables. Mais dans tous mes projets, il y a quand même une énergie très rock…
Entretien réalisé par Victor Hache
- « Eighteen » avec Thierry Micouin et Ilana Micouin, à La Lucarne, 1 rue de l’Ile Boedic, Arradon (56), mercredi 6 janvier – 20:00
- « Jour futur », Compagnie Thierry Micouin, à la Ménagerie de Verre, 12 Rue Lechevin, 75011 Paris, les 19 et 20 novembre 2021.