Raymond Radiguet et Jean Cocteau

#Livre. A la mort de Radiguet, l’auteur du Diable au corps, le dramaturge est sidéré. Olivier Rasimi, dans «Cocteau sur le rivage» fait de la perte et de la poésie un objet d’observation.

Olivier Rasimi, dans son livre  «Cocteau sur le rivage», se met dans les pas de Jean Cocteau, il fait résonner avec un art stylistique une éloquence choisie pour signifier l’absence, la perte et l’effroi du chagrin qui l’accompagne

livre cocteau sur le rivageCocteau sur le rivage
Olivier Rasimi
Arléa, 163 pages, 17 euros

Raymond Radiguet meurt le 12 décembre 1923. Fauché dans sa vingtième année, terrassé par une fièvre typhoïde. L’auteur du Diable au corps et du Bal du comte d’Orgel verra venir à son enterrement Coco Chanel, Missia, les enfants Hugo, le couple de Noailles, Gide, Picasso, Reverdy, Satie, Morand, Germaine Taillefer, Juan Gris, Bronia, sa dernière fiancée, la faune intellectuelle et artistique de Montparnasse. Manque Cocteau. Enfermé trois jours dans sa chambre à pleurer comme une mère qui a perdu son enfant : « Pour porter un enfant en terre, il faut savoir déplier l’ombre avec élégance. » Olivier Rasimi, dans son livre  «Cocteau sur le rivage», se met dans les pas de Jean Cocteau, il fait résonner avec un art stylistique une éloquence choisie pour signifier l’absence, la perte et l’effroi du chagrin qui l’accompagne.

Afin de tenter de soigner son deuil, le poète part à Villefranche-sur-Mer, il épouse la luminosité de la Méditerranée comme un antidote au néant de la mort. C’est Max Jacob qui lui conseille la Côte d’Azur « pour dénouer le regard et le cœur ». Avec la disparition de Radiguet meurt un temps l’envie d’écrire. Sans le secours de ce jeune génie singulier, «un aveugle lucide» qu’il faut éduquer et donner une méthode, il fuit le jour, s’enivre des volutes d’opium pour combler la sidération intérieure, le désastre esthétique. Sur sa table s’étalent les épreuves à corriger du Bal, les pages d’un cadavre qui le regardent et lui disent la non-présence de la figure de Bébé. Sous la brûlure du soleil, Cocteau se laisse voguer à bord de son Heurtebise. Asséché par le sel de la mer, il voudrait devenir ermite, ne vivre que des éléments aériens, s’introspecter, qui aime-t-on, quelle image de l’amour l’idole renvoie-t-elle ? En 1924, le Bal du comte d’Orgel, publié par Grasset, remporte un succès.

Quand il abandonne l’univers carcéral, lénifiant et consolant de l’opium, le dramaturge veut créer un bataillon de poètes dirigé par Maritain. Objectif : scandaliser par amour, « mettre la littérature dans les mains des fakirs, des enfants et des fous ». Les mots seuls le sauveront, « le poète transforme indifféremment la défaite en victoire, la victoire en défaite, empereur prénatal seulement soucieux du recueil de l’azur», écrivait René Char.

jean cocteau
Cocteau

Le chemin du détachement passe par une conversion à Dieu épaulé par Max Jacob, le premier à avoir vu l’ange en 1909. Cocteau se recueille dans la chapelle saint Pierre de Villefranche, comment la peine de l’absent peut-elle assassiner un poète ? Le rendre étranger à lui-même, invisible aux autres, perclus d’une douleur innommable, insondable. Ce 12 décembre, il a rendu les armes, s’est senti vaincu, victime involontaire de n’avoir pu retenir l’heure ultime d’un jeune homme, une part de son rivage. Il produit malgré tout, écrit Orphée, se cimente par une effloraison de dessins, objets de cire, de craie, de plâtre, de papier ; ils seront consacrés dans une exposition.

Radiguet est mort depuis trois ans, mais il le reconnaît dans un geste, la posture d’une tête, l’ovale d’un visage, l’inflexion d’une voix, des signes de réconciliation, de retrouvailles, de rendez-vous. Si «la poésie ne vaut que si elle est vécue », Cocteau vivra avec le souvenir intériorisé de Radigo, un éclaireur de conscience, il l’habite vivant et troublant, épris d’insubordination et de phrases défendues, un esprit libre, il écrivait «ce qui lui passe par la fenêtre ». Après l’exil, il a rejoint la côte, s’est détourné des torrents de larmes, le sang coule dans ses veines et son cœur s’est remis à battre. Tous deux appartiennent à la mythologie.

« Cocteau sur le rivage » par Olivier Rasimi, Editions Arléa: https://www.arlea.fr/Cocteau-sur-le-rivage

Lire: Avec “Ce qui nous revient”, Corinne Royer réhabilite une oubliée : https://www.weculte.com/litterature-2/livre-avec-ce-qui-nous-revient-corinne-royer-rehabilite-une-oubliee/

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