Livre. Dans « Une rose seule », une botaniste débarque à Kyoto, au Japon, afin de prendre connaissance du testament d’un père qu’elle n’a jamais connu. Un roman sur l’enracinement, l’ancrage dans une terre pour se trouver un lieu à soi, signé Muriel Barbery.
Roman floral et végétal, « Une rose seule » est l’histoire d’un enracinement à travers les prémices d’un amour. Dans ce roman, aucun mot n’est posé par hasard, il s’accompagne d’une infinité d’images, de représentations faisant appel à l’imaginaire, à l’enfance perdue, à « la mémoire tremblée » qui se remémore.
Roman floral et végétal, « Une rose seule » est l’histoire d’un enracinement à travers les prémices d’un amour. S’ancrer dans une terre pour être capable d’aimer ; ressentir l’attirance de l’autre pour réussir à se dire « je suis chez moi ». Muriel Barbery défend cette dialectique animée d’une prose tout en sinuosité, où les lecteurs suivent les traces des fleurs.
Rose est botaniste, elle arrive à Kyoto, au Japon, comme sortie d’un rêve éveillé, « elle se sentait assommée de beauté, de minéralité et de bois ; tout lui était torpeur (…) trop d’intensité. » Jusque-là, sa vie n’est qu’une suite sans raison ni consentement d’événements vains dont elle ne garde aucun souvenir. Elle est absente à elle-même. Elle a pris l’avion pour prendre connaissance du testament de son père Haru, riche marchand d’art, qu’elle n’a jamais connu. Elle est accueillie par Paul, son proche collaborateur ; dès lors, commence pour elle une recherche : qui est-elle ?, la question lancinante posée tous les jours, après « où suis-je ? », « qui suis-je ? »
Comme des enluminures ou des perles enchâssées, à l’orée de chaque chapitre, l’autrice raconte une légende du Japon ancien, la dernière phrase devenant le titre du chapitre, tel un enseignement de vie : la fleur de prunier est en moi, un camélia mouillé de mes larmes, le bambou enseigne le détour.
Celle qui ne s’attachait à personne, qui n’avait aucun tuteur pour la soutenir, a vécu entourée de Paule, une grand-mère très présente et d’une mère, Maud. Celle-ci abdique devant les difficultés de l’existence et vit dans la souffrance. Rose va découvrir Kyoto à travers la topographie des temples.
Au fil de ses déambulations en compagnie de Paul, ils s’apprivoisent ; il est belge, a perdu son épouse Clara et s’occupe de sa fille Anna. Paul et Rose, on pense à Swan amoureux fou d’une femme qui n’était pas son genre. Dans ses lieux clos, chargés de sons, d’odeurs, de senteurs, les sens s’éveillent, « l’encens faisait le monde épais ; traversant les parfums, elle sentit leur sceau s’imprimer ».
Dans ce roman, aucun mot n’est posé par hasard, il s’accompagne d’une infinité d’images, de représentations faisant appel à l’imaginaire, à l’enfance perdue, à « la mémoire tremblée » qui se remémore.
À la faveur d’un voyage pour rencontrer un père mort, Rose est en proie à des transformations sensorielles, existentielles. La déracinée prend possession de son corps, se laisse être ravie par des paysages, les secrets de la nuit et de la lune, renoue avec une primitivité perdue.
Paul l’initie à la cuisine japonaise et autour d’un plat où l’ivresse rend l’approche des choses plus malléable, se crée une intimité inattendue ou trop espérée pour l’un et l’autre. À la lecture du testament – son père lui lègue tous ses biens– elle reçoit une de ses lettres. Ce sont les phrases d’un père à sa fille, c’est aussi la déclaration d’un père qui a travers des photos volées « l’a regardée grandir, chuter, se relever, toujours entière, toujours singulière ».
Malgré l’absence, l’éloignement, il espère que « en dépit de la mort, tu recueilleras mon cœur (…) alors ma vie entière passera en toi ». Pour lui confier : « Le monde est comme un cerisier qu’on n’a pas regardé depuis trois jours. »
Au côté de Paul, Rose a trouvé un chez soi, une chambre à soi, un asile ; à présent elle peut s’abreuver à une source intarissable, regarder son reflet dans le miroir, vivre avec des torrents intérieurs tourmentés, mais vivants. Le roman d’une renaissance à soi, d’un vide abyssal comblé par les mots qui résonnent dans la tête du lecteur. Rose est revenue au point de son origine pour dire « je », un je habité et peuplé d’un autre ailleurs.
Texte Virginie Gatti
- Lire : « Une rose seule », Muriel Barbery, Actes Sud, 158 pages, 17,50 euros